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  • Qu’est-ce que les EAU ont à gagner en déstabilisant la Somalie ?


    Par Andrew Korybko – Le 12 avril 2018 – Source Oriental Review

    Somalia flagLes événements récents suggèrent que les EAU tentent de déstabiliser la Somalie pour la jeter dans une crise sécuritaire à plusieurs niveaux afin de piéger l’allié turc du Qatar dans un bourbier et compenser la montée en puissance de la grande puissance éthiopienne, le rival régional de l’Égypte.

     

    La choses arrivent souvent par trois

    La Somalie a été secouée par trois développements liés au cours des dernières semaines, qui montrent que les Émirats arabes unis se consacrent à déstabiliser le pays afin de faire avancer cyniquement leurs grands intérêts stratégiques dans la région aux dépens de Mogadiscio. Les Émirats ont signé un accord controversé avec la région séparatiste de Somaliland pour construire une base navale dans le golfe d’Aden, après quoi une querelle politique entre le président du pays et le président du Parlement s’est soldée par un affrontement armé fortuitement résolu avant le début des tirs. Au début de la semaine, les autorités somaliennes ont saisi près de 10 millions de dollars en espèces dans un avion des Émirats arabes unis qui devaient être disséminés dans le pays à des fins non encore divulguées, ce qui a coïncidé avec la démission du président du Parlement juste avant un vote de défiance contre lui.

    Le baril de poudre africain

    En analysant ces trois événements dans un continuum par étapes, on peut affirmer que les EAU tentent de déstabiliser la Somalie pour se venger du refus de Mogadiscio de couper les liens avec le Qatar et de son accord avec Ankara pour autoriser une base militaire turque dans le pays. La Turquie est alliée au Qatar, où elle a aussi une base militaire, ce qui en fait le rival des Émirats arabes unis dans le contexte de la guerre froide du Golfe qui sévit dans la région de la Corne de l’Afrique via deux conflits centrés sur l’Éthiopie et Djibouti. Le géant enclavé est en désaccord avec l’Égypte au sujet du Grand barrage de la Renaissance, projet éthiopien, construit sur le Nil Bleu et dont le Caire prétend que l’État arabe dépendra toujours à l’avenir, tandis que le petit pays côtier vient de donner un coup de pied aux Émirats arabes unis et a repris le contrôle du plus grand port du pays. Les dynamiques régionales sont telles qu’elles pourraient facilement déborder dans une guerre régionale, rendant ainsi la Corne de l’Afrique contemporaine étrangement similaire structurellement aux Balkans d’avant la Première Guerre mondiale.

    Debout face à la « Petite Sparte »

    La Somalie a jusqu’ici évité d’être entraînée dans la guerre froide du Golfe et pensait probablement que sa « neutralité » dans ce différend l’empêcherait d’être déstabilisée et de devenir un champ de bataille entre puissances extra-régionales, mais il semble maintenant que les EAU lancent asymétriquement des mesures agressives contre le pays dans le but d’étendre leur nouvelle sphère d’influence, du golfe d’Aden dans toute la région, en supprimant toutes les forces qui se dressent sur son chemin. À cette fin, Abu Dhabi voit le président « Farmaajo » comme un obstacle en raison de son refus féroce de s’incliner devant les Émirats en coupant les liens avec le Qatar et son accord avec la Turquie pour construire une base militaire sur la côte de l’océan Indien. C’est un étalage de souveraineté inacceptable que l’hégémon surnommé la « Petite Sparte » ne pouvait tout simplement pas tolérer.

    Le plan directeur

    Somaliland agrees to UAE naval baseLe Somaliland accepte la base navale des EAU

    Les EAU ont revendiqué la Somalie en renforçant « l’indépendance » de fait du Somaliland à travers la récente entente de base navale dans le port côtier de Berbera, qui a incité les législateurs somaliens à réagir avec fureur à Mogadiscio, malgré leur incapacité à l’empêcher. Puis, « provoqués » par la forte condamnation du gouvernement internationalement reconnu, les EAU ont cherché à exploiter les failles politiques préexistantes au sein de l’État en provoquant la récente crise entre le président et son président parlementaire. La prochaine étape de la campagne de déstabilisation est censée voir les Émirats financer un « mouvement liberté/démocratie » antigouvernemental (d’où les 9,6 millions de dollars saisis de l’avion des Émirats arabes unis) soit dirigé par l’ancien « speaker » au Parlement ou un de ses alliés, pour faire pression sur le président de reconsidérer le refus précédent de son gouvernement de couper les liens avec le Qatar et permettre à l’allié de Doha d’établir une base navale en dehors de la capitale. Si cette première provocation de type guerre hybride ne réussit pas à atteindre ses objectifs, il est prévisible que les EAU pourraient aller jusqu’à déclencher un nouveau cycle de guerre civile dans le pays afin de piéger leurs rivaux dans un bourbier.

    Chocs et effrois régionaux

    Les conséquences d’un nouveau cycle de guerre généralisée et multi-sites (donc plus complexe que celle simplement entre le gouvernement et ses alliés contre Al Shabaab) pourraient facilement amener la Turquie à tomber dans le scénario tentant de la « dérive de la mission » qui consiste à renforcer son aide aux pays partenaires pour compenser le retrait prévu de l’Union africaine d’ici 2020. Non seulement cela, mais Al Shabaab et peut-être même Daech pourraient profiter de la descente aux enfers du pays dans la guerre civile pour devenir une menace régionale plus dangereuse, qui pourrait à son tour contaminer l’Éthiopie dont la puissance s’accroît, toujours prompte à intervenir une fois de plus militairement. Cela dit, le leader régional est en train de vivre une « transition politique » sensible et sa situation intérieure tendue pourrait exploser si un conflit somalien imminent débordait sur ses frontières et bouleversait son fragile équilibre ethno-politique.

    Réflexions finales

    Aussi cynique que cela puisse paraître, ces deux « scenarii sombres » feraient avancer les grands objectifs stratégiques des EAU en attirant l’allié turc du Qatar et ses partenaires somaliens dans un bourbier en développement tout en déstabilisant l’Éthiopie au nom d’une Égypte subordonnée au CCG. Le chaos qui en résulterait pourrait créer des « fenêtres d’opportunité » pour que les EAU étendent leur influence plus profondément dans la Corne de l’Afrique et « justifient » leurs partenariats militaires avec l’Érythrée et le Somaliland, sans parler des autres États ou de futures régions séparatistes pourraient émerger au même moment. Bien entendu, il est encore trop tôt pour dire si cela arrivera ou non, mais il est néanmoins important d’être conscient des intérêts des EAU vis-à-vis de la Somalie et de la façon dont ils pourraient être promus via les derniers événements déstabilisants pour lesquels la responsabilité d’Abu Dhabi est engagée dans ce pays crucialement positionné. Si la trajectoire descendante actuelle n’est pas rapidement évitée, ce qui pourrait être le cas si la prudence prévalait, alors la Somalie pourrait à nouveau sombrer dans une guerre civile. Il est donc urgent que ses citoyens soient informés de ce qui se passe et pourquoi ils doivent faire le maximum pour l’empêcher.

    Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

    Traduit par Hervé, relu par Cat pour le Saker Francophone


  • Comment l’agression américaine en Arctique pourrait amener la Russie à se « rééquilibrer » via l’AAGC


    Par Andrew Korybko − le 16 avril 2018 − source orientalreview.org

    US military drill in the Arctic

    Les USA exigent que la Russie leur ouvre l’accès à la route maritime arctique, ce qui peut laisser présager d’une agression de type guerre hybride à venir en Arctique, qui pourrait en retour faire augmenter la dépendance stratégique de la Russie envers la Chine. Il s’agit d’un scénario non désiré, qui pourrait être évité si la Russie offre « des contreparties » à des alliés et adversaires, dans le cadre de l’expansion vers l’Europe du « couloir de croissance Asie-Afrique » (AAGC [Asia-Africa Growth Corridor, NdT]) indo-japonais, par son territoire de transit maritime.

     

    Querelle sur l’Arctique

    Paul Zukunft, amiral des gardes-côtes américaines, a récemment exigé que la Russie accorde aux USA l’usage de sa route maritime arctique, sur la base de soi-disant principes de « liberté de navigation ». Tout en assurant au monde que son pays n’avait pas l’intention d’y mener des « patrouilles » semblables à celles de la mer de Chine, il a sinistrement prévenu l’été dernier que l’océan Arctique « apparaît comme singulièrement familier à ce que nous voyons dans l’est et le sud de la Mer de Chine ». Cette conjonction de remarques laisse clairement penser que les USA préviennent de leurs intentions en termes de guerre hybride du côté de l’Arctique, mais qu’ils se sont pour l’instant retenus d’appliquer des agressions aussi ouvertes qu’envers les intérêts maritimes chinois, la marine russe étant beaucoup plus puissante que son homologue chinoise. De fait, la Russie est reconnue comme disposant de la force militaire la plus puissante de l’océan Arctique, et les USA ne sont pas prêts de s’y frotter sauf à avoir préalablement modifié l’équilibre des forces stratégiques de la région.

    Les forces militaires russes en Arctique

    Dans l’intervalle, les USA prévoient d’appliquer des pressions de nature multiple sur les intérêts russes en Arctique, afin de les enserrer − et plus généralement, l’ensemble de l’Eurasie − dans un nœud coulant « endiguement-déstabilisation ». Washington est furieuse de la promulgation l’an dernier par Moscou d’une loi stipulant que seuls les navires fabriqués en Russie et battant pavillon russe pourront désormais emprunter la route maritime arctique. La Russie pense avec justesse que cette initiative amènera à une croissance rapide des chantiers maritimes russes, et au renforcement de la souveraineté maritime de Moscou. La résistance américaine à cette initiative est particulièrement paradoxale du fait qu’elle arrive sous l’administration Trump, au vu de ses propres préférences pour les initiatives de lois « protectionnistes » et « nationalistes » – mais on s’habitue aux doubles standards quand on pratique la géopolitique. À part un effort d’intimidation concerté pour que les instances des Nations unies refusent de reconnaître les prétentions russes à étendre le plateau continental et la Zone économique exclusive (ZEE) s’y rattachant, les USA ne peuvent pas y faire grand chose pour l’instant : Moscou y viendra probablement « unilatéralement » dans la protection de ses intérêts nationaux, sans tenir compte des jugements..

    Déminer le scénario du détroit de Béring

    Il est toujours possible de recourir aux provocations pour élaborer des scénarios durs au niveau du goulet d’étranglement que constitue le détroit de Béring. Cela ne fonctionnera cependant pas pour des raisons géographiques (les navires ne peuvent traverser le goulet que du côté contrôlé par la Russie) et pourrait même générer un retour de flamme si les USA faisaient les durs et devaient ensuite reculer face à la résilience des Russes. En outre, la possibilité existe à l’avenir de relier par des infrastructures modernisées le port russe de Tiksi, qui donne sur l’Arctique, à celui de Vladivostok ou même encore plus au sud, jusqu’à la péninsule de Corée, par un hypothétique « Couloir coréen » imaginé dans le scénario « de Tikhi à Tiksi » exposé par l’auteur dans ses anticipations d’octobre 2016. En concrétisant ce scénario avec l’aide des chinois et d’autres investissements comme ceux des fondateurs indo-japonais du « Couloir de croissance Asie-Afrique » (et sur lesquels nous reviendrons plus loin), le détroit de Béring pourrait bien devenir inutile avec le temps, ce qui limite grandement les possibilités de pressions des États-Unis sur la Russie dans cette zone.

    « Dilemmes de sécurité »

    Quels que soient les moyens asymétriques que les USA mettent en œuvre et quels qu’en soient leurs effets, ils ne feront que rapprocher la Russie de la Chine en réponse, ce qui ne ferait qu’augmenter la tendance déjà existante à monter des relations stratégiques privilégiées entre les deux grandes puissances. Cela finira donc par compliquer la tâche de diviser pour régner des USA en Eurasie. Ceci dit, tenant compte du fait que les USA n’ont pas la moindre chance de venir scinder le partenariat stratégique russo-chinois, il faut ajouter que Moscou n’a aucune envie non plus de jouer le rôle du « partenaire mineur » auprès de Pékin : on peut s’attendre à ce que Moscou fasse tout ce qu’il faut pour « égaliser » la relation et empêcher la Chine de prendre le dessus dans leur relation. Tout discours rhétorique « gagnant-gagnant ou tous gagnants » mis de coté, les décideurs et les stratèges russes s’en tiennent au paradigme néo-réaliste du « grand échiquier du pouvoir du XIXe siècle » et n’ont aucun désir de « faire confiance » à un autre pays au point de mettre tout l’avenir de leur État-civilisation entre ses mains.

    Cela fait des millénaires que les « dilemmes de sécurité » sont parties intégrantes des relations internationales, mais cela ne les rend pas inévitables. On ne peut pas vraiment imaginer que les USA parviendraient à en créer un entre la Russie et la Chine sur ces enjeux, ou sur d’autres : les membres de leurs administrations militaires, de renseignements et diplomatiques (« les États profonds ») sont déjà sensibilisés à ce plan et ont déjà noué un vaste réseau de mesures de confiance mutuelles sur les quelques années passées, ce qui rend ce scénario impossible aussi longtemps que l’Amérique restera leur adversaire unipolaire partagé. Même dans l’hypothèse (extrêmement douteuse) où les USA réussiraient à obtenir ce qu’ils veulent de la Russie, en « convainquant » les dirigeants russes de cesser la construction de coopérations plus avancées avec la Chine, la Nouvelle route de la soie continuerait son extension, et le « dilemme de sécurité » que le Pentagone espérerait n’aurait pas lieu. Mais quoi qu’il en soit, la Russie s’est engagée ces derniers temps dans une ambitieuse politique de « balancier » en Eurasie, où on l’a vue s’approcher des rivaux chinois que sont le Japon, le Viêt Nam, et l’Inde, pour des raisons pragmatiques et pacifiques.

    L’exercice d’« équilibriste » de l’AAGC

    C’est dans ce contexte intéressant de pressions militaires en cours, de la part de la Navy américaine au nord et de son équivalent supposé par la Chine au sud, que la Russie pourrait jouer l’« équilibriste » entre les deux, en allant chercher une « soupape de pression » du côté du Couloir de croissance Asie-Afrique indo-japonais. Pour l’exprimer en mots, les USA et la Chine ne s’emploient pas à « conspirer » contre la Russie, mais le paradigme néo-réaliste qui guide les stratèges et les décideurs à Moscou est ainsi qu’ils se sentent forcés de jouer l’équilibre entre les deux, en approfondissant les relations avec la Chine pour se libérer de la pression américaine, et de renforcer leurs liens commerciaux avec l’AAGC de l’Inde et du Japon pour réaliser la même opération vis-à-vis de la Chine. L’auteur a déjà décrit comment « le jeu de balancier diplomatique russe en Asie fonctionne au bénéfice de son allié chinois » en exposant ses relations avec chacun d’entre eux, et avait présenté l’angle de l’AAGC dans son article « l’Inde pourrait cordialement entrer en compétition avec la Chine au travers des BRICS » ; le lecteur est invité à les relire en relation avec la présente analyse s’il en a le temps.

    Le premier ministre japonais Shinzo Abe et son homologue indien Narendra Modi brandissent une maquette de brique lors du sommet annuel indo-japonais, à Gandhinagar, en Inde, le 14 septembre 2017

    En approfondissant ce concept de « balancier », les deux piliers indo-japonais de l’AAGC s’efforcent d’accroître leurs liens commerciaux avec l’Europe, ce qui les incite à utiliser le « raccourci » que constitue la route maritime Arctique russe, et à souscrire à la législation du pays exigeant que seuls les navires construits en Russie et battant pavillon russe puissent la traverser. Le même principe s’applique également au domaine de l’extraction d’énergie, si bien que les produits des investissement conjoints de l’Inde et de la Russie en Arctique devraient subir les mêmes contraintes pour être amenés au sous-continent. On peut prédire des développements économiques grandioses dans la région de l’Extrême-Orient russe, car il est en passe de devenir la zone de transbordement pour les matériaux de l’AAGC indo-japonais, voyageant le long de la route maritime arctique à destination des marchés européens. On devrait voir prochainement une gamme d’entrepôts et de zones de libre échange fleurir à Vladivostok, Sakhaline et sur les îles Kouriles pour faciliter ce transit, ce qui va concrétiser les investissements étrangers au bénéfice des habitants et travailleurs locaux russes de ces zones. Comme nous l’avons évoqué plus tôt ici, les deux pays pourraient financer également une voie ferrée reliant les océans Pacifique et Arctique.

    Éloigner les « scénarios sombres »

    Rien de tout cela ne peut advenir sans participation de la Chine, mais l’existence de capitaux chinois, de travailleurs chinois, de produits chinois et de l’influence générale de la Chine sur l’Extrême-Orient russe constitue en Russie un sujet très sensible. En effet, la perception (c’est le mot clé) est que la République populaire pourrait être en train de transformer cette très grande région en appendice à matières premières, comme une sorte de prélude à une « annexion » par mandataire interposé. Ces craintes sont bien sûr très exagérées, et Pékin n’a jamais laissé croire à ce genre d’intentions, mais cette histoire par trop simpliste et fallacieuse pourrait facilement être exploitée depuis l’étranger pour pousser des « démagogues, populistes » à attiser les tensions afin de diviser pour régner. Le Kremlin se préoccupe de la transformation de ce sujet en problème politique intérieur défrayant l’actualité, si bien que Moscou prend des mesures avec le temps pour éloigner ce scénario trouble, au travers de sa nouvelle approche d’« équilibriste » entre les grandes puissances. L’introduction des investissement indo-japonais de l’AAGC et l’influence qui les accompagne est attendue comme un « rééquilibrage » du rôle de la Chine et devra donc dissiper ces intrigues hypothétiques.

    En plus de « diluer » l’influence croissante de la Chine sur l’extrême-Orient russe, en faisant entrer ses rivaux indien et japonais, le président Poutine compte voir la compétition en développement entre les projets de connectivités que sont la Nouvelle route de la soie d’une part et l’AAGC d’autre part apporter autant de bénéfices à son peuple. Le dirigeant russe projette d’axer son quatrième et dernier mandat de président sur son programme intérieur, qui comprend des réformes socio-économiques de grande portée, afin d’établir durablement son héritage. Il est donc vital pour lui d’apporter à ses concitoyens une base solide sur laquelle ils pourront continuer de construire le pays après son départ. Un peu de théorie économique de base démontre que le manque de compétition amène en général en fin de compte à une « monopolisation », et échouer à diversifier les partenaires d’investissements dans l’Extrême-Orient russe pourrait voir les scénarios de « dominance rampante » de la Chine devenir un fait accompli [en français dans le texte, NdT] avec le temps, ou au moins se faire utiliser comme étincelle de désordres politiques dans la région, et de mésentente future entre les deux grandes puissances.

    Nouveaux non-alignés + AAGC = stratégie russe d’« équilibrage » du XXIe siècle

    La Russie ne veut pas devenir un mélange des caricatures les plus critiques de la Mongolie et du Pakistan, où elle serait réduite respectivement à une « réserve de matières premières » et une « autoroute internationale », sur le « pont de terre eurasiatique » chinois du projet de la route de la soie vers l’Europe. C’est pour cela qu’elle voit un grand intérêt stratégique à joindre ses efforts à ces deux pays et à d’autres afin de jouer l’équilibre contre ce scénario, de manière amicale. Elle pose les bases d’un nouveau Mouvement des non-alignés (neo-MNA), qui ne se montre ni militairement pro-américain, ni dépendant de manière économique ou stratégique de la Chine. Il n’est demandé à aucun de ces trois pays (Russie, Mongolie, Pakistan) ni à leurs partenaires éventuels du neo-NMA multilatéral de « choisir son camp » dans la nouvelle guerre froide, mais au contraire de prendre part à une « voie du milieu » grâce à leur approche « troisième voie » qui vise à maintenir des relations constructives aussi bien avec les USA qu’avec la Chine aussi longtemps qu’ils resteront adroitement en « équilibre » entre les deux, pendant cette période de profonde transition systémique. Cette initiative peut prendre des formes très diverses, et se réajustera au gré des nécessités, mais l’une des constantes en est que la Russie en assurera probablement la promotion auprès de l’AAGC indo-japonais.

    Peu importe que ces deux grands pays soient les alliés de la politique américaine « menée depuis l’arrière » visant à « contenir » la Chine : les trois pays ont des intérêts communs à coopérer les uns avec les autres de manière pacifique dans l’Extrême-Orient russe, ce qui n’agresse en rien la Chine. Le président Xi a reconnu la « tendance de l’époque, à la paix, au développement, à la coopération, et aux bénéfices mutuels » qui « gagne du terrain » dans le monde d’aujourd’hui, dans son discours plus tôt cette semaine au Forum de Boao. Du coup, son pays ne serait pas pris par surprise de voir la Russie approfondir sa connectivité économique avec les rivaux chinois que sont l’Inde et le Japon, alors même que la République de Chine fait la même chose vis-à-vis de Moscou aux USA, en UE, et même en Ukraine. Pékin fulmine régulièrement contre la tendance occidentale à pratiquer une mentalité « à somme nulle » lors de sa défense des investissements de la Nouvelle route de la soie. On peut donc s’attendre à ce qu’elle s’applique les mêmes standards quand elle considérera les relations en développement de la Russie avec l’AAGC indo-japonais dans le grand est du pays, et le long de la frontière nord-est de la République Populaire.

    Conclusions

    Il pourrait encore se passer du temps avant de voir tout ceci se concrétiser, mais les USA ont déjà fait connaître leur intention de défier le contrôle souverain de la Russie sur les territoires de l’océan Arctique, sur le fondement d’une soi-disant « liberté de navigation », motivée par leur désir de s’enrichir par la route maritime arctique. En outre, la présence de bateaux espions américains camouflés en marchands ou chalutiers « civils » (une tactique que les USA accusent régulièrement la Chine de pratiquer) tapis le long de la longue frontière nord du pays permettrait à Washington de tracer les activités militaires de Moscou dans la région. Cela pourrait bien constituer une raison supplémentaire à la législation pro-souveraine décidée par la Russie quant aux nouvelles règles de navigation dans la mer Arctique : seuls les navires fabriqués en Russie et battant pavillon russe peuvent y circuler. Le résultat de toute campagne de pression menée par les USA à l’égard de la Russie, sur ce théâtre ou n’importe quel autre, quel qu’en soit le degré de réussite en soi, amènera inéluctablement Moscou plus près de Pékin, malgré ses préoccupations qu’il pourrait finir par être « trop proche pour être à l’aise ».

    Dans tout pays, les dirigeants responsables des bureaucraties militaires, de renseignements ou diplomatiques (« l’État profond ») doivent prévoir tout scénario possible et se préparer à contrer les plus sombres d’entre eux, avant qu’ils ne se produisent. Dans le contexte présent, cela concerne la crainte russe à long terme de devenir trop dépendante stratégiquement de la Chine, une position qui pourrait faire de Moscou le « partenaire mineur » de Pékin, alors que Moscou compte sur une relation d’égalité, le jour où la menace unipolaire qui les rapproche aujourd’hui se sera éloignée. En prévision de ces temps, dont on peut supposer qu’ils se présenteront d’ici une vingtaine d’années, il fait sens pour la Russie d’approfondir son engagement avec le « Couloir de croissance Asie-Afrique » indo-japonais, facilitant les accès pour ces pays aux marchés européens par l’emprunt de la route maritime arctique, moyen pacifique mais « efficace » de « contrebalancer » toute dominance future de la Route de la soie chinoise. Si la Russie allie sa stratégie de « rééquilibrage » via l’AAGC avec la création d’un nouveau mouvement non aligné, Moscou pourra enfin atteindre sa grande ambition pour le XXIe siècle : devenir le centre de la multipolarité au cœur de l’ordre mondial émergeant.

    Andrew Korybko est le commentateur politique américain qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides : l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime (2015). Ce texte sera inclus dans son prochain livre sur la théorie de la guerre hybride. Le livre est disponible en PDF gratuitement et à télécharger ici.

    Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone


  • 1 Mai 2018

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