• BON ARTICLE SUR L'HUMA =

    Samedi, le gouvernement a sorti l’artillerie lourde. Pour contenir les gilets jaunes, la préfecture de police a décidé d’utiliser
une douzaine de véhicules blindés de la gendarmerie, du jamais-vu dans la capitale. Thomas Samson/Afp
    Samedi, le gouvernement a sorti l’artillerie lourde. Pour contenir les gilets jaunes, la préfecture de police a décidé d’utiliser une douzaine de véhicules blindés de la gendarmerie, du jamais-vu dans la capitale. Thomas Samson/Afp
     

    PARIS. LE POUVOIR JOUE LA CARTE D’UNE RÉPRESSION SANS PRÉCÉDENT

    Lundi, 10 Décembre, 2018

    Pour toute réponse aux gilets jaunes, le gouvernement n’apporte que des plaies et des bosses, au risque d’alimenter encore la rage et la colère populaire.

    À l’occasion de l’acte IV, samedi, de la mobilisation des gilets jaunes, le gouvernement a sorti l’artillerie lourde, dans tous les sens : figuré et propre. Jamais, sans doute, depuis des décennies, un pouvoir n’a exercé un tel niveau de dissuasion et de répression à l’encontre d’un mouvement social paralysant le pays. Manipulations dramatisantes dans les jours précédents à travers la diffusion d’« informations » alarmistes, arrestations préventives samedi dès l’aube, usage massif des armes mises à la disposition des forces de police, offensives multiples contre des foules de manifestants non violents, les dispersant systématiquement, exacerbant leur colère et, comme le déplore la Mairie de Paris, étendant la zone des dégâts dans la capitale, etc.

    Samedi, la répression est allée crescendo pendant toute la journée

    La semaine dernière, l’Élysée a multiplié les « confidences » relayées dans les médias, prophétisant la présence dans la rue d’individus venus « pour casser et pour tuer ». Selon Benjamin Griveaux, le porte-parole du gouvernement, les services de renseignements s’attendaient à voir des armes à feu « circuler » samedi dans les rangs des gilets jaunes. Samedi matin, sur France Inter, Camille Chaize, la porte-parole de la police nationale, mettait en garde, dans un registre complémentaire, les manifestants sur les conséquences potentiellement dangereuses de leur présence dans les rassemblements : « Les moyens que l’on va utiliser sont de nature à occasionner des blessures. La police a le droit, dans certaines circonstances – ce qui risque d’être le cas aujourd’hui –, d’utiliser ces armes. Ce ne sont pas des bavures, c’est la loi. »

    À Paris, la répression a effectivement pris ses quartiers, samedi. Et elle est allée crescendo pendant toute la journée, de la place de l’Étoile à celle de la République en passant par l’Opéra et Saint-Lazare. Dès le matin, des centaines de personnes ont été interpellées de façon manifestement « préventive ». Au total, d’après les chiffres officiels, ce sont 1 082 personnes qui ont été arrêtés dans la capitale, dont 900 ont été placés en garde à vue. Parmi eux, Julien Coupat, figure du « groupe de Tarnac », relaxé après des années de calvaire judiciaire, a été interpellé près du parc des Buttes-Chaumont, très loin du théâtre des opérations, pour détention d’un gilet jaune, d’un masque à gaz et de bombes de peinture… Dimanche matin, une petite centaine seulement des gardés à vue avaient été déférés au parquet de Paris – signe infaillible que ces coups de filet ont été indiscriminés et, pour l’écrasante majorité, littéralement injustifiés.

    Aux filtrages multiples à l’entrée des Champs-Élysées, samedi matin, les forces de police ont confisqué le matériel de protection. Loin des annonces cataclysmiques du gouvernement, ce sont des foules sans armes ni protection qui ont tenté de s’approcher de la plus grande avenue du monde. Et elles ont été repoussées sans ménagement, à la matraque, mais surtout avec des doses massives de lacrymogènes, rendant l’atmosphère irrespirable, et souvent des grenades explosives « désencerclantes » ainsi que des tirs de Flash-Ball à hauteur d’homme. Des types de munitions qui peuvent provoquer des lésions permanentes… et c’est encore arrivé à Paris, ce samedi. Selon Libération, une jeune étudiante de 20 ans a ainsi perdu un œil, frappée par un éclat de grenade. Comme d’autres journalistes, un photographe du Parisien a, lui, été la cible d’un tir de Flash-Ball qui, à bout portant, l’a atteint à la nuque. Tous les records d’utilisation de ces armes, déjà battus le 1er décembre, ont dû être pulvérisés.

    Des équipes de policiers à moto renvoyant à l’image des « voltigeurs »

    Au-delà des cortèges de véhicules repoussant les manifestants vers l’Est parisien, avec les blindés arrosant de lacrymos des rues parfois désertes, l’Humanité a également constaté la présence, entre l’avenue Hoche et celle de Friedland, d’équipes de policiers circulant à deux sur des motos et fonçant sur des voies occupées par de petites grappes de gilets jaunes, renvoyant à l’image des « voltigeurs » qui, en 1986, avaient provoqué la mort de Malik Oussekine. En fin de journée, place de la République, à l’autre bout de Paris, la police a déployé les moyens d’habitude réservés aux émeutes urbaines : hélicoptère au projecteur surpuissant balayant la place, escouades de policiers de la BAC avançant en tortue et mettant en joue badauds et manifestants.

    Le scénario était bien ficelé par le gouvernement, qui a osé se féliciter, samedi soir, d’une décrue du nombre de manifestants à Paris – 10 000 selon le ministère de l’Intérieur, chiffre peu crédible. Pourtant, ça crève les yeux : c’est un scénario catastrophe, mortifère pour le droit de manifester et mutilant pour la sécurité des manifestants. État d’exception, chaos et violence d’État : après la terreur qu’ils ont installée dans Paris, Macron et ses proches n’ont vraiment aucune raison de rouler des mécaniques.

    Thomas Lemahieu
    DES AFFRONTEMENTS VIOLENTS DANS PLUSIEURS MÉTROPOLES

    La consommation effrénée de Noël avait repris ses droits rue Sainte-Catherine, hier, à Bordeaux. Sauf à l’Apple Store, pillé et saccagé par une poignée de casseurs. Lorsque cet incident a eu lieu, les forces de l’ordre « étaient parallèlement engagées sur neuf points différents » d’accrochage ou de barricades dans la ville, expliquait hier à l’AFP le préfet de Gironde. Ces heurts ont éclaté aux abords de la mairie après des manifestations de gilets jaunes et pour le climat dans le calme. Tout avait aussi bien commencé sur les boulevards toulousains. La manif des gilets jaunes avait rejoint dans la bonne humeur la marche climat, un cortège de la CGT, ainsi que des étudiants et des infirmières. Mais les forces de l’ordre ont tenté de refouler une partie des manifestants loin du centre-ville, de l’autre côté de la Garonne. D’immenses barricades ont alors été érigées dans le quartier Saint-Cyprien, scène de bataille rangée impressionnante entre insurgés et policiers. « Du jamais-vu depuis Mai 68 », écrit la presse locale. Bilan : 38 personnes interpellées et 12 blessées. Les heurts ont aussi été très violents à Saint-Étienne, pour le deuxième week-end consécutif.