23.mai.2018 // Les Crises

Source : Consortium News , 22-04-2018

Demain, une commission sénatoriale étudiera un nouveau projet de loi qui renforcerait le transfert inconstitutionnel du pouvoir de déclarer la guerre du Congrès à la Maison-Blanche, comme l’explique Marjorie Cohn.

Lundi, la commission des affaires étrangères du Sénat doit examiner un projet de loi qui donnerait au président Donald J. Trump un chèque en blanc pour faire la guerre n’importe où dans le monde, quand il le désire.

La Constitution place le pouvoir de déclarer la guerre exclusivement entre les mains du Congrès. Cependant, au cours des 75 dernières années, le Congrès a permis que ce pouvoir dérive vers le pouvoir exécutif.

Le nouveau projet de loi, s’il est adopté, rendrait effectivement complet le transfert du pouvoir de déclarer la guerre du Congrès au président. Il est difficile d’imaginer un pire moment de l’histoire américaine pour que cela se produise.

Pourquoi seul le Congrès peut déclarer la guerre ?

Les rédacteurs de la Constitution étaient bien conscients des dangers de placer le pouvoir de déclarer la guerre entre les mains du président. Les délégués à la Convention constitutionnelle de 1787 ont massivement rejeté la proposition de Pierce Butler, délégué de Caroline du Sud, de donner au président le pouvoir de déclencher une guerre, selon les notes de James Madison sur les débats du Congrès. George Mason a dit qu’il était « défavorable à l’idée de donner le pouvoir en matière de guerre à l’exécutif », car « on n’est pas sûr qu’on puisse lui faire confiance ».

Les rédacteurs de la Constitution ont donc précisé à l’article premier que seul le Congrès a le pouvoir de déclarer la guerre. L’article II stipule que « le président est commandant en chef de l’armée et de la marine des États-Unis et de la milice de plusieurs États, lorsqu’ils sont appelés au service effectif des États-Unis ». Ces articles, pris ensemble, signifient que le président commande les forces armées une fois que le Congrès a autorisé la guerre.

Malgré son pouvoir constitutionnel exclusif, le Congrès n’a pas déclaré la guerre depuis 1942. Après cette période, en commençant par le président Truman, une série de présidents américains ont engagé des troupes américaines dans des hostilités dans le monde entier sans attendre que le Congrès agisse. Après la débâcle au Vietnam, le Congrès a promulgué La Loi sur les pouvoirs de guerre [War Powers Resolution] dans le but de récupérer son autorité constitutionnelle pour décider quand et où la nation entrerait en guerre.

C’est écrit.

La loi sur les pouvoirs de guerre permet au président de faire entrer les forces armées américaines dans des hostilités ou des hostilités imminentes seulement après que le Congrès a déclaré la guerre, ou lors « d’une urgence nationale créée par une attaque contre les États-Unis, leurs territoires ou possessions, ou leurs forces armées », ou lorsqu’il existe une « autorisation statutaire spécifique », telle qu’une autorisation pour l’utilisation de la force militaire.

En 2001 et 2002, le Congrès a promulgué des autorisations de recours à la force militaire [Authorization for Use of Military Force (AUMF), NdT], qui visaient respectivement Al-Qaïda et l’Irak. Bien que ces autorisations aient été limitées, George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump les ont tous utilisées pour justifier l’attaque ou l’invasion de n’importe quel pays.

Dans l’autorisation de recours à la force militaire de 2001, le Congrès a autorisé le président à utiliser la force militaire contre des individus, des groupes et des pays qui étaient considérés comme ayant soutenu les attaques du 11 septembre. Le Congrès a rejeté la demande de l’administration Bush d’une autorité militaire à durée indéterminée « pour dissuader et prévenir tout acte terroriste ou agression future contre les États-Unis ».

Néanmoins, l’AUMF de 2001 a été utilisée pour justifier au moins 37 opérations militaires dans 14 pays, selon le Congressional Research Service. Beaucoup d’entre elles n’avaient aucun lien avec les attentats du 11 septembre.

Bush a utilisé l’AUMF de 2001 pour envahir l’Afghanistan et déclencher la plus longue guerre de l’histoire des États-Unis, qui se poursuit sans répit. Obama s’est appuyé sur cette autorisation de recours à la force militaire pour diriger une coalition de l’OTAN en Libye et changer son régime par la force, ce qui a créé un vide que l’EI est venu combler. Obama a invoqué la même autorisation pour procéder à des assassinats ciblés avec des drones et des bombardiers, tuant un nombre incalculable de civils. Et Trump s’appuie sur cette AUMF pour justifier ses frappes de drones, qui ont tué des milliers de civils.

Le Congrès : Se dérober à ses responsabilités. (Photo officielle de la Maison-Blanche par Lawrence Jackson)

Ben Cardin (Démocrate – Maryland), membre de la commission des affaires étrangères du Sénat, a déclaré lors d’une audience en octobre 2017 que les AUMF de 2001 et 2002 sont maintenant « de simples autorisations de convenance pour les présidents de mener des activités militaires partout dans le monde », ajoutant « qu’elles ne devraient pas être utilisées comme justification légale des activités militaires dans le monde entier ». Le Congrès a accordé l’AUMF à Bush spécialement pour chasser Saddam Hussein du pouvoir en Irak. Une fois que cela a été accompli, cette autorisation a pris fin. Ainsi, l’AUMF de 2002 ne fournit pas une base juridique permanente permettant aux États-Unis de s’engager dans une action militaire.

Lors de cette audience de 2017, le secrétaire à la défense James Mattis et le secrétaire d’État d’alors, Rex Tillerson, ont déclaré à la commission sénatoriale des relations étrangères que Trump avait l’autorité légale suffisante pour tuer des gens dans n’importe quelle partie du monde qu’il souhaitait. Ils ont cité les AUMF de 2001 et 2002, ainsi que l’article II de la Constitution. Cependant, avec une grande prudence politique, Mattis et Tillerson ont invité le Congrès à promulguer une nouvelle AUMF sans limites temporelles ou géographiques.

Lors de son audience de confirmation le 12 avril, Mike Pompeo, le candidat de Trump au poste de secrétaire d’État, a déclaré au sénateur Cory Booker que Trump avait le pouvoir légal de bombarder la Syrie sans l’approbation du Congrès. Pompeo a déclaré : « Je crois qu’il a l’autorité dont il a besoin pour le faire aujourd’hui. “Je ne crois pas que nous ayons besoin d’une nouvelle AUMF pour que le président s’engage dans l’activité que vous avez décrite ».

Le lendemain, les États-Unis, le Royaume-Uni et la France ont lancé des frappes aériennes en Syrie. Comme lors de la frappe de Trump en Syrie en 2017, ils ont violé le droit américain et international. L’administration Trump persiste dans son refus de révéler la note de service qui explique prétendument sa justification légale pour le bombardement de 2017 en Syrie.

Les tentatives au Congrès d’abroger et/ou de remplacer les AUMF de 2001 et 2002 ont jusqu’à présent échoué. Mais Mattis et Tillerson peuvent maintenant réaliser leur souhait.

Une nouvelle autorisation

Le 16 avril 2018, un groupe bipartite de sénateurs a proposé une nouvelle AUMF pour remplacer les AUMF de 2001 et 2002. Bob Corker (R-Tennessee), président du Comité sénatorial des relations étrangères, et Tim Kaine (Virginie), membre du comité démocrate, ont parrainé le projet de loi. Parmi les promoteurs nous trouvons les sénateurs Jeff Flake (R-Arizona), Christopher Coons (D-Delaware), Todd Young (R-Indiana) et Bill Nelson (D-Florida).

L’AUMF 2018 autoriserait le président à utiliser la force militaire, sans aucune limitation, en Irak, en Afghanistan, en Syrie, au Yémen, en Libye et en Somalie. Elle permettrait également au président de prendre des mesures militaires contre Al-Qaïda, ISIS et les talibans, ainsi que leurs « forces alliées » dans n’importe quel lieu géographique.

Et bien que le président ne puisse pas ajouter des États-nations à la liste des pays qu’il veut attaquer, il pourrait contourner cette limitation en arguant que des terroristes opèrent dans un nouveau pays ou qu’un pays particulier est un État parrain du terrorisme, et qu’il doit utiliser la force militaire pour combattre le terrorisme. Si le président veut ajouter des pays ou des groupes à sa liste, il doit en référer au Congrès. Cependant, il peut refuser de divulguer toute information qui, selon lui, est classifiée, comme l’a fait remarquer Elizabeth Goitein, codirectrice du Liberty & National Security Program à la Brennan Center for Justice de la NYU School of Law de l’Université de New York.

Le président doit informer le Congrès dans les 48 heures de l’extension de ses opérations militaires dans des pays autres que les six pays énumérés dans la AUMF ou « nouvelles forces alliées désignées ». Si le Congrès ne s’y oppose pas dans les 60 jours, l’extension du président sera maintenue.

Trump : Peut agir en toute impunité. (Capture d’écran de Whitehouse.gov)

La loi n’a pas de date d’expiration. Tous les quatre ans, le président serait seulement tenu d’envoyer au Congrès une proposition de modification, d’abrogation ou de maintien de l’autorisation. Mais si le Congrès ne répond pas dans les 60 jours, l’AUMF restera en vigueur. Une fois de plus, cela place le Congrès dans l’obligation d’agir. Il est alarmant de constater que le nouveau projet de loi contient un présupposé selon lequel le président peut décider quand et où faire la guerre. Il faudrait une action volontariste des deux tiers des deux chambres du Congrès pour empêcher toute action militaire.

Étant donné que le Congrès n’a pas réussi à s’opposer de façon efficace à l’utilisation de la force militaire par le président, y compris tout récemment en Syrie, un président ne devrait pas s’inquiéter du rejet du Congrès. Il pourrait continuer à faire la guerre en toute impunité, en utilisant le chèque en blanc que le Congrès lui a fourni.

L’AUMF proposée violerait la Charte des Nations Unies. La Charte exige que les pays règlent leurs différends pacifiquement et interdit le recours à la force militaire, sauf en cas de légitime défense ou avec la bénédiction du Conseil de sécurité. La nouvelle AUMF permettrait au président d’attaquer ou d’envahir un autre pays sans exiger que l’attaque ou l’invasion soit menée en état de légitime défense ou avec la permission du conseil. Cela constituerait donc une violation de la Charte.

Quelle est la prochaine étape ?

M. Corker a prévu une audience du comité sur le projet de loi proposé pour lundi. Mais même si le projet de loi est adopté hors comité, il n’y a aucune garantie qu’il sera débattu au Sénat ou à la Chambre. Le leader de la majorité au Sénat, Mitch McConnell, et le président de la Chambre républicaine, Paul Ryan, n’ont fait preuve que de peu de désir pour autoriser la discussion d’une nouvelle AUMF.

Les AUMF de 2001 et 2002 devraient être abrogées, et le Congrès ne devrait pas en donner de nouvelle au président. Comme George Mason l’a dit avec sagesse au sujet du président « qu’il n’est pas sûr qu’on puisse lui faire confiance » concernant le pouvoir de la guerre.

Cet article a été publié à l’origine sur Truthout. Republié avec permission.

Marjorie Cohn est professeure émérite à la Thomas Jefferson School of Law, ancienne présidente de la National Lawyers Guild, secrétaire générale adjointe de l’International Association of Democratic Lawyers et membre du comité consultatif de Veterans for Peace. La deuxième édition mise à jour de son livre, Drones and Targeted Killing : Legal, Moral, and Geopolitical Issues, a été publiée en novembre. Visitez son site Web : MarjorieCohn.com. Suivez-la sur Twitter : @MarjorieCohn.

Source : Marjorie Cohn, Consortium News , 22-04-2018

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.