*Vinci, des profits de guerre aux profits de l’air*
Le numéro un mondial du BTP ne fait pas que du béton et du bitume. Il
trimballe aussi des casseroles.
*Du ciment armé à l’Armement*
Coté en bourse, partie prenante du CAC 40, Vinci est un groupe jeune qui
a une vieille histoire. Sous ce nom, Vinci n’existe que depuis l’an
2000. Mais le groupe de béton remonte à la fin du XIXe siècle, créé en
1899 par deux polytechniciens, Alexandre Giros et Louis Loucheur, et
vite surnommé Girolou avant de devenir la SGE, Société générale
d’entreprise. Le second a laissé son nom à une loi sur le logement et
les habitations à bon marché. Passé des affaires à la politique, Louis
Loucheur, industriel spécialiste du ciment armé se retrouve
naturellement à l’armement en 1916, sous-secrétaire d’État à l’Armement
et aux Fabrications de guerre. Malgré des accusations de « profiteur de
guerre» largement reprise par la presse en 1919, il sera élu
parlementaire, passera aux ministères du commerce, à l’industrie, au
travail, aux finances dans divers gouvernements.
*Le roi des concessions*
Ciment armé, centrales électriques, chemin de fer, la SGE qui a
poursuivi son activité est contrôlée dans les années soixante par la
Compagnie générale d’électricité, devenue Alcatel. Puis par
Saint-Gobain, puis par la Compagnie générale des eaux devenue Vivendi,
avant d’être rebaptise Vinci en devenant le leader mondial du BTP devant
Bouygues. Les différents secteurs et filiales de Vinci s’occupent de
transport, d’aéroports, d’autoroutes, de parkings, cumulant les
fonctions de construction puis de gestion. La nébuleuse de sociétés
comprend des entreprises comme Cofiroute et ASF, Campenon Bernard, GTIE,
Cegelec, Freysinnet, Dumez, Eurovia… De par le monde, Vinci se montre
le roi des concessions : deux ponts sur le Tage à Lisbonne, le tunnel du
Prado Carenage à Marseille, Coentunnel à Amsterdam, Stade de France,
stade du Mans, des aéroports de Lyon, Grenoble, Chambéry,
Clermont-Ferrand notamment, mais aussi trois aéroports au Cambodge, 4500
km d’autoroute en France, des autoroutes à péage en Allemagne, en Grèce,
les tramways à Lyon, Mulhouse, l’éclairage public et les feux de
circulation à Rouen. Pour le marché de l’aéroport de Notre Dame des
Landes, Vinci est associé à ETPO, Entreprise de travaux publics de
l’Ouest, chapeauté par la holding CIFE, Compagnie industrielle et
financière d’entreprise, qui me BTP et promotion immobilière.
*Marchés publics profitables*
Le groupe Vinci est très impliqué dans des opérations de partenariat
public-privé, dites PPP, qui sont en fait la transmission aux
entreprises capitalistes de services jusqu’ici publics, tant pour la
conception que pour la gestion opérationnelle. Les autoroutes en sont un
bon exemple, tout comme la construction et la gestion de prison
privatisées. Vinci est même une des premières sociétés accourues lors
des premières ouverture au privé à la SNCF, en commençant par se voir
octroyer la concession de la ligne Tours Bordeaux. On peut s’étonner que
le concept simpliste libéral du gagnant-gagnant fasse si facilement
passer pour une bonne opération ce qui est un mélange des genres entre
des élus parlant d’intérêt public et du groupe capitaliste manœuvrant et
œuvrant parfaitement pour faire fructifier ses profits. Les subventions
versées comme un seul homme par l’agglomération nantaise, le département
de Loire-Atlantique (l’Ille-et-Vilaine a refusé de marcher dans la
combine) et deux régions, Pays de la Loire et Bretagne servent donc à
construire une machine à profits, pour les actionnaires de Vinci. Pour
l’aéroport au Nord Ouest de Nantes, l’État a donc choisi Vinci. L’été
précédent le choix, le ministre des transports Dominique Bussereau avait
fait des voyages d’affaires avec les dirigeants de Vinci au Vietnam, en
Grèce. Pour signer et débattre avec les gouvernements vietnamien et grec
d’un «protocole d’accord pour la construction-concession » de routes
(600 millions de dollars à la clef pour Vinci au Vietnam) et des projets
ferroviaires, autoroutiers et aéroportuaires. Ça permet de déblayer le
terrain. L’État français joue ainsi moins l’ambassadeur que l’assistant
commercial à l’export de ce fleuron du capitalisme tricolore. Mais en
France, promis juré, les règles équitables de l’appel d’offres dictent
les choix.
*Service public passé privé*
L’État confie donc à la multinationale les manettes, sous les
applaudissement des édiles locaux. Ici essentiellement des socialistes,
convertis au libéralisme sans négliger le double discours de la
responsabilité sociale, tout en privatisant allègrement leur service
public, par exemple en ouvrant grande la porte à la mainmise à Veolia
sur les transports et l’environnement, ou en sous traitant le nettoyage
à des société privées, poussant vers la précarité des taches qui étaient
jusque là assurées par des fonctionnaires municipaux.
*Vieilles affaires*
Vis à vis du groupe Vinci, les socialistes nantais sont déjà en affaire,
Eurovia, filiale Vinci s’occupant par exemple de la maintenance du
tramway. Mais avec Vinci les socialistes retrouvent aussi de vieux amis
et de vieilles affaires. Au début des années 1990, le BTP a grandement
contribué aux financements occultes du parti socialiste. C’était
l’époque des fausses factures, et des enveloppes passées en marge des
appels d’offres. Trois réseaux de collecte de fonds sont en concurrence
au service des élus socialistes, Trager, Reyt (du nom des porteurs de
valises en chef de ces réseaux) et Urba. Outre la grande distribution,
le secteur du bâtiment et des travaux publics est le grand pourvoyeur de
ces sommes sous le manteau. « Sur certains chantiers, chaque coup de
pelle rapportait au Parti socialiste » relate la presse locale
(Ouest-France, 15 avril 1991). Parmi ceux qui se sont fait épingler dans
l’affaire Trager, figurent notamment la Sogea ou l’entreprise Jean
Lefebvre, depuis absorbées par Eurovia, toutes filiales de Vinci
aujourd’hui. «Arrêtons de jouer les hypocrites! Avant le loi du 15
janvier 1990, instaurant à la fois un financement public des partis et
un plafonnement des dépenses électorales, toutes les formations
politiques ont fait appel à des financements assurés par des
entreprises » en dehors de toute législation», avoue Jean-Marc Ayrault en
pleine tourmente des affaires de surfacturation et de financement
occulte de son parti (Presse-Océan, 18 juillet 1992).
*Les exploits russes*
Plus largement que dans le seul marigot nantais, on retrouve aujourd’hui
Vinci dans de nombreuses opérations douteuses : Vinci est mise en
difficulté pour construire une enceinte de confinement à Tchernobyl,
mais aussi accusée par l’ONG Transparency international de corruption de
bureaucrates du ministère russe des Transports, y compris le ministre,
et de destruction écologique pour le tronçon d’autoroute traversant la
forêt entre Moscou et son aéroport international de Cheremetiev (AFP, 20
juillet 2010 ). Bien sûr, chaque entité du groupe se proclame «
citoyenne », « engagée », « respectueuse de l’environnement »… Une
filiale d’Eurovia, Signature, a pourtant été condamnée en décembre 2010
à 18,5 millions d’euros pour entente illicite sur les marchés de la
signalisation routière, ce qui a eu pour effet de surfacturer les
panneaux à l’État et aux collectivités. Eurovia, toujours elle, a été
condamnée en mai 2010 pour « faute inexcusable » après la mort en 2008
d’un ouvrier du bitume, décédé suite à un cancer de la peau.
*Un patron réfugié fiscal *
La justice cherche aussi des noises à Antoine Zacharias, patron de Vinci
de 1997 à 2006, accusé d’abus de biens sociaux pour ses rémunérations.
Faut dire que le PDG a vu son salaire mensuel passer de 2,9 millions
d’euros en 2003 à 4,2 millions en 2005, grossissant du même coup
l’indemnité de départ (un golden parachute à 12,8 M d’euros) et la
retraite chapeau annuelle (2,1 M d’euros). C’était le premier grand
patron français du CAC 40 trainé devant un tribunal pour rémunération
abusive. Zacharias, qui a obtenu l’asile fiscal en Suisse et réside à
Genève, a été relaxé en première instance mais le parquet a fait appel
du jugement. Pour le moment la retraite chapeau annuelle de 2,1 millions
d’euros, la prime de départ et son salaire de 2005 restent donc acquis
au septuagénaire. Un siècle après les profits de guerre, l’argent brassé
par Vinci reste toujours aussi sulfureux.
Ce texte sur Vinci est extrait d’un livre à paraitre ce printemps.Titre
provisoire : « Aéroport de Notre Dame des Landes : Dégage, on
capitalise! », (avec un petit clin d’oeil au bouquin écrit sur le même
sujet en 1976, « Dégage, on aménage!« )
Depuis juin 2010, à l’occasion de la venue de la troupe de la revue Z,
un collectif d’une petite dizaine de personnes s’est formé pour écrire
un bouquin sur les enjeux de ce projet d’aéroport de Notre-Dame des
Landes. Notamment pour montrer que contrairement à l’enfermement voulu
par les promoteurs du projet lors du débat public bidon de 2003, ce
projet ne concerne pas que les riverains futurs et les paysans, mais que
c’est bien une question d’urbanisme, de compétition de villes, de
marketing territorial, de transformation en marchandise de l’offre
urbaine. Le lobby des partisans du projet, élus de droite et de gauche,
montre sa fascination pour la vitesse et la circulation qui se veut
aussi rapide que les capitaux. Le crédo aveugle dans le progrès et la
croissance atteste de la soumission aux logiques de marché. Rien à voir
avec un bien commun et un intérêt public. Témoignages de paysans et de
nouveaux occupants et points sur les autres luttes dans le monde, sont
complétés par un DVD qui présentera au moins deux films, l’un déjà
tourné et monté, l’autre en cours de tournage.
Intro au texte rédigé par un des rédacteurs du texte, et écrivains du bouquin.