Neuf personnes qui se sont installées en juin dans une maison vide depuis plus de dix ans, appartenant à la mairie, sont aux prises avec les huissiers.

«  Depuis que l’huissier est venu nous apporter le commandement de quitter les lieux dans les 48 heures, je ne dors plus », témoigne Natacha, habitante de la « maison kiwi ». « Nous partons au travail la peur au ventre car nous risquons chaque jour de ne pouvoir ni rentrer chez nous, ni récupérer nos affaires », appuient d’autres membres du groupe de neuf personnes qui vivent dans cette maison abandonnée depuis plus de dix ans, qui appartient à la municipalité lyonnaise.

À dix jours de la trêve hivernale

« Il est clairement inscrit sur le papier qu’après le 20 novembre, la mairie de Lyon pourra faire appel à la force publique pour nous expulser. À dix jours de la trêve hivernale, on ne s’attendait pas à ça ! » s’indigne Jonathan, un des premiers résidents qui ont investi en juin cette maison située dans le quartier Totem – Villette à cheval sur Villeurbanne et le 3earrondissement de la capitale des Gaules. «  On était quatre personnes, qui nous connaissions, à nous retrouver mis à la porte par nos propriétaires au même moment. Nous avions fait des demandes de logements sociaux qui n’aboutissaient pas, du coup nous avons décidé de nous installer dans cette maison abandonnée », témoigne le trentenaire. « Quand nous avons investi les lieux, le jardin était envahi par les ronces et le couloir était envahi par le courrier et les prospectus qui formaient un tapis de quatre mètres de long et 30 cm d’épaisseur. Il y avait des lettres datant de 2012 ! », se souvient Natacha. La petite équipe s’attelle donc au débroussaillage et à la remise en état de la maison.

Des étudiants rejoignent le groupe

Mais leur arrivée, pourtant discrète ne passe pas inaperçue : dès le 6 juin, un agent de la ville fait constater leur occupation illégale du bâtiment par des policiers et une procédure est immédiatement lancée. «  Cet employé municipal a été particulièrement hostile, il a même tenté de faire croire aux policiers qu’il devait faire visiter le bâtiment la semaine suivante pour qu’ils nous évacuent immédiatement. Or, ces allégations sont peu vraisemblables, vu que la porte d’entrée était obstruée par les montagnes de papiers », explique Jonathan.

En septembre des étudiants qui ne trouvaient pas de logement on rejoint le groupe ainsi que deux autres personnes qui y dorment quand elles viennent travailler à Lyon. Durant l’été, le petit groupe a fait connaissance avec ses nouveaux voisins. «  Après quelques marques d’hostilité au départ, maintenant tout se passe bien, certains sont même devenus des amis. Nous avons mis en place un jardin potager partagé et nous organisons des goûters et des ateliers créatifs », raconte Natacha. Pour officialiser cette action citoyenne, le groupe fonde même, en août, une association, « le jardin Kiwi », qui a vocation à favoriser la rencontre et le lien social. Elle tient son nom, comme la maison, de l’arbre gigantesque qui orne la terrasse. « D’ailleurs, à notre arrivée, les branches du kiwi menaçaient de soulever la toiture. Sans notre intervention, le toit ne serait sans doute plus étanche », précise la jeune femme.

Une seule réponse, par voie d’huissier

Début octobre, le jugement tombe : la mairie qui réclamait leur départ est reconnue dans ses droits. «  Nous avons alors sollicité différents services municipaux pour tenter d’obtenir une convention d’occupation temporaire. C’est le cas pour des artistes qui travaillent dans un grand hangar à proximité, alors nous avions pensé que cela pourrait intéresser la mairie », explique Jonathan. La seule réponse qu’ils ont obtenue est celle par voie d’huissier !

Du côté de la mairie, on se veut rassurant : « Le commandement qui leur a été remis est purement formel, assure Sandrine Runel, l’adjointe et charge des solidarités et inclusion sociale. On va bien sûr leur laisser le temps de la trêve hivernale pour trouver avec eux des solutions individuelles de relogement. » Pour ce qui est de la possibilité de mener une action citoyenne dans le lieu, l’élue a d’autres projets : «  Dès notre arrivée aux affaires, nous avons commencé à recenser les lieux vacants et nous allons les mettre à disposition d’associations qui assurent l’hébergement d’urgence de familles à la rue. Le besoin est hélas immense à Lyon. Et à moyen terme, un bailleur social en assurera la gestion. »

Des paroles apaisantes, mais pas adressées directement aux occupants qui restent dans l’inquiétude. Ce vendredi 21 octobre, ils viennent de recevoir une seconde visite de l’huissier de justice. Constatant qu’ils étaient toujours dans les lieux, il leur a signifié qu’il demandait à la préfecture le concours de la force publique pour les faire évacuer. Avant d’ajouter, devant le vent de panique qui gagnait le groupe, «  vous savez, avec le nombre de dossiers à traiter, il est fort probable que vous soyez délogés avant la trêve hivernale. » Quoi qu’il en soit, les habitants de la « maison kiwi » ne verront sans doute pas refleurir leur jardin au printemps, et doivent se préparer à dire adieu à leurs voisins, à leur arbre et à l’expérience de vie participative qu’ils ont initiée.

Le DAL dénonce les expulsions illicites avant la trêve

À l’approche du 1er novembre, qui ouvre une période de cinq mois durant laquelle il n’est pas légalement possible de chasser un occupant de son logement, l’association Droit au logement (DAL) dénonce la multiplication de cas d’expulsion manu militari, sans relogement ni hébergement. Elles sont décidées par les préfets, mais aussi par des bailleurs qui prennent l’initiative de se faire justice eux-mêmes, en expulsant leur locataire par la force, la menace, la ruse et la violence. Le DAL demande l’application de l’article 226-4-2 du Code pénal, qui punit l’expulsion illicite de peines de prison et d’amendes.

https://www.humanite.fr/lyon-les-occupants-de-la-maison-kiwi-en-sursis-725054

 

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