« Cette fois, j’ai emporté mon casque », lance Claude Lévy, responsable du syndicat CGT des hôtels de prestige et économiques (HPE), à Paris, qui est implanté dans une vingtaine d’établissements. Le casque, ce n’est pas pour aller soutenir, comme il l’a beaucoup fait ces derniers mois, une manif de femmes de chambre en grève dans un palace, où l’ambiance est plutôt aux danses africaines. M. Lévy se rend en réalité au congrès de la fédération CGT du commerce, des services et de la distribution, qui se tient à Vichy jusqu’au 28 novembre, et auquel est rattaché son syndicat HPE.
Le coup du casque, « c’est une blague », rigole-t-il aussitôt. Mais une blague qui n’a rien d’anodin. Lors du précédent congrès fédéral, en 2011, à Poitiers, lui et une cinquantaine d’autres militants « opposés à la ligne fédérale » avaient dû prêter main-forte à des délégués qui s’étaient vu refuser l’entrée. « Le service d’ordre de la fédé nous a balancé des gaz lacrymo ! », s’enflamme encore M. Lévy.
Le syndicat CGT HPE compte 600 adhérents dans une vingtaine d’hôtels
Né en 2001, le syndicat CGT Hôtels de prestige et économiques (HPE), qui compte près de 600 adhérents, ne couvre pas tous les hôtels de la capitale. Il est issu des sections d’entreprise des établissements de l'empire Taittinger.
Lorsqu'ils ont été vendus en 2005 au fonds américain Starwood Capital, la CGT HPE a conservé le même périmètre d'implantation, soit une vingtaine d'hôtels. Elle comprend un pôle hôtels de prestige, incluant les sept palaces Hyatt, le Crillon, le Lutetia, l'Ambassador etc., et un pôle hôtels économiques, ceux du groupe Louvre Hôtels (Première Classe, Campanile, Kyriad, etc.). Ce dernier est en voie d'acquisition par le Chinois Jing Jiang.
Tous les autres adhérents individuels CGT ou les sections des autres hôtels parisiens sont, eux, rattachés à l'Union syndicale du commerce et des services de Paris. C'est le cas par exemple du Royal Monceau, où les femmes de chambre ont mené avec succès une grève de plus d'un mois en octobre.
Des conflits internes à la CGT, voire des « dérives », M. Lévy peut en relater d’autres, comme les « pratiques mafieuses et de corruption » du syndicat d’un secteur, qu’il a dénoncées. L’homme n’est donc pas seulement un militant syndical très engagé. C’est aussi une grande gueule qui « ne supporte pas l’injustice et la malhonnêteté » au sein de la CGT, ni sa « bureaucratisation ». « Au printemps 2013, nous avons été à deux doigts de l’'exclusion de la CGT, se remémore-t-il. Parce que nous avions eu le culot d’alerter la confédération CGT sur le fait que la fédération n’avait pas voulu que notre syndicat HPE soit représenté au congrès confédéral alors qu’on pèse 600 adhérents ! »
Dans son courrier à la confédération, la CGT HPE ne mâchait pas ses mots, comparant les dirigeants de la fédération « aux Poutine, El Assad et autres dictateurs, le sang en moins ».
L’exclusion éventuelle de la CGT n’est pas vraiment un souci pour lui, porté par le soutien de salariés d’hôtels où, ensemble, ils ont remporté pas mal de victoires. En septembre, au Park Hyatt Vendôme et au Hyatt Paris Madeleine, des grèves ont ainsi permis de conquérir une hausse du salaire horaire des personnels du nettoyage de 2 euros.
La rencontre de Claude Lévy, 55 ans, né au Maroc, avec les petites mains des grands hôtels est née d’une suite de rencontres en zig-zag. Arrivé du Maroc où il est né, il vit à Nice jusqu’en 1981. « A 18 ou 19 ans, j’ai connu dans le vieux Nice des amis très engagés au Parti communiste, raconte-t-il. J’ai travaillé environ 18 mois comme cuisinier dans une coopérative qui faisait restaurant-librairie-théâtre… C’était très sympa. » Une première vision du monde du travail, qui va ensuite être complètement chamboulée.
Venu à Paris, en 1981, il est embauché par « Le nouveau courrier de la Presse Lit Tout », en tant que « lecteur de presse ». Son travail consiste à « surveiller » la presse pour des clients intéressés par tel ou tel sujet. Il prend sa carte à la CFDT, seul syndicat présent et est élu délégué du personnel. Il commence aussi à devenir défenseur syndical devant les conseils des prud’hommes.
C’est dans cette entreprise qu’il vit son « premier choc avec le monde du travail » et que naît sa révolte. « On était exploités. On lisait les journaux toute la journée avec un éclairage inadapté. J’en suis devenu myope. Pour changer une chaise, c’était la croix et la bannière. » En 1985, il perd son emploi mais gagne son procès pour licenciement abusif.
Il rend sa carte à la CFDT en 1986, à l’occasion de la loi Delebarre de 1986 sur l’aménagement du temps de travail, « que la CFDT soutenait plus ou moins. ». Il ira manifester avec la CGT. Début 1987, « on me propose de renforcer l’équipe de l’Union locale (UL) CGT du 17ème arrondissement de Paris, où se trouvent beaucoup d’hôtels, et de m’occuper du secteur du nettoyage ». L’UL lui demande de prendre en charge le secteur juridique.
Le droit social, Claude Lévy l’apprit sur le tas. « Quand j’ai tenu mes permanences juridiques, j’ai eu mon second choc avec le monde du travail. Je recevais des salariés du nettoyage exploités, qui avaient des horaires impossibles, recevaient des sanctions pour un oui ou un non. Comme beaucoup étaient des immigrés illettrés, le patron leur faisait signer n’importe quoi, par exemple une lettre de démission en leur disant qu’il s’agissait d’un avenant à leur contrat de travail. J’ai été révolté de voir qu’il existait des syndicalistes corrompus qui permettaient aux patrons de continuer cette politique. »
Ce « refus de la corruption » est sa marque de fabrique. Elle a permis dans certains hôtels de donner un essor à son syndicat, à l’occasion de conflits. Comme au Concorde Lafayette, porte Maillot à Paris, devenu récemment le Hyatt Regency Paris Etoile. C’est là que se trouve le siège de la CGT HPE. Dans cet établissement, le syndicat compte 40 délégués, 210 adhérents (dont des sous-traitants) sur un effectif total de 700 salariés. Aux élections professionnelles, il réalise un score de 70 %. L’implantation de la CGT dans les hôtels de luxe, qui peut surprendre, a aussi une explication sociale. « Elle est liée au déphasage entre le niveau de vie de clients milliardaires et celui des salariés, explique M. Lévy. Et avec le phénomène de la sous-traitance du nettoyage, qui était impensable à la fin des années 80/début des années 90, peu à peu, les salariés ont commencé à se rebeller. »
Depuis 1987, Claude Lévy est un permanent CGT, rémunéré par son syndicat HPE. « Mon salaire est payé par les adhésions à la CGT HPE et par les frais de justice (article 700) accordés par les juges prud’homaux quand on gagne un procès. Et on fait beaucoup de dossiers. » Ces ressources financières ont aussi permis à ce syndicat de se constituer « un bas de laine », avec « une caisse de grève, un cas quasi unique à la CGT », selon le militant.
Sa plus belle lutte ? C’est la grève de 34 jours en septembre 2012 des personnels de nettoyage sous-traitants des hôtels Campanile et Première classe à Suresnes (Hauts-de-Seine), appartenant au groupe Louvre Hôtels. Elle a abouti à ce qui est l’objectif central de la CGT HPE : l’intégration dans les effectifs des salariés sous-traitants, le 1er août 2013. Une épopée que retrace le film documentaire « On a grèvé », de Denis Gheerbrant, sorti en salle en septembre 2014. De plus, Louvre Hôtels a élaboré une charte de la sous-traitance. qui bannit le paiement des salariés à la chambre -et non à l’heure-, une modalité illégale mais très répandue. Elle prévoit aussi l’internalisation progressive des femmes de chambre dans 5 établissements de la chaîne, entre le 1er novembre 2014 et le 1er janvier 2015. Sans qu’un jour de grève ait été nécessaire.