Par Pepe Escobar – Le 5 août 2017 – Source Asia Times
Malgré l’imbroglio à la frontière de la Chine et de l’Inde, la guerre économique des USA contre la Russie et autres tribulations, les ministres du commerce des cinq pays se sont concentrés sur l’amélioration de leur coopération.
Les ministres du commerce des cinq pays des BRICS (le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud) se sont réunis cette semaine à Shanghai, avant le sommet annuel des chefs d’État à Xiamen le mois prochain.
Le paysage se brouille. La Chine et l’Inde sont embourbées dans une confrontation idiote, presque à la Monty Python, à propos de la jonction tripartite Tibet/Sikkim/Bhoutan, avec des attaques répétées du journal People’s Daily éreintant l’Inde pour sa « réécriture de l’histoire, sa logique désordonnée et son assurance morale aveugle ».
L’Inde a de facto snobé la nouvelle Route de la soie chinoise, alias Initiative Belt and Road – le plus ambitieux projet d’infrastructures du XXIe siècle – alors que la Russie veut voir la nouvelle Route de la soie fermement intégrée dans l’Union économique eurasienne (UEE).
La Russie est dans la deuxième phase d’une guerre économique déclenchée par les USA, et férocement dénoncée par le Premier ministre Dmitri Medvedev.
Le Brésil, pris en otage par un Parlement de tarés et « présidé » par un escroc vampirique rejeté par 95% de la population, a basculé depuis l’année dernière dans la forme la plus flagrante d’une république bananière de l’histoire moderne, goût des bananes inclus.
Pour ajouter à la morosité ambiante, les Cassandres proverbiaux insistent sur le fait que les BRICS ne deviendront jamais une puissance économique unifiée ; ce qui compte pour la Chine est sa chaîne logistique mondiale, alors que les autres pays sont essentiellement des exportateurs de biens. De plus, même en tenant compte de la nouvelle banque de développement du groupe, ouverte à Shanghai depuis deux ans en alternative à la Banque mondiale, les BRICS ne sont pas crédités d’assez de puissance pour remodeler l’économie mondiale.
Tout concerne la nouvelle Route de la soie
Depuis 2001, les BRICS ont, de fait, adopté un processus de progrès lent et régulier, tout en évitant une mentalité réductrice du type « le gagnant emporte tout ». Le dernier exemple en est ce qui s’est passé cette semaine à Shanghai, que le Ministre du commerce chinois Zhong Shan a salué comme « un grand succès ».
Les ministres du commerce se sont concentrés sur la création des conditions d’une meilleure coopération en matière d’investissements, de e-commerce et de protection des droits de propriété intellectuelle – dans le but de coordonner progressivement leurs politiques commerciales.
La Chine et le Brésil, par exemple, des partenaires-clés en matière d’infrastructures, d’énergie et de télécommunications, ont signé un mémorandum d’entente [qu’est-ce-que c’est ?] pour l’amélioration de leurs échanges de services dans huit secteurs : l’ingénierie, l’architecture, le commerce électronique, l’automatisation bancaire, le fret maritime, la santé, la finance, le développement de villes intelligentes et le tourisme. Ce mémorandum fournira le cadre de la coopération dans le domaine des services pour les autres pays des BRICS.
Une autre bonne nouvelle est que Pékin s’engage à ouvrir davantage le marché chinois aux importations des BRICS – et que le président Xi Jinping lui-même se mobilise dans une campagne contre le protectionnisme commercial. Au cours des six derniers mois, les importations chinoises venues des BRICS ont augmenté de 33%. Et la Chine accueillera une exposition internationale d’importations l’année prochaine à Shanghai.
L’argument décisif est venu du ministre Zhong : « Nous espérons que les BRICS pourront étendre leur coopération économique dans le sens de l’Initiative Belt and Road. Cela aidera à mieux répondre aux défis apportés par l’incertitude de l’économie mondiale et permettra d’engendrer un nouvel élan de croissance. »
Oui, tout concerne la nouvelle Route de la soie
Ce que les Cassandres patentés ne comprennent pas, c’est que le groupe des BRICS cherche à travailler selon un autre modèle, une « plateforme d’agrégation », quelque chose qui est débattu aux plus hauts niveaux, tout particulièrement dans le cadre du partenariat stratégique russo-chinois.
Chaque membre des BRICS est, de fait, une économie majeure de son continent ou de sa région, insérée dans un arrangement régional d’intégration : la Russie dans l’UEE ; le Brésil dans le Mercosur ; l’Afrique du Sud dans la Communauté de développement d’Afrique australe (CDAA), l’Inde dans l’Association sud-asiatique pour la coopération régionale (ASACR) ; et la Chine dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS) et dans le Partenariat économique régional global (Regional Comprehensive Economic Partnership, RCEP) prévisionnel. Inutile de mentionner que la Russie et l’Inde sont déjà membres de l’OCS.
D’où l’idée soutenue avec enthousiasme par la Chine d’un BRICS+, à savoir une expansion inévitable unifiant tous les pays partenaires des BRICS dans le cadre de leurs arrangements régionaux d’intégration.
Ensuite, nous avons ce qui a alimenté les débats à huis clos des sommets des BRICS depuis une décennie : la capacité montante, notamment de la Chine, à porter, à tout le moins, des coups sérieux au pétrodollar.
Ajoutons-y l’engagement russe, après la dernière déclaration de guerre des sanctions concoctées par The House of Cards – pardon, le Capitole de Washington – de contourner de plus en plus le dollar.
Et le jour arrivera où Pékin exigera, mondialement, que les ventes d’énergies soient libellées non plus en dollars américains, mais en yuans – de la même façon que les BRICS, depuis déjà un moment, commercent entre eux dans leurs monnaies locales. C’est vers cela que nous nous dirigeons, lentement mais sûrement, et c’est l’inexorable changement de donne qui fera taire les Cassandres une fois pour toutes.
Pepe Escobar
Traduction Entelekheia