Il paraît qu’ils sont en souffrance donc, ces gens, et que c’est parce qu’il sont en souffrance que leurs bulletins de vote portaient le nom de Marine Le Pen. Ils n’en peuvent plus, ils sont au bout du rouleau, ils votent pour dire non comme on crie, paraît-il. Depuis quelques jours tout le monde devient thérapeute électoral, spécialiste en colère du peuple pas compris, en décryptage de bout du rouleau. On leur trouve des circonstances atténuantes, on comprend leur désarroi, on imagine très bien leurs colères… La droite, par la voix de son leader particulièrement en verve en ce moment, pense même que le Front National n’est pas incompatible avec la République, Gérard Longuet qui n’oublie décidément pas sa jeunesse brune pense que Marine est fréquentable, il faut juste bien caler le rencard entre deux bals neo-nazis en Autriche.
C’est parce qu’ils souffrent, donc, que leurs bulletins de vote sentent le bouc émissaire, le responsable de tous nos maux, allez disons-le : l’émigré. Celui qui vient en masse, celui qui ne pense qu’à nourrir les siens restés au bord du bled, qui profite de la générosité de notre si-bon-si-con de pays, celui qui prie à genoux dans les rues, qui égorge des moutons dans sa baignoire, celui qui fait de ses enfants des dealers et des fouteurs de merde, et de sa femme une « Toto Solde » ambulante, celui qui ne respecte pas nos lois ni nos coutumes, mais qui au contraire, tente de nous imposer sa vie, ses mœurs, son oeuvre.
J’étais dans un magasin de bricolage à côté de chez moi à la campagne, cette campagne qui vote FN de plus en plus. Je furetais dans les rayons à la recherche de papier abrasif, un homme parlait aux caissières, il improvisait un petit meeting politique car il parlait fort, il parlait de la gauche, de cette gauche criminelle qui veut la mort de sa petite entreprise, nous étions au lendemain du premier tour, il ne restait donc que Hollande et Sarkozy et il affirmait pourtant que si la gauche passait, le smic passerait à 1700€ - proposition de Mélenchon mais on n’est pas à ça près la gauche c’est la gauche, « si c’est ça je ferme la boutique » disait-il, les caissières approuvaient commercialement, alors il continuait mon PME, il parlait de plus en plus fort, il passait au stade supérieur, nous disait qu’il a voté Front National car il en a ras-le-bol de cette gauche ! Chirac et Sarkozy doivent être de gauche donc, puisque ce sont eux qui gouvernent depuis dix ans, cette gauche qui donne toujours aux mêmes, « hein, vous voyez qui je veux dire ? » Et au bout de trois minutes de ce discours si argumenté et pertinent, il ouvre les vannes amères, « Y’en a marre de ces bougnoules ». En quelques phrases, cet homme est passé de commentaires politiques qui valaient ce qu’ils valaient, à l’insulte à caractère raciste. Une poignée de secondes pour retrouver cette odeur d’œuf pourri de la stigmatisation, de la mise au pilori de l’autre quel qu’il soit…
Et pourtant il y a des gens qui souffrent en France, c’est une réalité qui nous fait honte, il y a des pauvres, des vrais, c’est à dire des gens qui n’ont rien, pas d’engins agricoles, pas de toutes petites entreprises au bord de la crise, pas de fond de commerce, pas de petit studio à Nice, pas de bar PMU en passe d’être racheté par un chinois, rien, des gens qui n’ont vraiment rien et qui se retrouvent au chômage sans savoir comment ils vont rembourser leurs dettes, des gens incommodés par leurs voisins quels qu’ils soient, des gens qui regardent leur quartier ou leur ville se dégrader, des gens qui tiennent à leurs coutumes, à l’histoire de leur pays, à leurs racines chrétiennes, des gens qui sont aussi choqués par l’extrémisme religieux d’où qu’il vienne, et qui pourtant ne voteront jamais Front National, qui n’auront jamais envie de reporter leur difficultés de vivre sur la tête de quelqu’un. Il y a des gens en France qui ne diront jamais au bout de deux ou trois minutes de réflexion politique, des mots comme « bicot », « crouille », « bougnoule », « négro », « youpin », « chinetoque », « niakoué », et compagnie… Des gens qui ne peuvent se résoudre à réduire le monde à des schémas de causes à effets dignes des cours de récréation d’école primaire. Ma grand-mère a souffert pendant la dernière guerre mondiale, elle a perdu son père et son frère sous les balles allemandes et pourtant je ne l’ai jamais entendu parler des allemands actuels en les qualifiant de « boches »… La souffrance a en elle de la dignité, regardez tous ces gens qui sortent des tribunaux parents de victimes ou victimes eux même, rares sont ceux qui se laissent aller à tenir des propos dégradants sur les responsables de leurs souffrances. Dans leurs cas, le responsable est souvent là sous leurs yeux, il existe, il peut se pointer du doigt facilement et pourtant ils ne le font pas.
Je dénie tout caractère de souffrance au vote FN, réservons ce mot grave à celles et ceux que la dignité élève dans le malheur, pas ces rabougris de la vie qui ne jurent que par la France et qui pourtant l’insultent de Bleu Blanc Rouge, de Jeanne d’Arc crucifiée, et de 1er Mai Viollet Le Duc.
La colère est ingrate, elle rend le visage laid et le bulletin lepéniste. À les écouter, ces colériques du bulletin, la France est une passoire, un pays envahi, une zone de non droit, un pays corrompu, la justice française une vieille dame laxiste qui ne voit plus très bien les plateaux de sa Roberval, et l’école publique un centre de recrutement pour futurs djihadistes… Une France caricaturée, une France de fantasmes, une France comme un déversoir d’ignorance et d’aigreur, une France de non pensée car voter FN c’est voter pour quelqu’un qui n’a pratiquement aucune chance de se retrouver à l’Elysée ou Matignon, on peut donc lui refourguer à ce candidat tout ce qui traine dans la cave et le grenier, voilà c’est ça ce vote, c’est du vide-pensée comme il y a des vide-greniers.