• ET MERCI QUI ?????????????????

    Cyril LAZARO

     
    Mercredi 30 novembre 2011 3 30 /11 /Nov /2011 19:04

    Ces salariés "contraints" d'accepter une rupture conventionnelle

    Alors que le chômage augmente, le dispositif de la rupture conventionnelle connaît un succès sans précédent depuis sa création, en 2008. Accusées par certains syndicats de remplacer les licenciements, 137 000 ruptures conventionnelles ont été officialisées au premier semestre 2011, soit 6,4 pour 1 000 salariés. 15 000 de plus que sur la même période de 2010.

    Parallèlement, le nombre de licenciements classiques diminue sans cesse, ce qui pourrait en effet faire penser que les ruptures amiables prennent leur place. Ce lien n'a toutefois encore été prouvé par aucune étude.

    Le Monde a demandé à ses lecteurs de témoigner de leur expérience de la rupture conventionnelle, également appelée licenciement à l'amiable. La plupart des témoignages recueillis via Le Monde.fr font état d'un choix certes assumé, mais qui comporte une part de contrainte non négligeable.

    "J'ai pu licencier ma vendeuse dans de bonnes conditions." A 52 ans, Michel (le prénom a été modifié) est en train de vendre sa librairie, à Perpignan. Le repreneur ne pouvant maintenir l'emploi à temps partiel de sa vendeuse, Michel, employeur, a décidé de lui proposer une rupture conventionnelle "pour la favoriser". "Je l'emploie depuis dix ans et je suis très content de son travail. J'ai donc voulu l'arranger au maximum : je l'ai augmentée les trois derniers mois et j'ai calé les indemnités de rupture sur ce salaire. En tout, je lui ai versé 6 000 euros, qui vont permettre de compenser la différence pendant deux ans entre son salaire et les indemnités chômage", explique-t-il. Une solution satisfaisante "pleinement pour moi et pour elle. Il est plus pratique que son contrat se finisse avec moi dans de bonnes conditions que licenciée sans garantie par le repreneur".

    "On m'a proposé soit une rupture conventionnelle, soit un licenciement." Ahmed B., 46 ans, a subi en 2010 une rupture conventionnelle qu'il dit ne pas avoir choisie. "Après un arrêt longue maladie, on m'a fait comprendre à mon retour qu'on ne voulait plus de moi par des comportements vexatoires", affirme cet ancien cadre dans une association d'éducateurs spécialisés basée à Paris. "Après plusieurs mois de harcèlement, le directeur m'a convoqué à un entretien préalable au cours duquel il s'est dit prêt à m'inventer une faute grave pour justifier un licenciement. Mais il m'a proposé une alternative : la rupture conventionnelle."

    Fatigué par ce qu'il considère comme un harcèlement, il accepte de partir avec trois mois de salaire pour une ancienneté de deux ans. Un an plus tard, Ahmed B. dit désormais "avoir un sentiment de culpabilité. J'ai été très faible, je le regrette. Je songe désormais aux prud'hommes parce qu'un employeur n'a normalement plus le droit de proposer une rupture conventionnelle alors qu'il a lancé une procédure de licenciement".

    "La rupture conventionnelle a été utilisée pour me déstabiliser." Ce harcèlement qui aboutit à une proposition de rupture, Christelle D. dit également en avoir fait les frais. A 34 ans, cette ancienne responsable RH d'une société de transports de l'agglomération grenobloise estime avoir été poussée à bout, avant qu'on lui fasse cette proposition. "Lorsque la DRH est partie, on m'a vadrouillée dans l'entreprise en me retirant toutes mes responsabilités. Après plusieurs mois d'un tel traitement, j'ai été convoquée à un entretien au cours duquel la direction m'a proposé une rupture conventionnelle. J'ai fondu en larmes, j'ai voulu me suicider", assure-t-elle.

    Pour autant, elle refuse de partir : "J'ai ma fille à élever." Mais elle s'arrête pour dépression et obtient que sa maladie soit classée en accident du travail. Deux semaines après, elle est licenciée pour faute grave, assure Christelle D., toujours arrêtée plus d'un an après les faits. Elle a saisi les prud'hommes et porté plainte au pénal pour harcèlement. "Dans mon cas, la rupture conventionnelle a été utilisée pour me déstabiliser. Il y a une vraie dérive", défend-elle, certaine d'avoir eu raison de ne pas l'accepter. "Les tribunaux pourront reconnaître que je suis la victime et me permettre de me reconstruire."

    Une rupture conventionnelle plutôt qu'une longue bataille. D'autres internautes confirment avoir vu dans la rupture conventionnelle un moyen d'éviter le long calvaire d'un licenciement ou d'un harcèlement pour pousser à la démission. Arnaud (le prénom a été modifié), 57 ans, cadre dans un établissement de santé privé breton, a immédiatement senti lors de l'arrivée d'une nouvelle directrice, en août, qu'il n'était plus désiré dans l'entreprise. "Elle m'a envoyé des lettres pour me faire des reproches puis convoqué pour un entretien pour les lister." Il préfère prendre les devants en proposant immédiatement une rupture conventionnelle. "Je n'avais pas envie de me battre avec une personne qui allait me faire déprimer", assure-t-il. Avec deux ans d'ancienneté, il obtient trois mois de salaire. Même s'il se dit satisfait de l'existence de cette procédure, il ne se fait pas d'illusions : "C'est contraint et forcé que j'ai proposé une rupture conventionnelle. Sinon c'était soit la démission, soit le licenciement."

    Ils ont préféré négocier plutôt que de s'opposer à la rupture conventionnelle. Dans certaines grandes entreprises, la rupture conventionnelle est désormais intégrée dans les méthodes de ressources humaines. Bernard (qui a préféré avoir son nom modifié), 46 ans, a quitté en août son poste de cadre marketing dans une grande multinationale de l'électroménager. "Au sein de l'entreprise, nous savons qu'il y a régulièrement des ruptures conventionnelles et que c'est un moyen de pousser les gens dehors. J'ai immédiatement senti quand mon tour est arrivé", assure-t-il, "on m'a fait des courriers et des allusions régulières pour me dire que mes résultats n'étaient plus satisfaisants".

    Lui refuse de se battre"je ne m'y voyais plus d'avenir"– et préfère négocier sur le montant de ses indemnités. Il obtient deux fois plus que les indemnités légales de licenciement. "Les collègues qui se sont battus devant les prud'hommes ont obtenu autant, mais après s'être battus plusieurs années devant les tribunaux", lâche-t-il, satisfait.

    Même situation pour Joséphine (au nom modifié à sa demande), qui a proposé d'elle-même une rupture conventionnelle lors de son arrêt maladie. "Mon patron faisait tout pour que je ne revienne pas, j'ai préféré prendre l'initiative." Elle obtient des indemnités deux fois supérieures au minimum légal, ce qui la satisfait pleinement. "Je suis très contente de cette procédure qui m'a permis de repartir de zéro", défend-elle.

    La rupture conventionnelle ne remplace pas les licenciements économiques. Les témoignages recueillis sur Le Monde.fr corroborent une étude sur le sujet menée actuellement par le Centre d'étude de l'emploi (CEE). "Nous avons interrogé en face-à-face une centaine de personnes qui sont parties en rupture conventionnelle", explique Evelyne Serverin, directrice de recherche au CNRS, associée au CEE.

    "Nous avons observé que les ruptures conventionnelles interviennent souvent dans des conditions comparables à celles de la prise d'acte de rupture de contrat de travail [quand le salarié quitte son emploi sur le champ en reprochant des faits à son employeur et part ensuite devant les prud'hommes pour tenter de le faire reconnaître en licenciement sans cause réelle et sérieuse]. La plupart du temps, les salariés ne sont ainsi pas à l'initiative de la rupture conventionnelle, mais sont contents de partir car leurs conditions de travail se sont trop dégradées et que partir est la seule solution." Pour cette chercheuse, "la rupture conventionnelle ne remplace pas les licenciements économiques, elle est trop complexe pour traiter de nombreux cas simultanément".

    Jean-Baptiste Chastand Source lemonde.fr

     
     
     

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