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    Mercredi 18 avril 2012 3 18 /04 /Avr /2012 14:34


    Par DESIRS D'AVENIR HERAULT

    Spéculation sur la dette française : l'Allemagne reste muette

    | Par Ludovic Lamant

    sarko affiche merkel

     

    « Ma position, ce serait de demander aux autorités allemandes de faire annuler cette introduction (...) Il faut casser la spéculation en cassant un certain nombre de produits qui l'encouragent. » L'offensive de François Hollande, vendredi soir, dans un entretien à Mediapart, contre un produit financier commercialisé depuis ce lundi par la société allemande Eurex, et qui pourrait faciliter la spéculation sur la dette française, continue de provoquer des remous. 


    Nicolas Sarkozy, en particulier, n'a pas manqué de railler la menace du candidat socialiste, lundi sur France-2 : « Ça va impressionner, l'intervention de M. Hollande ! » a-t-il grincé. Et de préciser : « La question n'est pas d'en vouloir à tel ou tel produit, la question est de rembourser ses dettes et diminuer son déficit. » Avant le Parti socialiste, le Front de gauche, Europe Ecologie-Les Verts et le Front national étaient montés au créneau la semaine dernière, pour critiquer ce contrat sur les obligations françaises à dix ans, imaginé par une filiale de la Deutsche Börse (lire notre article sur Mediapart).


    Mais François Hollande est le premier à avoir esquissé une méthode pour s'en défaire : demander au voisin berlinois l'interdiction de cette pratique, qui élargit l'éventail des possibles pour parier “contre la France” sur les marchés.
     

    Joints par Mediapart, les services de la représentation allemande à Bruxelles n'ont pas souhaité prendre position dans ce débat « très lié à la campagne présidentielle française ». Même position pour le ministère des finances à Berlin. Plusieurs eurodéputés allemands ont eux aussi refusé toute déclaration. Mais qui a raison ? Le scénario brandi par François Hollande est-il crédible ? Au-delà des déclarations musclées de campagne, quelles sont les marges de manœuvre des politiques pour en finir avec la spéculation sur les dettes souveraines ?


    À Bruxelles, les avis sont extrêmement mesurés sur la dangerosité de ce nouveau produit dérivé. « Ce ne sera pas l'Armageddon des marchés », reconnaît Shahin Vallée, un économiste conseiller d'Eva Joly, qui regrette toutefois que les autorités françaises n'aient pas, d'une manière ou d'une autre, sonné l'alarme plus tôt. Nombreux sont les experts à rappeler que ce type de contrats à terme ont existé, sur la dette française, jusqu'en 1999, avant d'être suspendus.


    Surtout, les défenseurs de ces nouveaux produits, censés “couvrir le risque” en cas d'une baisse de prix, mettent en avant le précédent italien. Le volume des contrats à terme sur la dette italienne, deux ans après leur commercialisation, n'a pas décollé – il représente un milliard d'euros de dette échangé par jour, contre un total de 1 900 milliards d'euros pour la dette italienne. À comparer, surtout, aux 60 milliards d'euros échangés chaque jour sur la dette allemande via le même type de produit.


    Les premiers échanges, ce lundi, sur la dette française, microscopiques, tendent à confirmer ce scénario plutôt rassurant. En fait, ce sont les obligations allemandes qui attirent massivement les “investisseurs” sur les marchés, et ce nouveau produit d'Eurex sur la dette française n'y changera sans doute pas grand-chose. Mais pourquoi, alors, prendre un tel risque ?

    Que fait l'autorité européenne de régulation des marchés ?

    En fait, l'introduction, en douce, à une semaine du premier tour de la présidentielle, de ce type de contrats, en dit long sur l'absence d'une véritable autorité européenne, qui puisse tester, homologuer, et interdire si nécessaire, des produits financiers difficiles à cerner. Première difficulté : l'AMF, l'Autorité des marchés financiers, est hors-jeu, de l'aveu même de son président, Jean-Pierre Jouyet. Elle n'a aucune prise sur ces contrats émis par une société privée allemande. 


    Deuxième scénario, celui évoqué par François Hollande : en passer par le régulateur allemand, la BaFin. D'un point de vue technique, c'est tout à fait possible. Des précédents existent. Arguant de tensions particulièrement vives sur le marché de la dette, Berlin avait, dès 2010, interdit certains types de ventes “à découvert” – l'une des principales techniques pour spéculer sur la dette d'un État (vendre à l'instant t un produit que l'on ne détient pas encore, en pariant sur une baisse du prix de ce titre à l'instant t +1, pour empocher la différence).

    À partir de novembre prochain, ce seront tous les “CDS à nu” (ces garanties contre un défaut d'un État, mais que certains investisseurs détiennent et échangent, sans posséder, en même temps, de la dette de l'État en question), qui seront interdits à l'échelle de l'ensemble de l'Union


    Mais le cas des contrats à terme sur la dette française n'est pas exactement le même que celui de ventes “à nu”. « Je ne vois pas pourquoi l'Allemagne suspendrait les contrats à terme sur la dette française, alors qu'elle autorise au même moment les mêmes produits sur les dettes de l'Allemagne ou de l'Italie, sans que cela pose problème...», note un diplomate européen, sceptique. Car les contrats à terme auraient, à l'inverse des CDS, une utilité, en garantissant, par exemple, la “liquidité” des marchés. 


    Reste une dernière option : l'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA), sur pied depuis 2011, à Paris, pourrait intervenir. Mais cette structure, encore en rodage, s'avère inexistante sur le dossier. Elle semble jusqu'à présent sous-équipée, en termes de moyens financiers autant qu'humains. C'est sans doute l'une des leçons de la polémique en cours.


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