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    Par DESIRS D'AVENIR HERAULT

    Le spectre d'un krach

    | Par Martine Orange

    Par superstition, personne n'ose prononcer – encore ? – le mot. Ce qui se passe pourtant en ce moment sur les marchés est en train de prendre les allures d'un krach. Actions, obligations, monnaies, tout est balayé par le vent de la panique. Et la spéculation s'en donne à cœur joie.

    Sur les marchés boursiers, la liquidation coûte que coûte semble être devenue le mot d'ordre. A la mi-séance, Wall Street perdait plus de 3%. En Europe, Francfort terminait en chute de 3,40%, Londres en baisse de 3,20%. Paris affichait une chute de 3,90% à la clôture. Et la baisse aurait certainement été encore plus forte si le système de cotation Euronext n'était tombé en panne, pour la quatrième fois en moins d'un mois, comme par hasard à chaque fois qu'une forte baisse est à l'œuvre.

    Dans le même temps, les dettes publiques dans la zone euro continuent d'inquiéter. Même si Madrid a réussi ce matin à lever plus de 3 milliards de capitaux, l'opération s'est faite à un prix très élevé: 4,8% pour des obligations à deux ans à peine. Chère démonstration que le gouvernement espagnol ne souhaite pas renouveler: la ministre espagnole des finances a annoncé jeudi soir que le gouvernement renonçait à sa prochaine émission prévue le 18 août.

    Les rendements sur les obligations espagnoles et italiennes à dix ans restent accrochés au-dessus du seuil critique de 6%. Et la contagion continue de gagner la zone euro. L'autorité financière britannique (Financial services authority) a demandé aux banques anglaises de faire le point sur leur exposition à la dette belge. Cela revient presque à désigner la prochaine victime: avec un endettement supérieur à 100% du PIB, la Belgique, en proie à une interminable crise politique, est, il est vrai, une cible de choix pour la spéculation.

    Cette nouvelle crise obligataire de la zone euro est en train de se transmettre aux banques. Relevant les arcanes compliqués de la finance mondialisée, un rapport des banques centrales avait souligné il y a un mois que «le risque sur les dettes souveraines affectait le financement des banques, compte tenu du rôle central des dettes d'Etats dans le système financier». Nous y sommes aujourd'hui. De nombreuses banques voient leur bilan déséquilibré par l'effondrement des dettes publiques. Et elles ont de plus de plus de mal à faire accepter en garantie les titres de leur pays auprès d'établissements tiers.

     

    Guerre des monnaies

    Comme au moment de la chute de Lehman Brothers en 2008, le marché interbancaire est en train de se geler. Les banques américaines veulent de moins en moins prêter aux banques européennes. Les banques espagnoles et italiennes ou celles considérées comme risquées ont de plus en plus de mal à trouver de contreparties. Et celles qui ont des réserves s'empressent d'aller les déposer auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Même si la rémunération est nulle, elles préfèrent ce placement sans risque.

    La BCE a reconnu les tensions qui sont en train de s'accumuler à nouveau dans le système: elle a décidé ce jeudi 4 août de remettre en vigueur un dispositif exceptionnel pendant six mois afin de permettre aux banques de se financer en dehors des procédures classiques. De même, la banque centrale, qui pourtant voulait à tout prix sortir de cette mesure exceptionnelle, a dû reprendre ses achats de dettes publiques sur les marchés, afin de soutenir les cours. Comme lors de sa première mise en vigueur en 2010, les membres de la BCE se sont divisés à nouveau sur le fait de réutiliser cette mesure «non conventionnelle». Compte tenu de la situation, la majorité de la BCE a jugé qu'il était urgent d'intervenir et de se substituer au fonds européen de stabilité financière, pas encore en place. Mais ses interventions, selon les premières indiscrétions, sont timides: la BCE aurait engagé seulement 300 millions d'euros pour racheter de la dette... portugaise.

    Cela va raviver les critiques contre la BCE. Tout au long de son exposé mensuel, son président, Jean-Claude Trichet, a donné le sentiment de rester impénétrable à ce qui se joue actuellement. Alors que les signes d'un collapse généralisé du système s'accumulent, que la situation demanderait de sortir des raisonnements convenus, quelles sont les urgences, à entendre le président de la BCE? Maintenir une vigilance de tous les instants pour lutter contre l'inflation, mettre en œuvre le plus rapidement possible les programmes d'austérité, lutter contre les rigidités du monde du travail, en finir avec un certain nombre de dispositifs sociaux, notamment «l'indexation des salaires sur la hausse des prix».

    Même les marchés, pourtant peu portés à la contestation, ont tenu cette fois ces propos pour nuls et non avenus. Rien, selon eux, n'était à la hauteur de l'événement. D'autant qu'un autre front est en train de s'ouvrir: la guerre des monnaies repart.

    Inquiets par la chute rapide du dollar, et par les déséquilibres qu'ils provoquent, plusieurs pays prennent leur disposition pour éviter un surenchérissement de leur monnaie et un afflux de capitaux qu'ils jugent dangereux. Hier, la banque centrale suisse est intervenue massivement pour tenter d'enrayer l'appréciation du franc suisse, considéré comme une des dernières valeurs refuges. Aujourd'hui, la banque centrale du Japon est à son tour entrée en action afin de faire baisser le yen, dont le niveau trop élevé, selon elle, menace les exportations japonaises.

    Dans la foulée, plusieurs pays émergents, dont le Brésil, les Philippines, la Malaisie, qui eux ne répugnent pas à prendre des mesures de contrôle, étudient le moyen de réguler l'afflux de capitaux, soit par le biais de taxes, soit par un contrôle des changes.  

    Mais sur ce front-là aussi, la BCE est absente. Fidèle à son dogme des bienfaits d'une monnaie forte, elle laisse la monnaie européenne à des niveaux insoutenables, compte tenu de l'économie de la zone, incompatibles même avec la crise de la zone euro. La main invisible du marché doit continuer à faire son œuvre. Si la folie se poursuit, on risque de découvrir rapidement combien cette main peut être meurtrière.


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