• Instructif !!!

    Démocratie et parlementarisme, la question européenne

     

    C’est peu de dire que la démocratie dite représentative est en crise. Nous l’avons vu avec les revendications des gilets jaunes qui réclament le RIC. Ils supposent que les parlementaires ne représentent pas le peuple, qu’ils sont loin de ses préoccupations, et donc ils réclament une démocratie directe qui ne fasse finalement des représentants élus que de simples exécutants de la volonté populaire qui pourrait s’exprimer par voie référendaire. Les reproches qui sont adressés à cette forme de démocratie sont connus depuis longtemps, on pourrait dire qu’ils sont contenus dans la mise en place même des formes parlementaires de gouvernement. Non seulement les politiciens de profession sont issue des classes supérieures et ne représentent pas le peuple, mais en outre le système électoral peut faire qu’un majorité parlementaire soit différente de la majorité réelle : par exemple seulement 18% des électeurs ont voté au premier tour pour Macron aux présidentielles de 2017, et encore au second tour malgré » un battage sans précédent pour faire barrage au fascisme, il n’arrive pas à recueillir une majorité d’électeurs inscrits sur son nom. Plus caricatural encore aux Etats-Unis, le système électoral permet à Trump d’être élu président alors qu’il recueille près de 3 millions de voix de moins que sa concurrente ! Généralement quand on critique la démocratie parlementaire, ce qui est de plus en plus fréquent, on vous dit qu’on n’a pas à se plaindre parce qu’ailleurs ce serait pire encore. Par exemple les macroniens contestent les manifestations récurrentes des gilets jaunes en disant que si ceux-ci ne sont pas contents ils n’ont qu’à s’en aller faire un parti et se présenter aux élections ! C’était d’ailleurs l’idée de la vieille social-démocratie – la vraie pas celle qui aujourd’hui véhicule les idées des bienfaits des lois du marché. Même le vieil Engels supposait que comme les salariés étaient le groupe sociologique en expansion, qu’ils avaient des partis qui les représentaient au parlement, il n’y avait plus besoin d’une révolution violente pour aller vers le socialisme. Mais cela ne fonctionne plus, et si les racines de ce mal sont anciennes, c’est à l’évidence la déconfiture de l’Union européenne qui a joué un rôle d’accélérateur. Le peuple est las de voter une fois tous les cinq ans pour une fausse alternance qui produit toujours les mêmes résultats.  

     

    C’est en Mai 68 que le pouvoir du parlement en tant qu’expression de la démocratie a été contesté. Les manifestations monstres, les occupations, la grève générale, montraient qu’il y avait une autre voie pour l’expression de la démocratie. C’est ce que ne semble pas comprendre Macron qui voudrait réduire l’idée de la démocratie qu’au simple bulletin mis dans une urne. Je fais remarquer au passage que la contestation soixante-huitarde intervenait juste un an après que les élections aient été perdu de justesse par les partis de gauche, et qu’elle a obtenu des résultats matériels importants, augmentation des salaires, une quatrième semaine et congés payés, etc. Toute chose qui eut été impossible dans le strict cadre électoral. En 1967, il y avait eu un débat à l’Assemblée nationale entre Georges Pompidou, premier ministre en titre, mais aussi représentant déjà de la finance, et François Mitterrand, leader de l’opposition. Mitterrand réclame une hausse du SMIG de 5% parce que l’ensemble des salaires ont pris du retard par rapport à la productivité. Pompidou en bon gérant des intérêts du patronat lui rétorquer qu’on ne peut pas, que cela ruinera l’économie. Or, suite aux manifestations de Mai 68 et aux grèves avec occupation, les SMIG sera augmenté de 35% ! On pourrait ressortir bien d’autres exemples où l’on voit les avancées sociales initiées en dehors de l’hémicycle, 1936 et les congés payés obtenus consécutivement encore à des grèves importantes, la mise en place des revendications du CNR à la Libération alors que le parlement n’est pas vraiment en place, mais que la CGT et le PCF ont fait des démonstrations de force. Cependant pour la période plus récente, la remise en question de la démocratie parlementaire c’est l’Union européenne qui l’engendre. En 2005 en effet, on demande aux Européens de voter le TCE. Mais les résultats ne sont pas conformes à ce que les politiciens attendent, en France et aux Pays-Bas, le TCE est largement désavoué. Et donc on fera passer ce traité par d’autres moyens justement par la voie parlementaire, actant le divorce entre le peuple et ses représentants élus. Comme on le voit la démocratie bourgeoise, ça va bien quand c’est la bourgeoisie qui gagne, autrement on remet en question ses résultats. Macron a l’habitude de dénoncer la répression policière et le manque de liberté de la presse en dehors de nos frontières, pour faire savant il parle de gouvernements illibéraux, mais chez nous il fait mine de ne pas voir qu’il fait pire que ce qu’il dénonce.  

     

    Mais revenons à la question de la démocratie dite représentative. Elle se trouve en tête des débats dans les pays qui sont extrêmement hostiles à l’Union européenne. La France, l’Italie et le Royaume Uni. La situation devient confuse. Les européistes accusent Boris Johnson de ne pas faire un nouveau référendum sur le Brexit, mais ils l’accusent aussi de ne pas suivre les indications du parlement en le mettant en congé. Et donc on nous dit qu’il n’est pas démocrate. Mais Boris Johnson avance qu’en fait il veut respecter le vote populaire de 2016 et que le jeu du chat et de la souris avec le Brexit n’a que trop durer. On sait par ailleurs qu’un certain nombre de députés de son propre parti se sont laissés acheter pour saboter le Brexit. En vérité c’est l’Union européenne qui a fait traîner les choses en longueur, espérant que les Britanniques se lasseraient et qu’ils rentreraient dans le rang. Mais le résultat est que devant cette situation inédite se révèle un nouveau conflit entre le peuple et ses représentants. Il apparait que le peuple a voté en 2016 pour une sortie de l’Union européenne, mais qu’elle n’est pas possible. On revient à la situation des référendums de 2005 quand la France et les Pays-Bas ont voté contre : le vote n’a pas été respecté. Il est assez incroyable qu’il soit si difficile de se résoudre à accepter le résultat du vote. Après les votes de 2005 contre le TCE, Sarkozy disait que Chirac avait eu tort de consulter le peuple. Il n’est pas étonnant qu’en France les gilets jaunes manifestent à cor et à cris pour la mise en place du RIC. Les européistes demandent à ce que Boris Johnson soit offre un nouveau référendum, soit procède à des élections parlementaires.  

     

    L’Italie c’est l’autre pays qui emmerde Bruxelles et qui menace tous les jours de sortir de l’Union européenne. Mais en Italie le clash de Salvini qui a mis fin à la coalition avec M5S est analysé par les européistes comme un retour joyeux de la démocratie. Ils refusent donc des élections demandées par Salvini… au nom de la démocratie ! On en revient à des combines politiciennes ordinaires pour sauver son siège. En effet si les élections avaient lieu aujourd’hui, M5S perdrait au minimum la moitié de ses sièges de députés et de sénateurs. Et donc les voilà qui, toute honte bue, s’allient avec un has been comme Renzi, l’homme politique le plus détesté d’Italie, une sorte de Macron qui n’a comme programme que d’appliquer les directives européennes. Evidemment M5S qui naguère se présentait comme le parti anti-système, défenseur de la démocratie directe, perd toute crédibilité. Beaucoup ont analysé la démarche de Salvini comme une erreur. Ce n’est pas certain. En effet l’alliance autour de Renzi, ressuscité d’entre les morts politiques, si elle plait naturellement beaucoup à Macron et à Bruxelles, risque de frustrer les Italiens qui en ont marre des combines qui les mènent dans l’impasse, dans un climat permanent d’instabilité. Rapidement les échéances vont être difficiles pour la nouvelle coalition, dans un contexte très morose en Europe, les questions du financement de la dette publique et du budget vont la faire éclater. D’autant qu’on peut compter sur l’imbécilité de la Commission européenne pour réclamer encore plus d’austérité. Par son attitude Conte démontre ce qu’on savait déjà : M5S était le maillon faible de la coalition. Salvini a très bien joué au contraire : il montre que les partis réguliers près à se plier à n’importe quelle injonction de Bruxelles, sont les soutiens d’un « système » qui ne tient absolument pas compte du peuple et de ce qu’il exprime. En 2018 M5S pesait environ un tiers de l’électorat, aujourd’hui il en est à moins de 20%, tandis que « la part de marché » reste stable et la Lega est selon les derniers sondages au-dessus de 35%, alors qu’en 2018 elle était seulement à 18%.  

     

    Le journal Le monde, au nom de la démocratie, approuve ici Conte qui ne veut pas d’élections, et crache sur Boris Johnson n’en veut pas ! Ce sont des principes à géométrie variable. Bien sûr ils savent que la coalition M5S et Renzi ne tient pas debout sur n’importe quel sujet, mais ils sont contents de voir Salvini écarté du pouvoir. Pour eux cela justifie tous les sacrifices, y compris celui de la démocratie parlementaire ! Voilà comment son éditorialiste présente la chose :

    « La manœuvre épargne à l’Italie des élections à court terme et le triomphe de la Ligue. C’est assurément une bonne nouvelle, en particulier pour l’Union européenne. Rome sera en mesure de nommer à Bruxelles un commissaire du Parti démocrate, formation pro-européenne, plutôt qu’un populiste. Les négociations sur le budget italien, dont l’UE avait rejeté une version initiale, devraient aussi se trouver facilitées. »[1]  

     

    Pour ces grands démocrates l’important est de nommer un commissaire italien issu du Parti Démocrate et de rassurer Bruxelles. Mais ils savent bien que le projet « tout sauf Salvini » n’est pas un projet politique et qu’au contraire il va renforcer la méfiance du peuple envers ceux qui prétendent le représenter et parler en son nom. Tous ces exemples nous montrent que la démocratie parlementaire a fait son temps. Non seulement elle permet à des médiocres d’arriver au pouvoir par des moyens très louches, mais elle n’obtient aucun résultat probant à l’heure des grandes catastrophes. Elle apparait donc comme inutile et devra être remplacée, dans toutes les démocraties occidentales, l’abstention atteint des records, et l’abstention est encore plus forte lorsqu’il s’agit de vote pour des fantaisies du type Parlement européen. Ce n’est pas pour rien que les gilets jaunes ont été imités dans plusieurs pays à l’étranger et notamment au Royaume Uni par les Brexiters.  

     

    La dernière facétie des démocrates en carton c’est l’analyse du vote AfD en Allemagne. Ce parti vient en effet de connaitre une progression retentissante dans des élections locales à l’Est du pays. La plupart des éditorialistes tentent de ramener cette progression à une comparaison avec l’Allemagne des années trente. C’est une manière de se défausser. Passons sur le fait que les nazis, les vrais sont peu nombreux dans ce pays, et donc qu’en conséquence ils ne possèdent pas de troupes paramilitaires comme c’était le cas lorsqu’Hitler est arrivé au pouvoir. Mais même si on suppose que cette comparaison tient la route, il est évident que l’arrivée d’Hitler au pouvoir vient principalement de l’effondrement moral et économique du pays, dû notamment à la politique austéritaire de Brüning basée essentiellement sur la déflation. Il y avait donc deux élections, l’une dans le Brandebourg et l’autre en Saxe. Dans le premier cas l’AfD double quasiment son score, et dans le second, elle le triple[2]. Je ne vais pas me lancer dans un débat sur les qualités et les défauts d’AfD, ne sais très bien que ce parti compte dans ses rangs des nostalgiques d’Hitler. Il n’est pas certain que ce soit cela qui explique le vote. Je partirais du simple constat qui fait que l’AfD, parti très anti-européen et anti-euro, a le vent en poupe auprès des électeurs et plus particulièrement des électeurs pauvres. D’abord il y a le fait que la politique migratoire de Merkel est rejetée dans des proportions similaires à ce qu’on trouve de partout en Europe, entre 60 et 80%. Et si on avait annoncé que les migrants c’était bon pour l’économie – sous-entendant par là que les jeunes migrants travailleraient pour les vieux Allemands – on s’est rendu compte que la très large majorité des migrants en Allemagne ne trouvaient pas d’emploi. On a parlé du traumatisme de Cologne[3] quand les migrants en masse ont violé des femmes allemandes, ils sont aussi impliqués dans l’explosion de la délinquance. En outre Merkel avait envoyé toute une partie de ces nouveaux migrants directement dans les Landers de l’Est, soit l’ancienne Allemagne de l’Est. Ça s’est très mal passé, les autochtones ont vu cela comme une volonté de faire baisser le salaire, alors qu’ils sont déjà bien moins payés qu’à l’Ouest. Des émeutes récurrentes ont éclaté, montrant à quel point il y avait une cohabitation des plus difficiles avec les migrants dont une petite partie est faite de réfugiés de guerre[4]. Mais les Allemands de l’Est ont aussi très mal vécu la réunification parce qu’ils se sont sentis déclassés[5]. Et puis voilà que le modèle allemand, celui-là même qui avait assuré la popularité de Merkel, se met à donner de la gîte. Dans ce contexte, le SPD qui a décidé de se suicider à la manière du PS français, ne joue plus que les supplétifs pour une politique européiste et inégalitaire sans avenir.    

     

    Le morcellement des résultats en Allemagne ne marque pas seulement un rejet d’un parti ou d’une politique, c’est la manifestation d’un divorce entre le peuple et ses représentants. Les élections ne résolvent rien, au contraire, elles ne font qu’accroître l’instabilité. Cette évolution très prévisible de l’Allemagne ne signifie pas que l’AfD va remplacer la CDU et Merkel, ce parti n’est pas prêt. Il signifie plutôt qu’une alternative droite et rose pâle n’est plus à l’ordre du jour, alors qu’elle a été le moteur de l’histoire allemande au moins depuis la fin de la Seconde mondiale jusqu’à Merkel. Sa signification profonde, c’est que l’Allemagne n’a plus les moyens d’exercer son leadership sur l’Union européenne, et comme Macron non plus, nous voyons que cette triste boutique va s’en remettre aux bureaucrates de Bruxelles, et on peut compter sur eux pour dégoûter un peu plus les électeurs européens de leur projet d’intégration européenne à tout prix. Pour faire face à la récession qui s’annonce en Allemagne et en Europe, certaines préconisent justement que l’Allemagne relance l’économie en utilisant ses énormes excédents et cesse de courir après la vieille Lune d’un budget en équilibre et d’une dette publique nulle[6]. Mais la situation est bien plus grave qu’il n’y parait puisque relancer l’économie ce serait relancer la croissance à un moment où l’urgence écologique nous dit que ce n’est pas le bon chemin. Si la crise de la démocratie est si vive aujourd’hui, c’est surtout parce qu’on ne voit pas comment les anciennes institutions pourront y survivre.