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    Mercredi 17 août 2011 3 17 /08 /Août /2011 09:30

    Article programmé.

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      Lamentations dans un champ.

         A l'aube, peu avant que le soleil ne se lève de derrière l'horizon, je m'assis au milieu du champ et fis des confidences à la nature. A cette heure comblée de pureté et de beauté, alors que les humains étaient enveloppés dans les draps du sommeil, certains, envahis par les rêves et d'autres saisis par le réveil, j'étais couché sur l'herbe, à m'enquérir de la vérité de la beauté et à interroger tout ce qui est visible sur la beauté de la vérité.

        Lorsque mes rêveries m'eurent séparé des choses humaines et que l'imagination eût levé le masque de la matière de dessus mon moi subtil, je sentis un épanouissement spirituel qui me rapprochait de la nature, me révélait la nébuleuse de ses mystères et me faisait comprendre le langage de ses merveilles.

        Une brise passa alors entre les branches, en soupirant comme un orphelin désespéré. Je l'interrogeai:

    "Pourquoi soupires-tu ainsi, ô douce brise?"

    Elle me répondit:

    "Parce que, repoussée par la chaleur du soleil je vais vers la ville. Je vais là où les microbes des maladies s'accrochent aux pans de ma robe toute propre et le souffle empoisonné des humains s'agrippe à ma peau. C'est pour cette raison que tu me trouves triste."

    Puis, me tournant vers les fleurs, je les vis verser des gouttelettes de rosée en guise de larmes, alors je les interrogeai:

     "Pourquoi donc pleurer, ô jolies fleurs?"

     L'une d'entre elles redressa sa délicate corolle et me répondit:

    "Nous pleurons, car l'homme va bientôt venir passer nos cous au fil d'une lame et nous emporter vers la ville pour nous vendre comme esclaves, nous qui sommes libres. Et quand viendra le soir et que nous serons fanées, il nous jettera aux ordures. Comment ne pas pleurer quand la main cruelle de l'homme va nous séparer de la prairie, notre patrie?"

    Peu après, j'entendis le ruisseau gémir comme gémit la femme qui vient de perdre son enfant, et lui demandai:

     "Pourquoi donc ces gémissements, ô limpide ruisseau?"

     Il me répondit:

    "Parce que je suis contraint malgré moi de couler vers la ville où l'homme me méprise, me remplace par le breuvage tiré de la vigne et m'utilise pour transporter ses déchets.

    Comment ne pas gémir, sachant que bientôt ma pureté va devenir un fardeau et ma limpidité une saleté?"

    Puis j'entendis les oiseaux chanter un hymne triste qui ressemblait à une complainte et je leur demandai:

    "Pourquoi vous lamenter, ô jolis oiseaux?"

     L'un d'eux vola vers moi et, perché au bout d'une branche, dit:

     "Le descendant d'Adam va venir avec un instrument infernal ressemblant à une faucille pour nous faucher. Alors nous nous faisons nos adieux, ne sachent pas qui parmi nous échappera à l'implacable destin. Comment ne pas nous lamenter quand la mort nous traque où que nous allions?".

    Le soleil se leva de derrière la montagne et coiffa les têtes des arbres de couronnes d'or. Et moi, je me demandais:

    "Pourquoi l'homme s'acharne-t-il à détruire ce que la nature construit?".

     

                                     Khalil Gibran

    Passage tiré de "la voix de l'éternelle sagesse" de Khalil Gibran (poète et peintre libanais (1883 - 1931)


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