• LE BLOG DE CYRIL A CONSOMMER SANS MODERATION .HEUREUSE INITIATIVE ET MAGNIFIQUE TEXTE A LA SUITE , BRAVO =

    Cyril LAZARO

     
    Samedi 21 janvier 2012 6 21 /01 /Jan /2012 16:59

    Puisque nous sommes sur un blog et que nous sommes entre nous, je crée une rubrique que je désirais appeler en un premier temps "au bonheur des mots" et que j'ai décidé d'intituler "petits textes". Juste pour le plaisir de goûter à quelques nouveautés ou innovations que nous permettent internet et que nous pouvons partager ensemble, à la manière des essayistes des temps passés.

    Je vous invite donc à mettre la vidéo en lecture pour créer le fond sonore et à lire ensuite le petit texte qui est en dessous, si le coeur vous en dit...

    Pas de fausses louanges ensuite, juste un petit moment d'intimité et puis chuuuuuuuuuuut.

    Amitiés à tous et à toutes

    Cyril LAZARO

     

     

    La vieille dame avait ouvert cérémonieusement le piano. Assis autour d'elle, quatre enfants s'apprêtaient à écouter le son de ces notes qui produisaient de curieux effets dans leurs petites têtes.
    Au fond de la salle, près de la porte d'entrée, un monsieur à l'air triste, son chapeau à la main discutait avec un médecin.
    - N'y a-t-il vraiment rien à faire, docteur? disait-il, avec l'air résigné de ceux qui sont nés pour porter tous les malheurs du monde.
    L'homme en blouse blanche ménageait sa réponse, pesant chaque mot en homme de pouvoir.
    - Ne perdez pas l'espoir, nous faisons chaque jour de nouvelles découvertes. Qui sait ce que la science nous réservera demain?
    Au premier plan, le plus petit des enfants avait pris une expression où l'on croyait voir une esquisse de sourire.
    Les premières notes s'échappèrent de l'instrument, mais aucun signe ne laissait paraître le moindre changement sur le visage du petit garçon, si ce n'est la profondeur de son regard qui semblait s'agrandir dans une sorte de contemplation immobile.
    La vieille dame égrenait les notes avec application, inconsciente de l'effet qu'elle produisait, mais elle s'appliquait consciencieusement face à cet auditoire inespéré, elle qui avait tant désiré dans sa jeunesse avoir un enfant sans jamais voir accomplir son souhait secret. Elle n'avait jamais rencontré l'homme qui pourrait faire battre son coeur, alors elle s'était réfugiée dans la musique. Elle n'avait jamais eu de talent à proprement parler, mais elle y avait transféré tout son amour, tel qu'elle l'imaginait devoir être, et sa musique qui n'avait rien de bien extraordinaire pouvait surprendre agréablement l'oreille d'un mélomane non initié.
    Le petit garçon, quant à lui, ne bougeait plus, on pouvait même croire qu'il avait cessé de respirer.
    Le monsieur au fond de la salle continuait sa lamentation auprès du médecin.
    - Moi et ma femme aurions tant aimé...
    Le médecin remuait doucement la tête en se disant que le monde était mal fait et que la vie était bien injuste.
    L'enfant silencieux voyait dans son esprit au fil des sons, des couleurs se dessiner, et il s'extasiait que le monde puisse recouvrir de telles merveilles, chaque note modifiant l'image imprégnée de la couleur précédente.
    Soudain la vieille dame arrêta de jouer, le morceau était terminé. Comme chaque samedi, elle était venue offrir à ces enfants inadaptés un peu de beauté, tout au moins c'est ce qu'elle espérait, et durant toute la semaine elle avait durement répété son petit morceau dans l'espoir d'éveiller ces esprits mort nés, cloîtrés à tout jamais, dans l'espace de cette clinique, dans cet univers confiné, où leur seule tâche était de laisser le temps s'écouler. Il lui arrivait de penser que certains d'entre eux devaient même compter ces interminables secondes qui se succédent les unes aux autres, chacune laissant la place à une nouvelle, dans un interminable chapelet.
    Le petit garçon, lui, n'avait pas réagi lorsque le piano avait cessé de jouer, il entendait encore les couleurs qui s'allumaient dans sa tête, un peu comme les bulles du champagne continuent de remonter à la surface d'un verre, longtemps après que le verre eut été rempli.
    Tout à coup, un imperceptible clignement d'oeil se produisit sur le visage de l'enfant. Il y avait du  rouge, de l'orange et du rose qui venaient se superposer aux couleurs produites par la musique qu'il venait d'entendre.
    Une oreille avertie aurait vite noté qu'un minuscule pinson s'était posé sur le rebord de la fenêtre de la salle, et faisait entendre lui aussi sa chanson.
    L'homme au fond de la salle s'apprêtait à sortir, désolé de voir que son fils n'avait même pas noté sa présence, et se demandant s'il était encore sensé de revenir le samedi suivant... il verrait bien, après tout c'était sans doute là son devoir de père songeait-il.
    Le docteur se recomposa un visage de circonstance pour raccompagner l'homme, tout en lui murmurant des paroles rassurantes.
    La vieille dame avait rangé sa partition et regardait son auditoire, ces enfants sans réaction que la nature avait pourtant voulu voir sur terre, et en silence elle recommandait chacun d'eux au bon Dieu qu'on lui avait fait connaître dans sa jeunesse, pendant les cours de catéchisme.
    Le petit garçon n'avait toujours pas levé la tête, inconscient de l'animation qui se passait autour de lui.
    Rouge, rose, orange, voilà tout ce qu'il pensait, et c'était beau, très beau, le monde était vraiment merveilleux.

    Cyril LAZARO

     

    Tags Tags : , , , ,