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    Bilan du Congrès de l’Internationale Socialiste par Ségolène Royal – Quelles solutions de gauche à la crise ?

    Chers amis,

    Comme promis, et vous êtes nombreux à me le demander, je vous adresse un bilan du Congrès de l’Internationale Socialiste.

     

     

    I. LE CONGRES S’EST TENU DANS UN CONTEXTE DOULOUREUX POUR LES SUD-AFRICAINS.

    Le traumatisme de la tuerie, la plus sanglante depuis la fin de l’apartheid,  de 34 grévistes de la mine de platine de Marikana, hante encore tous les esprits, et l’attente des conclusions de la commission d’enquête qui a 4 mois pour faire la lumière, n’apaise pas les tensions. Cinq ministres ont du quitter le rassemblement en hommage aux victimes organisé par les mineurs, à cause de la montée de la tension.

    Ce sujet a occupé l’essentiel de mes discussions bilatérales en marge du Congrès :

    * avec le Président Jacob Zuma, au cours d’un échange de 40 minutes. Il m’a clairement dit que ce drame aurait pu être évité, et qu’il réveille de terribles souvenirs de la période de l’apartheid avec les victimes de Soweto.

    Comme je lui demandais s’il ne trouvait pas que les augmentations salariales des mineurs étaient légitimes vu la flambée des cours de l’or et du platine, il m’a répondu « oui, ils sont payés peanuts ».

    Comme je lui demandais si l’Etat avait un pouvoir pour peser sur les rémunérations salariales et les conditions de travail manifestement lamentables, il m’a répondu que cela relevait des entreprises mais que la commission d’enquête qu’il a mis en place va permettre de dénoncer les bas salaires et les conditions de travail scandaleuses, car beaucoup de mineurs sont immigrés des pays voisins, et l’exploitation minière en profite.

    Il a été sensible aux condoléances pour les familles des mineurs, que le Président de la République, François Hollande, lui a fait parvenir dans la lettre que je lui ai remise, lettre qui abordait également les questions diplomatiques et économiques.

    * D’ailleurs la presse sud africaine met à jour les conditions de travail dramatiques, les dortoirs sans intimité. La misère des mineurs qui veulent renvoyer au pays l’essentiel de leur paie.

    * Kgalema Mothathe, le vice-président sud-africain, m’a également confié que « la cohabitation entre des populations très pauvres et d’autres très aisées ; les difficultés d’accès à l’éducation ; le très lourd problème du Sida ; l’immigration en provenance des pays les plus pauvres d’Afrique, tout cela constitue des défis considérables ».

    Le Président Jacob Zuma, comme le vice-président, qui ont tous deux passés plus de 10 ans à la prison de Rhoben-Island (dans laquelle Nelson Mandela a passé 25 ans de sa vie), savent que la fin de l’apartheid est récente (18 ans), que les plaies ne sont pas refermées, que les problèmes sont immenses, mais que le pays a tout pour réussir sur le chemin de la prospérité.

    Ce défi rappelle, mot pour mot, souligne les analystes de la presse sud-africaine, ceux ainsi définis le 16 avril 1999 à Durban par Nelson Mandela “nombreux sont ceux qui doutent de notre capacité à réaliser l’idéal d’une nation arc-en-ciel. Il est vrai que l’Afrique du Sud a souvent été au bord de la destruction à cause de nos différences. Mais réaffirmons une chose ici aujourd’hui : ce n’est pas notre diversité qui nous divise, pas plus que notre ethnicité, notre religion ou notre culture. Depuis que nous avons obtenu notre liberté, il ne peut y avoir qu’une division entre nous, une division entre ceux qui chérissent la démocratie et les autres !

    Peuple épris de liberté, nous souhaitons voir notre pays prospérer et assurer à tous des services de base, car notre liberté ne pourra jamais être complète ni notre démocratie n’est pas stable et si nous ne satisfaisons pas les besoins de base de notre peuple. Nous avons vu la stabilité qu’apporte le développement. Et nous savons aussi que la paix est l’arme la plus puissante qu’une communauté ou une nation peut mettre au service du développement.

    Alors que nous rebâtissons notre pays, nous devons rester vigilants contre les ennemis du développement et de la démocratie, même s’ils viennent de nos propre rangs. La violence ne nous rapprochera pas de nos objectifs.”

     

     

    A Johannesburg, au cours d’un long déjeuner avec l’épouse de Nelson Mandela, Graça Machel Mandela, qui exerce des responsabilités dans le groupe des sages de l’ONU, j’ai pu recueillir un point de vue exprimé avec une grande liberté de ton. Je ne peux pas tout retranscrire ici mais voici les principaux éléments de réponse aux questions que je lui ai posées.

    1/ Comment va le Président Mandela ?

    Le président Mandela ne reçoit plus, il a décidé de se retirer dans son village natal de Qunu. Il sort désormais peu, et mène un rythme adapté à son grand âge. Les fatigues (trop de visites) et les sujets difficiles (décès de ses proches, fusillade de Marikana) lui sont épargnés, ou exposés avec tact. Il aime à être entouré de sa famille, de ses enfants et petits enfants mais en très petits groupes. Le dernier officiel dont il ait reçu la visite a été Mme H. Clinton lors de sa visite de 4 jours il y a trois semaines, davantage d’ailleurs au titre de la relation personnelle avec cette famille. Ce fut très bref et sans échanges.

    2/ Que pensez-vous du drame de Marikana ?

    La fusillade de Marikana a été un traumatisme, un choc inattendu. Beaucoup des mineurs et des victimes étaient des immigrants. Il faut comprendre que les réponses à leurs revendications doivent inclure la dimension logement et le fait que le salaire qu’ils reçoivent est dans leur esprit tout de suite scindé en deux, avec une forte partie qui est envoyée à la famille restée au pays. Beaucoup de mineurs sont syndiqués et conscients de leurs droits. Ne pas avoir ces dernières années amélioré les conditions de travail des mineurs est une faute. Marikana s’inscrit aussi cependant dans un terreau de violence en RSA, avec une colère rentrée depuis la fin de l’apartheid. Depuis 1994 , l’impact social de l’apartheid n’a pas suffisamment été pris en compte : quelle société, sur quels sentiments, avec quelle attitude ? La violence se manifeste au sein des familles, contre les femmes, les enfants, à l’école, dans les hôpitaux. La violence est partout dans cette société. Les gens ont du mal à être dans une relation à l’autre. Ils sont plus à l’aise dans une relation à dieu qu’aux hommes, si l’on en croit le degré de religiosité des Sud-africains.

    De plus, les mineurs voient dans quelles conditions vivent les dirigeants de la mine. Le nouveau syndicat AMCU a joué dans l’incitation des mineurs à la violence. La fusillade est donc l’aboutissement d’un cocktail de raisons. La semaine précédent il y avait eu une dizaine de morts, dont deux policiers. Les forces de l’ordre étaient nerveuses. Cependant ceci n’explique pas pourquoi elles étaient équipées de munitions létales. Là est la question.

    Le président Zuma a bien géré l’affaire. Ce sont les niveaux inférieurs qui ont failli : ministres, officiers de police… L’ANC pourra perdre quelques voix mais sa suprématie n’est pas mise en cause. Le président Zuma aura été écorné, comme dans d’autres dossiers aussi, mais pas déstabilisé. J. Malema n’en profitera pas, il est un populiste qui sait saisir le moment, mais les gens voient qu’il n’est pas en mesure de proposer quoi que ce soit. Certains l’utilisent pour affaiblir le président.

    18 ans, c’est peu. Marikana restera dans l’histoire de la RSA post-apartheid comme une marque indélébile, une blessure.

    3/ Quelle est la place diplomatique de l’Afrique du Sud en Afrique ?

    La RSA a fait des efforts depuis 18 ans pour être présente en Afrique, dans la SADC surtout, mais aussi dans chacune des 5 grandes régions du continent. La RSA est bien positionnée dans des pays tels que l’Ethiopie, l’Ouganda, le Kenya, la Tanzanie. La RSA est présente au travers de ses sociétés minières et de son système bancaire puissant. Elle a moins investi dans le G20 que dans les BRICS. Il n’existe malheureusement pas de mécanisme pour que la RSA parle au nom de l’Afrique au sein de ces forums. Par ailleurs le fait que seul un pays africain soit membre du G20 est une faiblesse.  Qu’il y ait en fait un représentant de chaque région africaine serait positif. Au CSNU, il faudrait à la fois la RSA et le Nigéria.

    4/ Quel est votre rôle au sein du comité des anciens ?

    Les membres du comité des anciens viennent du monde entier ( à la différence évidemment du comité des sages de l’UA). Nous ne voulons pas tirer la couverture à nous, mais nous sommes engagés dans toutes les crises en faveur de la paix, en particulier dans les situations où les parties ne veulent plus se parler. Nous sommes actifs au Proche-Orient. K. Annan était un « ancien » même s’il a démissionné formellement du groupe pour assumer sa mission en Syrie.  Nous l’avons conseillé pour son plan de paix. Actuellement, nous nous efforçons de convaincre les parties en Syrie de cesser les violences, dans la mesure où elles affectent les civils. Nous parlons aux fournisseurs d’armes aux parties en les rendant moralement responsables des décès civils.  Nous en appelons à leurs consciences.

    5/ Quel regard portez-vous sur la politique africaine de la France ?

    La France n’a pas encore trouvé le bon positionnement en Afrique. Le discours de Dakar a été mal perçu et a suscité la polémique. Il a heurté beaucoup d’Africains. Les responsables africains francophones doivent cependant aussi prendre leur part qui, depuis les indépendances, n’ont pas établi d’institution indépendante de la France. A chaque crise, ils se tournent vers Paris, que ce soit sur le plan budgétaire, ou de la sécurité. Aux yeux des opinions publiques, la France domine l’Afrique francophone, y compris du point de vue de la défense. Elle donne parfois le sentiment de considérer les pays africains francophones « comme des bébés ».

    La France a un rôle à jouer dans l’évolution de l’Afrique, un rôle comme un parent qui aide son enfant à grandir, en rompant le cordon ombilical et en le poussant à prendre son indépendance. Et les enfants africains pour leur part doivent accepter de grandir et s’assumer. Le sommet de la francophonie à Kinshasa doit être l’occasion de faire passer ce message. La francophonie comme espace mondial de concertation a son rôle, comme tout autre équivalent. Mais au sein de cet espace, la France ne doit plus paraître l’acteur majeur et les Africains mineurs. La francophonie doit être un espace entre égaux (de même du Commonwealth). Les citoyens africains en ont assez de voir leurs  chefs d’Etat apparaître comme inférieurs au chef d’Etat français. De même il est insupportable de voir la Chine convier des dizaines de chefs d’Etat et de gouvernements africains à se réunir hors du continent. Ceux-ci devraient refuser. Que les chefs d’Etat africains acceptent de se réunir hors d’Afrique est une faute.

    Avec J. Zuma à la tête de la commission de l’UA, on assistera à une diminution progressive de la dépendance à la France. Il n’y a rien à dire bien sûr s’agissant  des liens culturels et linguistiques. Mais les pays africains colonisés par d’autres que la France n’appellent pas au secours les anciennes capitales de l’empire. La France doit donc clarifier sa relation aux pays d’Afrique francophone, et affirmer qu’elle n’est plus en charge. Que ces Etats s’appuient davantage sur la CEDEAO.

    Sans avoir jamais été mise devant une preuve, Gr. Machel partage le sentiment des dirigeants sud-africains d’un jeu de Paris pro J. Ping contre J. Zuma lors de la compétition pour la présidence de la commission de l’UA.

    6/ Quelle stratégie face à l’offensive de la Chine en Afrique ?

    Chine – Afrique : les Occidentaux paraissent tous préoccupés, même si les Etatsuniens le font savoir plus fort. Les Chinois construisent ici des infrastructures plus rapidement que les Occidentaux, sans poser de conditions, à la différence des Occidentaux qui nous traitent comme des enfants.  Ils répondent donc rapidement aux demandes. Cependant les Africains ont tort de ne pas demander de contreparties. Pourquoi les Chinois importent-ils leur main d’œuvre au lieu de former la nôtre ? Nous devrions mieux négocier. L’Europe doit repenser sa relation à l’Afrique et les Africains la leur à la Chine.

    Notre problème à nous Africains est d’affermir notre identité, notre histoire, d’assurer notre position par rapport au nord, au sud, à l’est et à l’ouest. J’ai fondé le Mandela institute for development studies (MINDS). Il se consacre à la façon dont les Africains réclament et reconquièrent leur héritage, y compris culturel. Avant c’étaient les Occidentaux qui nous influaient, maintenant ce sont les Chinois, voire les Brésiliens. Chacun nous dicte ses règles du jeu.

    7/ Votre attente sur le Congrès de l’Internationale Socialiste ?

    Le socialisme  est porteur ne doit pas rester qu’un mot. Certains pays en Afrique croissent à une vitesse supérieure à 5 % l’an. Mais les inégalités se creusent. Le socialisme par essence doit aider à la répartition des richesses.

     

    II. Le Congrès s’est bien déroulé. Un compte-rendu détaillé des interventions sera fait. Voici quelques éléments de mon intervention sur le thème : QUELLES SOLUTIONS DE GAUCHE FACE A LA CRISE ?

    Après avoir mis en valeur le travail du gouvernement Français, j’ai mis en place quatre propositions.

    1. NOUS DEVONS PORTER LA PAROLE DES « SANS VOIX », pour qu’ils aient d’autres formes d’expression que la révolte quand ils sont à bout. Ce qui signifie concrètement que, lorsque la Gauche est au pouvoir, elle doit, en complément de la Démocratie parlementaire, inventer des formes de démocraties citoyennes participatives et garantir l’honnêteté du dialogue social, de la démocratie sociale.

    2. L’EDUCATION MASSIVE ET LA FORMATION PROFESSIONNELLE PERMANENTE, y compris avec les nouvelles technologies et le télé-enseignement, sont les leviers les plus efficaces du développement et de la croissance.

    Les taxes sur les transactions financières et une action des organisations financières internationales devraient être massivement consacrées à cet objectif. Il y a trop de saupoudrage et de dispersions.

    La protection de la famille et la reconnaissance du rôle des femmes, des mères isolées font partie de cette priorité éducative.

    3. LA MUTATION ENERGETIQUE EST UN IMPERATIF COMMUN AU NORD ET AU SUD VERS LES ENERGIES RENOUVELABLES NON POLLUANTES.

    Les pays du Sud disposent d’une réserve inépuisable d’énergie gratuite : le soleil. Mais force est de constater que les investissements mondiaux ont été orientés vers les besoins et les choix énergétiques du Nord : les énergies fossiles polluantes et les modes de déplacement individuels qui asphyxient les villes en les deshumanisant. Il est urgent de changer de modèle énergétique. Par ailleurs, l’avenir sur l’énergie nucléaire doit être débattu de façon transparente et démocratique au niveau mondial.

    4. Les flux financiers planétaires doivent être mis au service de la production. La finance doit cesser de commander mais doit obéir et se mettre au service de la hausse du niveau de vie et non se servir à elle-même.

    LES BANQUES PUBLIQUES D’INVESTISSEMENT DOIVENT VOIR LE JOUR DANS TOUS LES PAYS DIRIGES PAR LA GAUCHE.

    La crise mondiale est venue d’un pouvoir financier exorbitant qui ne peut prospérer qu’en détruisant les valeurs humaines.

    La mission de la Gauche, c’est d’inverser ce mécanisme et de mettre fin à la perversité de ce système pour remettre en avant les valeurs humaines.

    Pour terminer, je voudrais saluer l’ANC, parti centenaire qui a payé au prix fort son combat pour la liberté et vous dire la force et l’émotion que nous donne la densité de l’histoire de l’Afrique du Sud et des combattants héroïques au premier rang desquels Madiba, Nelson Mandela, – nous lui adressons des vœux de bonne santé. Il est une conscience pour le monde et puisse son extraordinaire courage – 25 ans de captivité sans perdre espoir – nous aider et nous inspirer pour continuer l’œuvre d’émancipation de ceux qui souffrent.

    Dans la visite très émouvante de la prison de Robben Island que j’ai faite hier, comme celle de sa maison à Soweto, il y a deux jours, ainsi que la rencontre de l’ONG Philisa Abafasi dans le township de Lavender Hill qui se bat pour protéger les femmes victimes de viol et pour les éduquer, ou encore la longue conversation passionnante avec Graça Machel-Mandela à Johannesburg. J’ai croisé aussi les artistes du festival du Jazz – la musique et les chants africains qui ont tant fait pour exalter la liberté et le courage des opprimés – où étaient repris les chants merveilleux de Myriam Makeba et visité la réserve naturelle avec tous les efforts pour protéger ici la biodiversité.

    Partout, on retrouve ce message universel que Nelson Mandela a donné au monde entier dans son discours d’investiture du 10 mai 1994 :

    « De l’expérience d’un désastre humain inouï, disait-il, doit naître une société dont toute l’humanité sera fière ». Il ajoutait « nous comprenons qu’il n’y a pas de voix facile vers la liberté, nul d’entre nous agissant seul ne peut obtenir la réussite. Nous devons donc agir ensemble pour la naissance d’un nouveau monde. Que la justice soit présente pour tous, que la paix soit là pour tous, que le travail, le pain quotidien, le pain et le sel soient à la disposition de tous !

    Tout ceci, nous le devons tant à nous mêmes qu’aux peuples du monde qui sont si bien représentés aujourd’hui. »

    Et bien, c’est cette vision et ce courage de Nelson Mandela qui nous accompagne encore aujourd’hui. Et merci du fond du cœur à nos amis sud-africains de nous faire ce cadeau en nous accueillant ici pour le congrès de l’Internationale Socialiste.

    Vous trouverez l’intégralité de mon discours en cliquant sur ce lien.

    Ségolène Royal

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