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    05 décembre 2011

    Avant l’été 2010, Roselyne Bachelot, alors ministre de la Santé, annonçait que l’année 2011 serait dédiée « aux patients et à leurs droits ». Le calendrier s’y prêtait à la veille d’un dixième anniversaire de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, initiée par le gouvernement Jospin mais qui fait largement figure d’héritage collectif puisqu’elle a été approuvée par les deux chambres à l’unanimité. Du jamais vu !

     

    Mais de « l’Année 2011, année des patients et de leurs droits », nous n’avons pas vu grand-chose. Un site internet peinant à recenser des projets qui auraient dû fleurir en bouquets sous ce label, un colloque anniversaire de la loi de 2004 « comme d’habitude », et un concours des droits des patients « comme d’habitude ». Les pouvoirs publics se sont donc montrés incapables de changer d’échelle. Quel dommage ! Il n’y avait pourtant pas de mal à se faire du bien sur un sujet qui convoque aisément un certain consensus.

     

    Avec des contraintes économiques fortes, et de plus en plus fortes chaque jour, il est d’évidence que des choix dans la dépense de santé doivent être faits. C’est toujours désagréable. Ça l’est d’autant plus que les patients sont peu associés à la détermination des choix collectifs, même si la dynamique des conférences régionales de santé et de l’autonomie a trouvé un nouveau souffle. Mais sans doute n’a-t-on pas très envie de les entendre dire que les solutions ne doivent pas reposer que sur la réfaction de la couverture maladie mais surtout sur des approches organisationnelles nouvelles : progression de la chirurgie ambulatoire, réduction des inadéquations hospitalières, culture du juste soin, nouvelles technologies de l’information et de la communication appliquées à la santé, coordination des soins et accompagnement dans une visée de confort des patients et de maîtrise des coûts. Ces évolutions sont attendues par les patients… et craintes par les acteurs d’un système de santé balkanisé où Pierre cherche à dépouiller Paul plutôt que de s’allier à Jacques. Dans ces conditions, nous n’irons pas bien loin, sauf à invoquer la main souvent autoritaire de l’Etat : tout l’inverse de ce qu’attendent les parties prenantes dans le domaine de la santé, du moins si l’on se réfère à leurs déclarations répétées.

     

    A quoi aurait donc pu servir une année des patients et de leurs droits ?

     

    D’abord à pister les enjeux de demain, d’ailleurs pour partie ceux d’hier. Ainsi la question du financement de la couverture maladie reste en plan depuis cinq ans malgré les réflexions du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie. Pourtant, les exclus de la santé sont toujours là : la CMU, c’est bien quand on l’a mais ce n’est pas si facile d’y accéder, comme le montre le travail de la mission France de Médecins du Monde. S’y ajoutent les nouveaux exclus de la santé : tous ceux qui se situent entre le seuil de la CMU et 2 000 euros par mois, en difficulté pour acquérir une complémentaire, et qui prennent de plein fouet les dépassements d’honoraires, les déremboursements, les forfaits et les taxes ! Dans un pays où le ticket modérateur est l’un des plus élevés parmi les pays comparables, l’accès de tous à une assurance complémentaire est indiscutablement la nouvelle frontière. La Mutualité française est seule à le dire aujourd’hui. Le « sujet qui va bien avec », c’est celui du panier de soins garanti par l’assurance maladie et les complémentaires, tant il est vrai que nous avons individuellement besoin d’accéder aux vraies innovations et collectivement de ne pas payer trop cher la poudre de perlimpinpin.

     

    L’autre sujet d’importance est celui de l’accès aux soins pour tous et partout. Deux écueils doivent être impérativement résolus dans le prochain quinquennat : les dépassements d’honoraires et les déserts médicaux. Pour la première fois, depuis cinq ans qu’elle ne produit rien, la Commission nationale de l’activité libérale va se prononcer sur un médecin comptabilisant environ 250 000 € de dépassements d’honoraires sur un seul type d’actes, l’IRM, pour une activité libérale qui ne doit pas dépasser un jour par semaine.  Des journées à 5 000 €, on en voudrait tous ! Mais cet arbre ne doit pas cacher la forêt des dépassements courants qui continuent leur progression constante, avec ravage sur l’accès aux soins comme en termes d’image quant au regard des patients sur le corps médical. D’autant que la désertification médicale va s’accroître avec les départs à la retraite massifs des généralistes dans les cinq années à venir. On ne répondra pas à de tels défis avec un embryon de télémédecine, une informatisation des données santé et de leurs échanges toujours problématique, et la croyance dans l’initiative privée pour que les cabinets médicaux se répartissent harmonieusement en dehors des grandes villes et des rivages maritimes ! Au temps des maladies chroniques, il ne s’agit plus de compter sur un maillage hospitalier distendu pour satisfaire aux besoins des malades, car figurez-vous dans les déserts médicaux il y a des « vrais gens » par centaines qui trouvent injuste de ne pouvoir avoir accès dans un délai raisonnable à un médecin de ville ou hospitalier. Entre la contrainte et le laisser-faire, il doit bien avoir de la place pour la régulation !

     

    Dernier sujet et non des moindres, celui de la démocratie sanitaire qui progresse de façon inégale. La loi relative à la sécurité du médicament a soigneusement oublié la promesse de permettre aux représentants des usagers de siéger au comité économique des produits de santé ou au collège de la Haute Autorité de Santé. Etonnant non ? Et quand la démocratie sanitaire progresse c’est surtout pour ceux qui en ont les moyens ! Ainsi, les associations de patients qui, à de rares exceptions, n’ont pas de modèle économique pour financer leur représentation dans les instances de la démocratie sanitaire, sont exclues du jeu. Pas d’argent public, mais pas d’argent privé non plus, au motif de liens d’intérêts. Ces mêmes liens d’intérêts qui ne semblent pas gênants pour les élus friands des journées parlementaires financées par les industries de tout poil, ou pour les agences publiques qui bénéficient pour leurs manifestations des financements de l’industrie du médicament !

     

    Comment pouvons-nous dans ce pays flatter autant les associations et leurs capacités à contribuer au débat public et aux réformes en les prenant ainsi en étau ?  Comme si l’on ne confiait pas légalement des compétences et des financements aux associations et aux syndicats dans d’autres domaines (travail, environnement, paysage…) ou s’agissant d’autres acteurs (syndicats de salariés, de professionnels de santé). Toute démocratie, politique, sociale ou sanitaire, doit être financée.

     

    Les associations de patients ont deux métiers : agir en solidarité avec les personnes et les populations concernées et plaider pour l’intérêt général des populations et de la santé publique. L’année 2011 aurait pu mettre en lumière cela plutôt que se laisser enfermer dans un discours de prohibition des contacts entre l’industrie du médicament ou des dispositifs médicaux et les associations de patients. Ici encore, entre l’interdiction et le laisser faire, il y a de la place pour la régulation. Que craint-on ? Pas grand-chose. D’abord, parce que ces partenariats ont par nature vocation à débusquer des innovations pour mieux vivre avec les traitements, ensuite parce que  le droit commun nous protège des dangers de l’exercice illégal de la médecine, enfin parce que les modèles de tiers-certificateur indépendant et extérieur aux parties prenantes offrent des solutions souples et fiables. C’est tout de même un peu mieux que l’anathème.

     

    La campagne présidentielle de 2012 doit nous permettre de mettre en lumière ces enjeux. Nous devons les traiter, y compris sous la contrainte financière, même si le changement est plus commode quand on peut l’accompagner financièrement.


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