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TRES BON ARTICLE PUBLIE PAR EL DIABLO =
(...) Les complicités et collusions dont usent nos élites pour maintenir leurs privilèges et accroître des revenus que le citoyen ordinaire est souvent loin d’imaginer, méritent en effet d’être dénoncées, de même que les dérives sur lesquelles les «Français d’en haut» assoient et confortent leurs avantages. Pour les maîtres qui remplissent les gamelles et les fidèles toutous qui en lapent le contenu, la démarche des «Nouveaux chiens de garde» est dérangeante. La transparence est une brèche dans leur armure, et ils n’apprécient pas que l’on jette un regard sur l’espace préservé où ils prospèrent sans états d’âme, au détriment du contribuable, trop souvent ignorants de ces anomalies. D’où la tentative d’empêcher les intrus de pénétrer dans ce monde clos et d’en découvrir les secrets. En somme, une censure qui ne dit pas son nom.
Que les médias soient soumis aux directives des tenants du pouvoir et des grandes puissances d’argent, chacun s’en doutait plus ou moins. Mais le mérite du film de Gilles Balbastre et Yannick Kergoat, tiré de l’essai de Serge Halimi, est d’en mesurer l’impact à l’aide d’exemples précis, ayant pu échapper aux plus fins observateurs. Qui sont donc ces «nouveaux chiens de garde» succédant aux philosophes et aux écrivains que Paul Nizan, dans les années trente, présentait comme garants de l’ordre établi ? Tout simplement des professionnels au service du grand capital, journalistes de la presse écrite, de la radio, de la télévision, experts et commentateurs en tous genres, dont les intérêts se confondent avec ceux de leurs employeurs et qui diffusent, à leur demande, une information «politiquement correcte» et soigneusement contrôlée.
A première vue, ils peuvent donner l’illusion de soutenir l’usager dans sa quête de vérité et sa démarche citoyenne. Le téléspectateur naïf s’habitue facilement aux présentateurs du petit écran, en général fort sympathiques. Leur présence chaleureuse et souriante en fait presque des complices. Ainsi, j’aime bien Franz-Olivier Giesbert, j’apprécie ses émissions. Mais de l’entendre déclarer qu’il est normal que le pouvoir du capital s’exerce sur les médias et décide du contenu du journal, le fait singulièrement baisser dans mon estime. J’aime bien Yves Calvi aussi. Toutefois, quand il se fait contrer par un jeune maghrébin lorsqu’il lui suggère de lancer un appel aux manifestants de banlieue afin qu’ils rentrent chez eux, je pense qu’il ne l’a pas volé. De même que David Poujadas n’a pas volé le refus ferme de Xavier Mathieu à qui il osa demander s’il appelait à un arrêt de la violence. Ces exemples - il y en a beaucoup d’autres - montrent à quel point des journalistes, au demeurant talentueux et réputés objectifs, prennent position (celle qui leur est dictée) dans des affaires où ils devraient logiquement rester neutres. En bons gardiens du système, ils seront sans nul doute généreusement récompensés.
Dans la mesure où elle rapporte, la servilité ne connaît pas de bornes. Beaucoup de ces aboyeurs n’hésitent pas à se contredire ou à renier leurs convictions pour l’os qu’ils auront à ronger. Comment comprendre que Michel Field, un temps trotskiste convaincu, fit acclamer Arnaud Lagardère lors d’un congrès de l’UMP, en 2005 ? Qu’Isabelle Giordano se fourvoya dans l’animation d’un séminaire d’entreprise ? Que Christine Ockrent officia pour Orange et Vuitton ? L’explication est simple : le fric est au bout. C’est ce que l’on appelle des «ménages» dans le jargon journalistique. Une fois de plus, les grands groupes financiers vivant des commandes de l’Etat (Lagardère, Bouygues, Dassault, Bolloré…) font la pluie et le beau temps en graissant la patte à leurs dévoués cerbères.
Ainsi fonctionne le système. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’un expert qui prône la rigueur, en l’occurrence Michel Godet, économiste et professeur au Conservatoire National des Arts et Métiers, soit omniprésent sur les plateaux de télévision et parvienne à totaliser 150 000 € annuels en cumulant salaire à la faculté, conférences et prestations diverses. Tous ces molosses aux dents longues et à l’appétit féroce n’hésitent pas à encenser l’idéologie dominante et à venir en aide aux classes dirigeantes dont ils sont eux-mêmes issus. Ainsi que l’écrit plaisamment un internaute, «maîtres et gardiens ont fréquenté le même chenil» et vivent désormais dans une seule et même «niche dorée, d’où rien ne sort».
Oui, le film «Les nouveaux chiens de garde» mérite vraiment d’être vu. On y apprend plein de choses édifiantes dont chaque citoyen devrait être informé. Je l’ai visionné dans la région grenobloise. La commune voisine de Saint-Martin d’Hères avait -c’est tout en son honneur- invité pour un débat Serge Halimi, le réalisateur, et Philippe Descamps, journaliste, intervenant à l’IEP de Grenoble. Excellente initiative. Car il ne s’agit pas de regarder passivement, et ensuite de s’en tenir là. Ce documentaire incite à la réflexion, au dialogue, à l’échange. Les dysfonctionnements qu’il pointe sans complaisance ne sont peut-être que quelques éraflures tendant à brouiller notre discernement, mais si nul ne s’en indigne, si nul ne cherche à y mettre un terme - pire, si on cherche à les cacher, alors nous serons dévorés. Ou atteints de rage, à cause des morsures infligées.
Pour Messieurs les censeurs, ce serait bien plus grave !
Jean-Michel A. - Guéret (Creuse)
Source : courrier des lecteurs de L’ECHO de la Haute-Vienne
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