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    30 Octobre 2018

    Publié par El Diablo

    Rafael Correa

    Rafael Correa

    Entretien réalisé le 17 octobre 2018

    Correa, qui vit en Belgique depuis 1 an, affirme que dans son pays, on veut le voir en prison ou mort et que Lenin Moreno - actuellement son super-opposant – a traité avec les Etats-Unis : « La CIA agit avec les ambassades. Ce qu'ils veulent, c'est exterminer la gauche. »

     

    Bruxelles

     

    Correa en Belgique, une vie de milliardaire ?

     

    L'automne belge est exceptionnellement chaud. Rafael Correa profite d'un samedi matin d'octobre pour aller au marché de la Place de l'Université à Louvain la Neuve, une ville belge de 29 000 habitants à 40 minutes en train du centre de Bruxelles, où l'ex-président de l'Equateur vit depuis 1 an. Vêtements de sport élégants et chaussures de travail usées, il a dans la poche une feuille de cahier d'écolier sur laquelle sa femme Anne Malherbe – qu'il a connue dans une cité universitaire de cette même ville il y a 28 ans – lui a noté en français qu'il doit acheter des aubergines, des tomates, des concombres, des pommes de terre et des fruits. Il dépense 45 euros. Il demande au marchand de légumes de remplacer, la prochaine fois, les bananes de la République Dominicaine par des bananes de l'Equateur. Il paie avec une carte bancaire de la banque hollandaise ING. Il salue en quechua Armando, un Equatorien d'une communauté andine qui a un stand de vêtements sur le marché. Il marche 10 minutes au milieu d'espaces verts et il rentre chez lui : un 4 pièces avec un balcon-terrasse au second étage. Il le loue 1 250 euros par mois. 

     

    Les Correa ont déménagé à Louvain la Neuve à la mi-2017 parce qu'ils aimaient l'école publique qui se trouve là pour Miguel, leur fils adolescent. Et aussi pour être près de leurs 2 filles, Anne-Dominique et Sofia, qui ont obtenu des bourses pour étudier à Paris. De plus, ils cherchaient à se rapprocher des parents d'Anne, originaires de Namur, à une demi-heure de leur nouvelle maison. Ils voulaient, disent-ils, pouvoir manger ensemble le dimanche ou sortir tranquillement dans la rue. Cet été a été compliqué pour la famille : fin mai, Anne-Dominique a été blessée par une auto à Genève où elle faisait un stage de journalisme. Elle a eu une double fracture ouverte du tibia et plusieurs traumatismes. Elle achève sa convalescence.

     

    Le changement a été dur, d'avoir été président d'un pays pendant 10 ans et de n'être qu'un habitant d'une ville belge parmi les autres ?

     

    Avant d'être président, je détestais la routine ou aller au supermarché, maintenant, j'aime bien. Ils ont dit « Correa, ici, n'est rien. » J'aime bien cuisiner. Du riz, du ceviche. J'aime faire des expériences. Par exemple, l'autre jour, j'ai inventé la « sauceAmatriciana à la Rafael » : j'ai pris du chorizo espagnol. Je suis aussi expert en grillades bien qu'une de mes filles, qui est végétarienne, m'ait convaincu de manger moins de viande.

     

    Visites équatoriennes

     

    A sa main droite, il porte un poignet de contention à cause de l'entorse qu'il s'est faite le 8 juillet dernier en secouant le journaliste équatorien Ramiro Cueva après que celui-ci l'ait insulté dans la rue alors qu'il se promenait avec une de ses filles. S’ils te traitent de voleur, est-ce que tu dois dire vive la liberté de la presse ? Pour être un président, tu n'en es pas moins homme. » Il y a quelques jours, la justice belge a condamné le journaliste pour menaces : il devra payer 1600 dollars d'amende s'il revient en Europe.

     

    Il y a eu un autre épisode violent : en août, 2 journalistes du média équatorien La Posta sont venus pour montrer comment l'ex-président vivait en Europe. Ils ont affronté des partisans de Correa qui vient à Bruxelles. Correa a dénoncé le harcèlement à la police : « Ils sont venus chercher une vie de millionnaire et ils n'ont rien pu démontrer. »

     

    Le salaire moyen en Belgique est d'un peu moins de 4000 euros par mois. Correa dit qu'il pourrait vivre bien avec les 4600 dollars de sa pension de président plus le salaire d'enseignante de sa femme : « Mais j'ai 3 procès, il y a des mois que je dois travailler pour payer ma défense. »

     

    Il est payé pour faire des cours en ligne et des conférences. Il a un salaire fixe en tant que Président de l'Institut de la Pensée Politique et Économique Eloy Alfaro et en plus, il donne des consultations à son compte. Il assure que « l’épargne familiale a été dévorée, » qu'il s'est endetté mais qu'il a équilibré son budget parce que « pour une conférence, ils peuvent payer 60 000 dollars, pas 200 000 comme à Obama mais ils paient bien. »

     

    Lenin Moreno lui a retiré le service de sécurité dû aux présidents, maintenant, il a un service particulier : « C'est une protection de base, des gens sans armes, j'ai besoin d'avoir au moins un chauffeur qui sache conduire en cas d'urgence. C'est une institution qui le paie. Je ne peux pas dire laquelle. La discussion, en Equateur, est tellement folle, qu'ils disent : « si tu es tellement populaire, pourquoi as-tu besoin de protection ? » Mais, en plus de ça, en supposant que je n'aie pas d'ennemi personnel, je connais des secrets d'Etat. »

     

    L'institution qui paie votre sécurité est privée ou publique ?

     

    -Elle est, disons, sans but lucratif.

     

    Judiciarisation de la politique

     

    En Equateur, Correa est sous le coup d'un mandat d'arrêt préventif depuis juillet de cette année. Le Procureur Général de l'Etat l'accuse s'être l'auteur indirect de l'enlèvement de son ex-partisan Fernando Balda que des agents du renseignement équatorien ont tenté d'enlever en Colombie en 2012. Le Procureur désigne Correa parce qu'il était « le président de la République et par conséquent, le chef direct des services de renseignement. »

     

    « Moi, ils veulent me voir mort à l'étranger ou en prison dans le pays et qu'on me tue ici. Ils savent que nous gagnerions n'importe quelle élection si j'y étais. » Un juge se prononcera sur sa situation lors d'une audience le 23 octobre prochain. Interpol n'a ps encore répondu à la demande d'arrestation. Sa dernière possibilité est de demander l'asile en Belgique. « C'est très difficile qu'ils réalisent leur rêve de me voir prendre le risque de rentrer au pays. Si j'y vais, il faudra que je prouve mon innocence alors que ce devrait être le contraire. Ca suffit, c'est une vraie folie, là-bas, on vit une dictature, une absence absolue d'Etat de Droit. »

     

    Mais celui qui dirige cet Etat a été soutenu par vous-même pour arriver au pouvoir.

     

    -Totalement, je suis le principal responsable de ce qui se passe. Comment ais-je pu me laisser tromper par un type comme ça pendant 10 ans ? C'est un imposteur professionnel. Il me disait que j'était le meilleur Equatorien de tous les temps. Maintenant, il dit le contraire. Ou ça a été un imposteur professionnel ou quelque chose l'a retourné. Quelqu'un avec autant de cynisme existe difficilement, il ne peut se maintenir qu'avec la complicité de la presse.

     

    Avez-vous souffert personnellement du changement de Lenin Moreno?

     

    -Nous n'étions pas amis, je l’appréciais beaucoup à cause de son histoire, de la façon dont il s'était remis d'une tragédie. Mais il n'était pas aussi proche de moi que d'autres qui ont aussi trahi et ça, oui, ça déchire le cœur. Je devrais y être préparé, je sais qu'ainsi va la vie mais tu peux savoir qu'une piqûre fait mal et ce n'est pas pour ça que quand on te la fait, elle ne va pas te faire mal. Oui, le nombre et l'ampleur des trahisons m'ont surpris. Qui peut deviner cela ? Nous voyons des visages, pas des cœurs. Il y a des analystes, là-bas, qui disent que la trahison est l’instrument traditionnel de la politique équatorienne. Ils la banalisent ! Comme si c'était une possibilité que tu as, de trahir. Je vous en prie !...

     

    Selon la CELAG, Lenin Moreno a créé un « Bureau pour l'échange d'informations avec les Etats-Unis » et le Centre de Renseignement Stratégique qui seront ouverts à la coopération avec la Maison Blanche. Cette nouvelle politique peut-elle expliquer son revirement ?

     

    -Évidemment, c'est la cause et la conséquence. Et je crois que ce type a traité avec les Etats-Unis.

     

    Avant ou après les élections présidentielles ?

     

    -Je crois après le premier tour. J'ai pensé qu'il allait sortir plus mais c'était un très mauvais candidat, s'il avait été bon, il aurait gagné au premier tour. Le type a eu peur et, par exemple, il a traité avec le Parti Social Chrétien, le pire de la politique équatorienne et il a probablement eu des contacts avec l'Ambassade des Etats-Unis en pensant à trahir.

     

    Les Etats-Unis sont la main derrière le lawfare ? Le lawfare, comme l'a écrit José Natanson dans Carreiro de Barros Filho, c'est « l'utilisation des juges comme outil de persécution politique par la création de super-procès qui impliquent un haut niveau de spectacle. »

     

    -Les oligarchies nationales et internationales aussi. Non seulement le Gouvernement des Etats-Unis mais il y a un système qui marche tout seul, je suis sûr que les présidents des Etats-Unis ne savent pas ce que fait la CIA. Mais tu peux être sûr que la CIA agit avec les ambassades. La décision qu'ils ont prise est d'exterminer la gauche. Ils ne vont pas permettre qu'une autre époque d'or revienne en Amérique Latine: 90 millions de personnes sont sorites de la pauvreté. Maintenant, 20 millions y reviennent. Ils sont prêts à tout. L'ordre est d'exterminer la gauche au pouvoir. Pas la gauche folle, celle du « tout ou rien » mais notre gauche, celle des Lula, Cristina, Chávez, Correa, qui donnons des coups de pieds dans le système. Ils vont essayer aussi de l'exterminer physiquement. Ne vous y trompez pas, je n'exagère pas.

     

    Politique et morale

     

    Pour Rafael Correa, on ne donne pas de coups de pieds dans le système avec des revendications comme la dépénalisation de l'avortement. Discute avec les féministes : « Nous cherchons l'égalité des droits, des salaires, des droits politiques mais nous ne pouvons pas être égaux en tout, biologiquement, nous ne sommes pas égaux. » Je crois qu'avant l'avortement, « il y a milles choses qui passent avant comme k'injustice ou la pauvreté. Pour remplir un pot, si tu mets d'abord du sable, le fin, et ensuite si tu mets du rocher, il y entre moins que si tu mets d'abord ce qui est grand et ensuite ce qui est fin. »

     

    Il y a eu beaucoup de critiques à cause de cette position morale, de gens qui partagent tes idées dans e domaine politique ou dans le domaine économique. Peut-on réconcilier les 2 ?

     

    -Pour moi, la question sociale sur le continent le plus inégal de la planète, c'est la première question morale. Mais au Brésil, par exemple, il y a eu une grande marche avant les élections contre le moralisme de Bolsonaro et les gamines sont allées, torse nu, demander l'avortement, la mariage égalitaire. Cela a apporté 6 points à Bolsonaro. Avant de discuter ces choses qui sont à la frontière du débat, discutons de choses évidentes comme l'inégalité des droits. Le reste a récupéré l'insatisfaction des gens sur des sujets dont la gauche n'a jamais parlé par purisme comme la sécurité. Pourquoi la gauche n'affronte pas plus clairement ce problème pour en venir à bout ? C'est une maladresse politique. En Equateur, nous l'avons fait, nous avons le système de sécurité intégré le plus en avance de l'Amérique Latine.

     

    Pour avoir pu récupérer ces vides importants, l'Eglise Evangélique a permis à Bolsonaro d'arriver aux bases que la gauche a perdues ?

     

    -Je te dirai que l'Eglise Evangélique a trouvé ces bases dont la gauche ne s'est pas occupée. Quand les gens s'inquiètent de certaines positions, ils cherchent autre chose et quand ils voient qu'ils n'ont pas de perspectives de changement, ils se laissent convaincre que ce doit âtre ainsi et ils trouvent refuge dans ces églises. C'est difficile, les dirigeants politiques, ils nous accusent de ne pas avoir été des dirigeants spirituels. De ne pas avoir changé les habitudes de consommation, de nous être focalisés sur le matérialisme et pas sur ce que le sujet a de spirituel. Mais bon, peut-être avons nous laissé la place à ces postures radicales comme celle de Bolsonaro.

     

    Quand Donald Trump a gagné, on disait qu'il allait se heurter aux freins et aux contrepoids du système. Au Brésil, on a l'impression qu'il n'y a pas de limite et que Bolsonaro pourrait ressembler plus à Rodrigo Duterte (le dirigeant conservateur et autoritaire des Philippines qui a mené une sanglante « guerre contre les drogues ») qu'à Trump.

     

    -Je crois qu'il ressemble plus à Duterte, oui. Parce que Trump ne va pas parler en faveur de la dictature, de la torture, de la disparition de 30 000 personnes. Cependant, regarde, je suis optimiste par nature. Si nous ne faisons pas cela avec optimisme, mieux vaut se consacrer à autre chose. Et il faut voir les choses à long terme. Je ne veux pas qu'il gagne, c'est difficile amis pas impossible. Il y a 20 millions de personnes qui n'ont pas voté, ces 20 millions, Haddad a besoin de leur immense majorité. La presse joue un rôle terrible mais si Bolsonaro gagne, comme quand Bush a gagné aux Etats-Unis, cela peut réveiller les Gouvernements progressistes d'Amérique Latine. Son Gouvernement va être tellement primaire qu'il peut provoquer une réaction favorable pour reprendre le chemin de l'humanisme.

     

    Dans quel délai voyez-vous un certain changement dans le rapport de forces ?

     

    -Tout peut arriver. Avant mon Gouvernement, chaque Gouvernement durait un an et demi. Je suis optimiste, je pense que la situation politique changera rapidement et que nous commencerons à récupérer beaucoup de ce que nous avons cédé.

     

    Retraite en partie volontaire

     

    Tant que durera la menace de prison préventive, Correa ne rentrera pas en Equateur. Il dit aussi que son objectif, quand il est parti, n'était pas de s’exiler mais de se retirer pour écrire. Il s’assied à son bureau, qui se trouve dans la salle de séjour de la maison, quand tout le monde est allé dormir et que seul son chat Dobi est encore éveillé. Il prépare 3 livres sur le développement de l'Amérique Latine. Pour cela, il relit des livres comme « Pourquoi les pays échouent-ils ? » d'Acemoglu et Robinson ou « Pourquoi les nations latino-américaines échouent » de Pérez Caldenentey et Vernego. Pour Correa, « nous n’atteindrons pas le développement si nous n’augmentons pas la production » et pour cela, il faut surmonter « l'incapacité pour s'organiser. » Il relit aussi la « thèse sur le climat » de David Landes qui traite des raisons pour lesquelles les pays qui ont un climat chaud n'ont jamais réussi à se développer.

     

    Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

    SOURCE EN ESPAGNOL: