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    Dimanche 11 mars 2012 7 11 /03 /Mars /2012 07:00


    Par DESIRS D'AVENIR HERAULT

    Interview exclusive de François Hollande

    00216 Le Magazine des Tunisiens à l'étranger. 11.03.2012


    « Oui ! Si je suis élu, je soutiendrai la procédure de restitution au peuple tunisien des biens mal acquis du clan de Ben Ali… »

     

     

     

    00216. Quelle lecture faites-vous du Printemps arabe ?
    François Hollande. Le Printemps arabe, qui a débuté en Tunisie, est un bouleversement majeur dont nous sommes loin de mesurer toute l’ampleur à ce jour. Il a montré à quel point l’aspiration à la liberté et à la justice était universelle et forte. Je l’ai constaté de mes propres yeux à Tunis au lendemain de la Révolution. Il nous engage à renouveler entièrement nos relations avec les pays en transition, comme la Tunisie. La France se doit en effet d’apporter son entier soutien à tous ceux qui se battent pour la liberté et les droits fondamentaux. Elle doit aussi rester très vigilante sur le respect de ces droits par les nouveaux gouvernements élus.



     La Révolution tunisienne et le Printemps arabe ont été portés par une jeunesse indignée et révoltée. Aujourd’hui, vous axez votre campagne présidentielle sur les jeunes, est-ce à dire que vous avez pris conscience du « péril jeune » ?
    La Révolution tunisienne et le Printemps arabe sont portés par une jeunesse déterminée à ne plus tolérer l’intolérable et à affirmer sa volonté d’un avenir meilleur. En France, j’ai fait de la jeunesse ma priorité. Notre génération a, je le crois, pour mission d’offrir à la génération suivante une vie meilleure que la nôtre. Car la jeunesse, ce n’est pas un « péril » ! C’est l’avenir, l’espoir réel du changement. C’est pourquoi je porte en France un projet ambitieux en matière d’éducation, d’emploi, de formation, de culture. Je propose aussi que la jeunesse soit au cœur d’un partenariat renouvelé entre les pays européens et les pays du sud de la Méditerranée.


     Les dictateurs Ben Ali, Kadhafi, El Assad, Moubarak ont été soutenus et accueillis à Paris avec les honneurs de la République (certains par des chefs d’Etat et de gouvernement de gauche). La politique arabe de la France du « Tout sauf l’islamisme » n’a-t-elle pas trahi les idéaux et les valeurs de la France ?
    J’ai été choqué, comme beaucoup de Français, par l’accueil réservé, au cours du quinquennat qui s’achève, aux dictateurs, aujourd’hui déchus, à Paris. Cela ne correspond pas aux valeurs de la France de démocratie, de liberté, de respect des droits fondamentaux. Rien ne justifie le soutien à des régimes liberticides et dictatoriaux. C’est pourquoi la gauche a appelé le gouvernement français à soutenir la Révolution tunisienne et le Printemps arabe, dès son déclenchement. Le silence de la France n’avait que trop duré.


     Regrettez-vous le silence du Parti socialiste et de l’Internationale socialiste pendant toute la période Ben Ali ?
    Le parti de Ben Ali, le Rassemblement constitutionnel démocratique, a été exclu de l’Internationale socialiste à la demande, notamment, du Parti socialiste français. Celui-ci entretenait par ailleurs, avant la révolution, des liens avec les forces réellement progressistes et démocratiques en Tunisie.

     Dans les pays arabes, l’image prestigieuse de la France du général de Gaulle et du Président Chirac cède aujourd’hui la place à une francophobie naissante. Si vous êtes élu, comment comptez-vous redorer le lustre terni de la France dans le monde arabe ? Quelles sont les grandes lignes de votre politique arabe ?
    L’intensité de nos liens avec les pays du sud de la Méditerranée nous engage : nous partageons des relations anciennes d’amitié et d’échange qui doivent être tournées vers l’avenir. Si je suis élu président de la République en mai prochain, je m’emploierai à reconstruire nos relations sur des bases nouvelles, à la hauteur du changement historique que représente le Printemps arabe. Je souhaite que la Méditerranée soit réaffirmée, en lien avec nos partenaires européens, comme l’une des grandes priorités de la politique étrangère de la France. Sur la base d’un nouveau partenariat politique, économique, social et culturel, je veux relancer les coopérations entre nos pays, en particulier en direction de la jeunesse.


    Lancée il y a un an, la procédure de restitution des biens mal acquis en France du clan de Ben Ali est au point mort. En cause, le manque de volonté politique pour certains, et la crise financière qui n’incite pas les institutions financières à la coopération pour d’autres. Si vous êtes élu, soutiendrez vous activement cette procédure en cours ?
    Oui. Justice doit être rendue et la volonté politique doit être au service de la justice. La crise financière ne justifie pas tout et ne saurait remettre en cause la lutte contre la corruption. Cette lutte sera au cœur de notre action internationale.


    A l’exception notable de laction de la Mairie de Paris et de diverses ONG, environ 20 000 jeunes Tunisiens fuyant la misère et passés par Lampedusa en 2011 ont été traités comme des parias par l’Etat français, est-ce digne de la France ?
    Je salue l’action qui a été menée par mon ami Bertrand Delanoë, Maire de Paris, par les ONG et les associations pour venir en aide aux Tunisiens qui se trouvaient dans de terribles difficultés à Paris. Cela montre l’importance de la mobilisation des pouvoirs publics en lien avec la société civile pour conduire des actions concrètes. La France se doit de respecter en toutes circonstances les valeurs de justice et de dignité. Il n’est pas acceptable qu’il en aille autrement. C’est ce qui doit nous inspirer dans le cadre d’une politique migratoire responsable et digne.


    Vous avez déclaré que « Le G8 a été trop frileux » et que l’aide internationale de 40 milliards d’euros promise à l’Egypte et à la Tunisie « ne doit pas s’étaler sur cinq ans, mais être immédiate ». Un engagement difficilement tenable en période de crise ?
    Le G8 a pris des engagements : il doit les tenir au plus vite, et j’y veillerai avec attention si je suis élu président de la République française. Il y a, en effet, urgence à agir car les attentes économiques et sociales sont très fortes dans cette période cruciale pour les pays en transition. Nous devons pour cela engager dans les meilleurs délais des actions concrètes en investissant massivement dans les domaines de l’éducation, de la formation, de l’emploi. La lutte contre le chômage et contre les inégalités, la protection sociale et la construction d’une économie performante doivent être, je le crois, au cœur de notre partenariat, pour répondre aux besoins concrets des pays en transition et tout particulièrement de la Tunisie.


    Lors de votre discours au Bourget, vous avez dit que « les enfants d’immigrés doivent être fiers, fiers d’être français »…Dans la réalité d’aujourd’hui, les enfants d’immigrés se sentent stigmatisés, meurtris et résignés. Comment comptez-vous rebâtir le mieux vivre ensemble ? Quels sont les axes de votre politique d’immigration (droit de vote des étrangers, étudiants étrangers…) ?
    Au Bourget, j’ai adressé un message aux Français, à tous les Français, et parmi eux, aux enfants d’immigrés qui se sentent aujourd’hui mis à l’écart de la communauté nationale à force d’exclusions et de discours discriminants, qui divisent. Beaucoup de Français ont une origine étrangère, eux-mêmes, leurs parents ou leurs grands-parents sont nés dans un autre pays. Cela contribue à la richesse de la France, sa diversité, son ouverture, et c’est le message que j’ai voulu adresser à ceux qui se sentent aujourd’hui exclus. Mon approche de l’immigration est aux antipodes de la stigmatisation que pratique la droite au mépris des valeurs républicaines. C’est pourquoi, en particulier, je propose le droit de vote pour les étrangers aux élections locales et j’abrogerai la circulaire du 31 mai sur les étudiants étrangers, qui restreint de manière inacceptable leur accueil en France.


    Vous voulez autoriser le droit de vote aux étrangers aux élections locales, Claude Guéant affirme qu’accorder le droit de vote aux étrangers pourrait conduire à ce que « des étrangers rendent obligatoire la nourriture halal » dans les cantines. Que pensez – vous de cette affirmation ?
    Je pense que c’est choquant et absurde. En faisant le lien entre le droit de vote des étrangers aux élections municipales et l’obligation de nourriture halal dans les cantines, Claude Guéant persévère dans l’excès et la caricature. Cet amalgame fait d’ailleurs écho aux propos du même Claude Guéant sur l’inégale valeur des civilisations. Ces paroles blessantes et faites de rejet visent une nouvelle fois les Musulmans. Elles divisent au lieu de rassembler. Si je suis élu président, je chercherai d’abord à rassembler. Le droit de vote aux élections locales pour les étrangers régulièrement établis en France depuis plus de cinq, qui est une première étape vers l’intégration dans la communauté nationale, participe de cette volonté de rassembler et d’inclure.


    L’islam et la culture arabo-musulmane ont-ils leur place dans l’identité nationale ? Au nom du mieux vivre ensemble, les politiques n’ont-ils pas un devoir de dédiabolisation de l’islam ?
    La France est une République laïque qui respecte toutes les croyances. Le devoir du politique, c’est de permettre à tous de trouver leur place dans la République, dans le respect de la liberté de conscience.


    Propos recueillis par Oualid Dachraoui


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