Mais il faut aller au-delà. Quand la droite est au pouvoir, il est permis à tout homme réputé de gauche d’espérer exercer une fonction officielle : sous Sarkozy, le ministre des affaires étrangères, le haut-commissaire aux solidarités actives, le premier président de la Cour des Comptes, le directeur de France Inter, nommés par Sarkozy, venaient de de la gauche. Les inspirateurs principaux de la politique de Sarkozy s’appelèrent Jacques Attali, Bernard-Henri Lévy, Jean-Pierre Jouyet, Richard Descoings etc. Certains, suprême élégance, se rallièrent à François Hollande quelques semaines avant la présidentielle !
Rien de tel quand la gauche est au pouvoir. Les hommes tant soit peu étiquetés à droite dans la haute fonction publique le savent : ils n’ont rien, absolument rien, à espérer pour cinq ans. En 2012, comme en 1981 et en 1997 (sous réserve dans ce dernier cas de la cohabitation), le mort d’ordre de la gauche est simple : à nous toutes les places, tout de suite. Ne font exception que les corps où les gens de gauche sont trop peu nombreux : préfets, généraux : certains d’entre eux, quelles que soient leurs opinions intimes font cependant allégeance aux réseaux de gauche et cela seul importe.
A gauche, plus qu’à droite, c’est bien connu, on se soutient et, pour cette raison, on y fait plus facilement carrière. Rassurons-nous : il n’y aura pas de mouvement des députés socialistes de base, excédés par trop de nominations d’ouverture, comme il y en eut à l’UMP en 2008, pour la bonne raison que de telles nominations, il n’y en aura pas.
Cette dissymétrie est bien connue des gens du sérail mais mal connue du grand public. Au moins pour cette raison, on ne peut pas tenir la droite et la gauche pour équivalentes. Pour l’expliquer, il faut, bien sûr, faire la part du fait que, pour la gauche, la politique est un substitut de la religion (les hommes de gauche n’en ayant généralement pas !). Il y a pour eux les bons et les mauvais et, au fond de l’esprit de tout militant de gauche, subsiste la conviction que tout homme de droite est quelque part un salaud, pour utiliser le vocable hautement philosophique de Jean-Paul Sartre. Lui faire cadeau de la moindre miette de pouvoir ne serait pas seulement une faute politique, ce serait une mauvaise action !
L’affaire Strauss-Kahn n’a rien changé : peu de gens de gauche qui ne soient persuadés de la supériorité morale de leur camp (puisque il est supposé être celui des pauvres, ce qui compte encore dans un climat de post-christianisme abâtardi !). Ne font exception que quelques cyniques de haut vol, dont la fréquentation est, il faut bien le dire, plus agréable pour les gens de droite que celle de la base : François Mitterrand était sans doute de ceux-là. Lionel Jospin, sûrement pas. François Hollande ? On se le demande.
Autre raison de cette attitude : la gauche étant supposée venir davantage que la droite des classes populaires , elle a une revanche à prendre à la mesure de son handicap de départ. Inutile de dire ce que peut valoir encore un tel argument quand le tiers du gouvernement, comme c’est le cas aujourd’hui, est familier des clubs les plus sélects de la capitale !
Mais permettons nous de penser aussi que dans le sectarisme propre à la gauche (et qui est encore pire à la gauche de la gauche), il n’y a pas seulement le sentiment d’une supériorité morale ou d’une revanche à prendre, il y a tout simplement une approche vulgaire du pouvoir, la même qui s’est exprimée à Pau et à La Rochelle : le pouvoir est grand fromage dont il faut profiter tout de suite : vite, vite, jouissons en pleinement et sans partage !