• Un peu d'histoire, publié par UDCGT/NORD =

    Le 27 décembre 1974, la catastrophe (évitable) de Liévin 26 Décembre 2014

    Le 27 décembre 1974, la catastrophe (évitable) de Liévin

    Il y a quarante ans, au fond d'une galerie de la fosse 3, dite Saint-Àmé du siège 19 du groupe de Lens-Liévin, 42 mineurs ont trouvé la mort. Un drame qui n'était pas dû à la fatalité.

    Les organisations syndicales ont décidé l'arrêt de travail pour le bassin minier du Nord-Pas-de-Calais. En ce qui concerne notre fédération nationale du sous-sol CGT hier nous avons appelé les mineurs de France à rendre le jour des obsèques un dernier hommage aux victimes et à exiger plus d'hygiène et de sécurité dans les mines... Nous ne croyons pas à la fatalité.

    Quand il y a une catastrophe comme celle que nous avons connue hier, une véritable tragédie, il y a incontestablement des causes. Nous voulons qu'elles soient décelées, recherchées afin que pareille tragédie ne se reproduise plus.

    Mardi prochain, lors des funérailles des victimes, les mineurs du Nord-Pas-de-Calais et de nombreux mineurs d'autres bassins vont rendre, par une grève de vingt-quatre heures, hommage aux victimes. » Achille Blondeau, secrétaire de la fédération des travailleurs du sous-sol CGT, a le ton grave. La veille, le 27 décembre 1974, à 6h30 du matin, un violent souffle dévasta à 710 m de profondeur une part de la fosse 3, dite Saint-Amé de Lens-Liévin, à Liévin. Une cinquantaine d'hommes se trouvaient au fond, exécutant des travaux préparatoires pour l'exploitation future de ce chantier. Quarante-deux gueules noires y laissèrent leur vie, le plus jeune avait vingt- cinq ans, le plus âgé cinquante-quatre : à cet instant, cent quarante enfants devinrent orphelins ! L'émotion fut consi¬dérable. La catastrophe de Liévin en ce Noël 1974 était la plus grande tragédie que connaissait le bassin houiller du Nord-Pas-de-Calais depuis les 1099 victimes de la tragédie de Courrières en mars 1906. Tout d'abord les responsables évoquèrent un coup de poussier. L'utilisation du marteau-piqueur et plus encore des haveuves mécaniques augmentait considérablement la présence de fines particulières de carbone dans les mines. Hautement inflammables, elles favorisaient les explosions dévastatrices. Mais, très vite, les experts ac¬quirent une autre conviction. Les 42 corps remontés du fond avaient été autopsiés : les autopsies révélèrent la présence de grisou.

    L'accident était donc lié à un coup de grisou. Composé de 90 % de méthane, inodore et invisible, le grisou était le gaz redouté des mineurs. Bien sûr, comme d'habitude, les responsables des Charbonnages de France évoquèrent la fatalité... Mais, pressés par l'émotion qui a saisi le monde de la mine et l'opinion publique par la mobilisation des organi¬sations syndicales, le ministre de l'Industrie, le comte d'Ornano, doit promettre une commission d'enquête impartiale... À Liévin, l'émotion ne retombe pas. Pas question de faire payer les lampistes ! L'instruction judiciaire est confiée au juge Pascal, le « petit juge » qui avait défrayé la chronique lors du sordide assassinat d'une adolescente à Bruay-en-Artois. Très vite les langues se délient... La surveillance des chantiers aurait laissé à désirer ; plus grave encore, les mesures de grisoumétrie n'ont été que partiellement effectuées...

    EST-CE LA FIN D'UN MONDE?
    La fin d'un monde? Dans son dernier ouvrage, Fin d'un monde ouvrier (Éditions EHESS, 227 pages, 16 euros), l'historienne Marion Fontaine interroge sous l'angle de l'histoire sociale et politique le processus de désindustrialisation que cette catastrophe de Liévin met au jour. En cette année 1974, nous sommes en plein basculement post-Mai 1968 où le mythe ouvrier incarné par les mineurs se trouve confronté à de nouvelles formes de mobilisation face à une nouvelle phase de mutation du capitalisme, qui, après les Trente Glorieuses, entre dans la crise. La figure du « petit juge » comme ici dans cette plus grande catastrophe minière de l'après-guerre ou dans la société de la victime (migrants, femmes, etc.) commence à se substituer à celle de l'ouvrier de l'industrie... Lutte des classes, fin des projets d'émancipation humaine, Marion Fontaine plaide plutôt pour une redéfinition du mouvement social.

    Michel Halipré, agent de maîtrise CGT, accompagnera le juge Pascal dans la fosse ; il pointera ces manquements, la sup-pression de la vérification du site par un gazier et l'installation d'une bascule d'aérage sans autorisation. Nous sommes en pleine période de récession minière ! Dans le Nord-Pas-de- Calais les fosses ferment les unes après les autres malgré une brève reprise en 1973, le prix du pétrole ayant fortement augmenté. Dans son intervention, Achille Blondeau a fortement insisté en exigeant le maintien des mesures de sécurité, y compris dans les fosses dont la fermeture était programmée... Les interventions du juge polarisent les médias, elles risquent aussi d'enfermer l'instruction dans l'impasse d'une dénonciation politicienne. Les organisations syndicales ne cèdent pas.

    En 1975, l'ingénieur, responsable du siège, Augustin Coquidé est inculpé. Le renvoi du juge Pascal n'arrêtera pas la procédure. En effet, les mineurs, leurs syndicats, en particulier la CGT, veulent la vérité... En 1978, l'ingénieur est renvoyé devant la chambre correctionnelle. Le jugement définitif sera rendu en janvier 1981... Encore trois ans à attendre ! La décision du tribunal de Béthune est fondamentale. Une condamnation des Houillères permettrait une augmentation de la pension trimestrielle accordée aux veuves et orphelins. Une condamnation mettrait pour la première en cause le patronat minier lors d'une catastrophe. Le 23 janvier, le jugement définitif du tribunal est sans aucune ambiguïté. Ses conclusions sont sans précédent : pour la première fois dans l'histoire de la mine en France, une société exploitante, celle des Houillères du bassin du Nord-Pas-de-Calais, est reconnue civilement responsable du drame. Elle est condamnée pour « faute inexcusable ».,

    PIERRE OUTTERYCK PROFESSEUR AGRÉGÉ D'HISTOIRE

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