• VENEZUELA INFOS , sur le blog de THIERRY DERONNE =

    Miguel Littin tourne «Allende, ton nom a le goût de l’herbe» au Venezuela.

    Roulés dans la farine par une campagne médiatique sans précédent*, les occidentaux ignorent que l’insurrection de la droite vénézuélienne contre des élections qui ont favorisé la gauche – insurrection menée par une minorité d’étudiants riches, militants d’extrême droite, paramilitaires colombiens, trois généraux de l’aviation et de nombreux formateurs de la CIA, n’est qu’une réplique du coup d’État mené contre la révolution de Salvador Allende, il y a 41 ans. La nouvelle présidente chilienne Michele Bachelet a dénoncé avec la quasi-totalité des mouvements sociaux et des gouvernements latino-américains “les minorités violentes qui cherchent à renverser un gouvernement librement et démocratiquement élu au Venezuela”. Le hasard fait qu’alors que l’empire contre-attaquait au Venezuela, le cinéaste chilien Miguel Littin était en train d’y tourner son prochain film intitulé “Allende, tu nombre me sabe a hierba”. Témoignages recueillis à Caracas lors d’un break de tournage par l’équipe du Correo del Orinoco.

     

    Traduction : Jean-Marc del Percio

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    Miguel Littin vient de mettre un point final au tournage sur le sol vénézuélien, de son prochain film intitulé Allende, tu nombre me sabe a hierba (sortie prévue le 11 septembre 2014). Le cinéaste chilien, réalisateur du mythique “Chacal de Nahueltoro” ou de “Sandino”, a tourné au Venezuela l’ensemble des scènes correspondant aux 7 heures les plus décisives de la vie d’Allende. Ces 7 heures correspondent au moment où, entouré de tous ses collaborateurs, le président montra sa détermination à résister au coup d’Etat fasciste, en pénétrant pour la dernière fois dans les murs du Palais de la Moneda. C’est à ce moment crucial qu’il prononcera son fameux discours d’adieu, dont la fameuse phrase : « un jour s’ouvriront les grandes avenues… » sera le point d’orgue.

    “Allende. Tu nombre me sabe a hierba” narre un acte héroïque réel par le prisme de la fiction. Le film met en avant des personnes qui ont perdu la vie lors du coup d’Etat du 11 septembre 1973 (Chili), dans les murs de la Moneda; et plus précisément, durant les ultimes heures de la vie du Président Allende, du jour où le coup d’Etat a éclaté, changeant de ce fait, le cours de l’Histoire de l’Amérique latine. Selon le réalisateur, cette co-production chileno-vénézuélienne, a tourné 50% de ses images en terre bolivarienne – scènes qui se sont déroulées dans l’enceinte de La Moneda, avant et après le déclenchement de la féroce attaque visant la présidence.

    Deux fois nominé pour l’Oscar dans la catégorie du Meilleur film étranger (1975 et 1982), deux fois nominé à Cannes dans la même catégorie (1976 et 1978), Miguel Littin sera l’un des collaborateurs de Salvador Allende avant l’élection de ce dernier à la présidence du Chili. Par la suite, le cinéaste sera également placé à la tête de l’institution d’Etat Chile films (1971). Ne se trouvant pas sur les lieux aux côtés d’Allende en ce 11 septembre 1973, le metteur en scène a rassemblé toutes les informations relatives à cet événement.

    « Ai-je tout inventé ? Non. Ai-je été un témoin visuel des faits ? Pas davantage. Ce sera au spectateur de trancher. Je ne me trouvais pas sur les lieux de la tragédie. En revanche, je sais ce qui s’est passé, parce que des gens qui étaient sur place avec Allende, me l’ont rapporté. Toutefois, je promets à ceux qui verront le film, qu’ils seront persuadés que cela s’est déroulé ainsi ».

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    Espaces et temps d’un tournage.

    Le siège de la Chancellerie vénézuélienne, a accueilli les premières scènes du tournage. Par la suite, le bâtiment abritant la vieille Cour Suprême de Justice (centre de Caracas) a été choisi afin de graver sur la pellicule les moments qui ont vu le Palais de la Moneda être détruit par les bombes d’avions pilotés par des officiers ayant trahi Allende. Parallèlement au tournage sur la terre de Bolivar, une équipe chargée de poursuivre son travail au Chili, s’est employée à restituer divers aspects de l’itinéraire biographique d’Allende, d’avant le coup d’Etat : son adolescence, mais aussi d’autres moments ayant trait à sa vie intérieure seront privilégiés, ce qui permettra aux spectateurs d’entrer dans la vie même de cette personnalité majeure de l’histoire du Chili et de l’Amérique latine. « Nous avons beaucoup tourné. Il nous reste à peaufiner certains détails au Chili. L’essentiel a d’ores et déjà été réalisé au Venezuela ».

    Première du film en septembre prochain.

    Le 11 septembre prochain il y aura 41 ans qu’eut lieu le coup d’Etat. Outre Caracas et Santiago du Chili, Littin espère que le film paraîtra simultanément sur les écrans de cinéma à La Havane, Mexico, Buenos Aires entre autres. « L’idée étant de se souvenir de ce moment non seulement avec tristesse, mais aussi avec la joie de rendre hommage à la vie d’un homme qui se consacra totalement à la réalisation de ses idéaux ».

    L’expérience de la solidarité vénézuélienne, de l’exil à aujourd’hui.

    Le réalisateur chilien raconte que les 17 jours de tournage au Venezuela ont été «extraordinaires» parce que des techniciens et des acteurs de haut niveau se sont donnés à fond, « heure après heure, jour après jour, rendant ainsi possible la réalisation du film ». «Un climat de grande coopération, assorti d’un grand savoir-faire sont les ingrédients qui rendent les films particulièrement forts, puissants, et les inscrivent dans la durée». Littin insiste sur le fait que cette co-production chileno-vénézuélienne a été la traduction de l’amour qu’il ressent pour le Venezuela. « Je lui voue un amour de longue date. Depuis mes années étudiantes. Mon premier séjour dans ce pays, remonte à 1968, date de la présentation de mon premier film à Merida : Por la tierra ajena. De plus, lors de mon exil hors du Chili, la solidarité vénézuélienne m’a suivi partout. De ce fait, cette récente (re)prise de contact a été placée sous le signe d’un grand bonheur. Les causes en sont multiples, y compris sur le plan personnel ».

    “Comme si ce qu’ils vivaient était réel.”

    Littin confie qu’Allende -qu’il a connu personnellement- aura été l’un des hommes qu’il admira le plus. Ce sont cet amour et ce respect conjugués, qui l’ont poussé à réaliser ce long métrage. “Bien que cumulant une expérience de 50 ans en tant que cinéaste, pour moi, le dernier des films réalisés semble toujours être le premier. Tout comme la première fois, et comme si j’avais 25 ans, le tournage d’un film me confère toujours un sentiment de bonheur infini, mais aussi de plénitude. Cet état d’esprit m’aide à suppléer ce que l’affaiblissement de l’âge et du temps m’imposent ».
    Ce projet tenait Littin à cœur depuis bien longtemps. Jusqu’à ce que les conditions spirituelles et physiques soient réunies, lui permettant de venir à bout d’une entreprise qui jour après jour, lui « déchirera l’âme, et lui arrachera des lambeaux de coeur ». « Aujourd’hui (vendredi) nous étions en train de filmer l’épisode qui vit le Président Salvador Allende prendre congé de ses collaborateurs, leur serrer la main et les embrasser. La scène se situe au Palais de la Moneda. Or, tous ces garçons avaient les larmes aux yeux, comme si ce qu’ils vivaient était réel. Quant à moi, tout cela me fendait le cœur. Cependant, je me devais de leur expliquer qu’au-delà de ce moment qui signifiait pour eux, la déroute, la victoire au regard de l’Histoire est acquise. Allende « était un homme très romantique, il débordait d’amour, non seulement pour sa propre épouse, mais pour son peuple tout entier ».

    “Isoler les secteurs fascistes”
    Revenant sur les violences subies par le Venezuela ces dernières semaines, le cinéaste Miguel Littin a insisté sur le fait que le plus important, consistait à instaurer le dialogue -à le consolider- entre les différentes strates de la société de ce pays. Rechercher la paix, « isoler les secteurs fascistes, distinguer celles et ceux qui souhaitent aller dans le sens de l’échange ».

    Poursuivre sa tâche de cinéaste.
    Littin confie qu’à l’issue du tournage de Allende, tu nombre me sabe a hierba, son seul objectif était de réaliser d’autres longs-métrages. « Pourvu que Dieu m’accorde suffisamment d’années de vie. Je pourrais ainsi poursuivre ma tâche de cinéaste et réaliser des films qui resteraient gravés dans la mémoire des gens ».

    L’acteur Daniel Munoz dans le rôle du Président chilien.

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    Littin a retenu la candidature de l’acteur Daniel Munoz -très connu des Chiliens- pour ramener à la vie le temps d’un film, le Président Salvador Allende. Issu de la fameuse Ecole de Théâtre de l’Université du Chili, et pourvu d’une expérience de 20 années dans le domaine du théâtre, du cinéma et de la télévision, Munoz a confié au Correo del Orinoco que deux ans auparavant, un producteur l’a effectivement approché pour lui dire que Littin comptait sur lui pour interpréter le rôle d’Allende.
    L’acteur a su que le réalisateur a porté son choix sur lui, après l’avoir vu au travail dans une série chilienne pour la télévision. Elle retraçait l’histoire d’une famille de ce pays durant les années 1980, tout en portant un regard sur une partie de la société chilienne dont la transformation sera due au coup d’Etat de 1973.
    « Dans cette série, j’interprète le rôle d’un père de famille : Juan Herrera. Le caractère chaleureux du personnage, sa tendresse et sa fragilité, ne le pousse cependant pas à renoncer à la préservation de sa famille, faisant ainsi preuve d’une certaine force de caractère. Tout cela a décidé Littin à me retenir pour endosser le rôle d’Allende au cinéma. Car selon Miguel, Allende aura eu le comportement d’un père de famille qui s’emploiera à défendre sa sphère familiale (son pays) , n’hésitant pas sacrifier sa propre vie pour cette cause. Littin y vit par conséquent beaucoup de ressemblance, c’est pourquoi il me jugea apte à assumer cette tâche ».

    Daniel Munoz ne donna pas son accord immédiatement. Tout d’abord parce qu’il est âgé de 47 ans, alors qu’Allende mourut dans sa soixante cinquième année. Cette différence de 18 ans, il fut nécessaire de la gommer, et l’acteur était réticent à se soumettre à de longues séances de maquillage préliminaire. Finalement, prenant acte de l’envergure du projet, il entrevit le caractère particulièrement enrichissant de cette interprétation pour sa propre carrière, et accepta de rejoindre la production.

    De son propre aveu, la préparation que lui imposa ce travail, contribua à changer radicalement son propre jugement sur Allende. Avant de se lancer dans la réalisation de ce projet, Daniel Munoz connaissait du légendaire leader latino-américain ce que tout chilien moyen sait de lui : le coup d’Etat, ses discours et son sacrifice. Malgré cela, il ne possédait de cet homme, qu’une vague image.

    « Avec l’accomplissement de ce travail, je pris l’exacte mesure de la grandeur de son existence. De ce pourquoi il était destiné à accomplir, lors de son passage parmi nous. Depuis, je me considère à 100% allendiste.

    Certes, avant d’être partie prenante de ce projet, je l’admirais. Désormais, je comprends clairement pourquoi tant de ses relations amicales lui manifestèrent une telle loyauté, allant jusqu’à sacrifier leur propre vie pour les idéaux auxquels il croyait. Il en est ainsi, parce que c’était un homme de vérité, il l’a toujours été ; la complète transparence de ses actes ne pouvait que convaincre. Il m’a également convaincu, c’est la raison pour laquelle je suis ici ; et c’est également pour cela que je considère ce projet comme le plus important de ma carrière d’acteur. C’est un défi difficile à relever, qui me tient en haleine, et qui doit être abordé avec beaucoup de doigté. Pour ce faire, je me dois d’en appeler à toutes mes ressources afin d’être à la hauteur et au service d’un tel projet ».

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    “Ne m’oubliez pas.”

    Selon son principal interprète, Allende. Tu nombre me sabe a hierba, est un film d’une valeur transcendantale. En premier lieu, parce qu’il aborde fidèlement, mais non pas sous la forme d’un documentaire, ce qui se passa au Palais de la Moneda à cette date si importante pour l’histoire contemporaine de l’Amérique latine. Enfin parce qu’il se présente sous la forme de la personne qui se situe en retrait par rapport à l’homme d’Etat et au révolutionnaire qu’il aura été.
    Munoz rappelle que l’année 2013 a été fertile en programmes de télévision notamment, qui abordèrent ce fatidique putsch militaire, qui s’imposa 40 ans auparavant. « Toutefois, personne ne parle d’Allende, de ce qui se passait réellement dans sa tête, de cet homme qui a incarné cette épopée véritablement héroïque. Pour autant, dès que ce thème est abordé au Chili, une grande crainte s’affiche. Non seulement à droite, mais aussi de ceux qui étaient -et sont favorables- à l’idéologie qu’Allende promouvait. Il est en peut-être ainsi car ils considèrent que cet événement est définitivement inaccessible ; ou bien parce qu’ils ne savent comment en narrer les étapes ».

    Allende. Tu nombre me sabe a hierba, fera désormais partie du très petit nombre d’oeuvres cinématographiques qui offre « un regard différent » -à partir d’un support fictionnel- sur le coup d’Etat de 1973. Il sera le premier film non documentaire à en parler de cette manière, c’est-à-dire en prenant en compte ce qui s’est passé à l’intérieur des murs du Palais de la Moneda, et en y incluant l’espace proprement intime de Salvador Allende. « L’un des dialogues du film restitue l’échange entre Allende et l’ambassadeur d’Argentine, qui lui offre de l’aider en ce moment crucial. Le Président répondra en lui disant : "La seule chose que je solliciterai, c’est que l’on ne m’oublie pas". Or, ce film appelle à cela, précisément. A ne pas oublier. Moyennant quoi, nous nous remémorons cette demande et l’honorons de notre souvenir », affirme l’acteur.

    A la recherche de l’homme.

    -Miguel Littin a raconté que lors du tournage de ce film, il se sentait tout intimidé à l’idée de diriger le président Allende -à lui donner des ordres- à travers vous.

    -Ah, ah, ah. C’est amusant et cela me plaît beaucoup. De toutes manières, j’aime avoir conscience de ce que je suis en train de faire. La thèse selon laquelle l’acteur s’efface totalement derrière le personnage qu’il incarne, qu’il oublie en quelque sorte, d’être ce qu’il est, ne me convient pas. Je suis en effet en permanence conscient de la présence de la caméra, sensible au son et au regard des gens qui m’environnent, sur le lieu de tournage. Cependant, il subsiste toujours des moments d’inconscience qui s’imposent au moment même où se déroule la scène que j’interprète. Tout cela résulte d’un travail sérieux et n’a rien à voir avec la Divine Providence, ni même avec un talent extraordinaire. C’est un travail de longue haleine, qui nécessite de nombreuses années de labeur, durant lesquels l’on engrange nombre d’acquis et d’informations, lesquels à un moment donné s’échappent librement de soi. L’interprétation d’une scène, ne laisse guère la place au doute. C’est la confiance dans le fait que tout est bien préparé qui favorise le relâchement et par voie de conséquence, la montée à la surface de cette forme d’inconscience qui pousse à l’émergence de Salvador Allende, dans le cas de figure qui nous intéresse.

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    -Comment s’est déroulé votre travail pour la construction du personnage ?

    -La première des choses fut de comprendre par quel biais aborder le personnage ; déterminer quel serait le chemin à suivre, parce que de très nombreuses options s’offraient à nous. Allende est un personnage mythique, et comme tel, il transcende sa propre histoire. Je me suis consacré à l’étude de l’histoire du Chili, et ai entrepris la recherche de données importantes, susceptibles de cerner très précisément Salvador Allende sur le plan biographique. Par la suite, j’ai commencé a approché la personne d’Allende, à proprement parlé. C’est-à-dire, non plus seulement l’homme des discours, non plus uniquement le politique, mais le père, l’ami qu’il aura été pour certains. Ce ne fut pas une démarche aisée, car je n’avais en ma possession que très peu d’éléments ayant trait à ces domaines. Cela dit, une fois réunies toutes ces informations, il m’a fallu les confronter à l’histoire bâtie par Littin, et entamer un gros travail visant à la définition d’un Allende conforme à l’image que nous souhaitions donner de lui.

    -Et quel est le Salvador Allende que le film montrera ?

    -C’est l’homme qui a mûrement réfléchi aux raisons pour lesquelles il allait sacrifier sa vie. Réfléchissant par la même, au caractère correct ou non d’une décision sans retour possible. C’est ce type de réflexion qui donne substance au film.

    -Quelle est votre opinion sur la décision que prit Allende ?

    -je pense que quels que soient les chemins qu’il se serait résolu à emprunter, sa décision aurait été correcte. Si l’on prend en considération les conséquences qui s’ensuivirent, cela relève de la certitude absolue. Je crois que durant toute sa vie, il s’est préparé à affronter ce genre d’issue. Depuis sa plus tendre enfance, il s’est employé à engranger toutes une série de connaissances logiques/objectives, portant essentiellement sur la réalité sociale du Chili de son temps-notamment pendant sa vie d’étudiant. Je songe à ses activités de médecin social et légiste. Il percevra avec acuité la misère humaine s’abattant sur son pays ; mais aussi la réalité d’un Chili divisé en classes sociales opposées, où une minorité modelait le destin de la grande majorité. Confronté à cet état de fait, il inventera cette manière de faire triompher la justice sociale. Non pas en ayant recours à la révolution armée, mais en tendant les ressorts d’une révolution pacifique, légale. Parce qu’il croyait profondément en l’efficacité d’une parole susceptible de convaincre les gens. Parce qu’il manifestait la certitude que la Constitution, bien que de type aristocratique, serait en mesure de s’adapter à sa propre auto-transformation, dans le respect de ses mécanismes constitutifs. Et ce, afin d’instaurer la justice sociale.

    -Cette confiance a été trahie.

    -Sur ce plan, il fut très conséquent. La partie adverse ne le fut pas, lamentablement. Le pacte conclu fut rompu. La violence à laquelle l’autre partie a eu recours, c’est-à-dire l’opposition au gouvernement de Salvador Allende, s’est imposée. Elle ne lui laissa nulle autre alternative que de recourir à ce paradoxe, qui aura consisté à défendre les armes à la main une politique se fondant sur la force de proposition et de conviction. Au final, on l’accula à cela. Qu’il se soit suicidé, ou qu’il ait été tué ne change rien au fait que confonté à cette épreuve ultime, il en sortira grandi, parce qu’il fut toujours conséquent avec lui-même et vis-à-vis des autres.

    -Vous affirmez qu’il y a très peu de données connues relatives à l’Allende lui-même, c’est-à-dire à la personne que l’homme d’Etat occulte. Qu’est-ce qui résulte de ce constat ? Comment décririez-vous cet aspect méconnu du personnage ?

    -On le voit très énergique à travers ses discours, avec une intonation de voix très ferme et claire. Cependant, dans le cadre d’entretiens et de conversations informelles, il était confronté à des problèmes de diction. Il bafouillait et usait de nombreux tics de langage. Tout cela ne transparaissait aucunement dans ses discours d’homme d’Etat. En contraste avec l’homme au caractère explosif de ses discours, il était pourvu d’une voix très douce, très tranquille. C’était un fervent ami de ses amis, un homme passionné, féru de conversation, aimant et profitant de la vie, de la bonne chère, de la boisson.

    -Pourriez-vous nous faire part de certaines de ces données que vous auriez en votre possession ?

    -Il dormait peu mais faire la sieste, c’était sacré. Sieste d’une durée moyenne de 10 minutes, il la faisait en pyjama et récupérait de l’énergie. Il plaisantait beaucoup avec ses amis. Au téléphone, il modifiait parfois sa voix et jouait avec eux. Lors de certaines de ses tournées, il attachait les draps des lits de ses camarades. ce qui les décontenançait passablement lorsqu’ils s’apprêtaient à se coucher. Il jouait également avec ses filles. Il se dissimulait dans la baignoire de la salle de bain, et s’amusait à leur faire peur. L’ensemble de ces détails mis bout à bout, nous permettent d’appréhender au plus près la manière dont par exemple, il faudrait s’exprimer dans le cadre d’un dialogue intime avec un personnage quelconque ; comment il faudrait l’embrasser, comment il faudrait lui donner la main, le regarder.

    -Durant 20 années, vous avez suivi une trajectoire d’acteur ; et ce travail est le plus important de votre carrière. Le plus important pour vous, est-ce le personnage, l’histoire en elle-même ou l’interprétation ?

    -il m’est difficile de théoriser sur tout cela. Le plus important c’est que nous sommes confrontés à une vraie attente. En tout état de cause, nous avons tendance à être saisi par une certaine anxiété, qui découle de celle-là. Cela nous met en danger. En effet, Allende est un personnage plein de noblesse, et par ailleurs universellement connu. Or, à l’instar d’un avocat, un acteur représente le personnage qu’il incarne, comme le juriste représente la personne qu’il sera chargé de défendre. Allende bénéficie d’un image bien installée, et je me dois de convaincre sur ce plan. Car en plus de l’image physique qu’il nous restitue, Allende est pourvue d’une sorte d’image interne. Or, la difficulté consiste à la restituer au mieux. Il s’agit de se démarquer d’une certaine approche monolithique du personnage, de l’écarter du piédestal sur lequel les documentaires l’ont installé. Il nous faut impérativement mettre en valeur une facette méconnue de ce dernier. Qui sera précisément celle qui correspondra à la dimension intime d’Allende». Daniel Munoz, est convaincu du fait que les enfants et les jeunes gens doivent découvrir cette production. Il en est ainsi parce qu’elle « rend toute sa dignité à un homme qui en était imprégné, et qui aura été vilipendé durant une période bien trop longue de notre histoire ».

    Le Venezuela qui n’est pas.

    -La distribution de ce film est constituée de 50% d’actrices et d’acteurs vénézuéliens et chiliens. Comment s’effectua la fonte de deux équipes différentes en une seule ?
    -Au début, nous avons connu quelques difficultés. Accompagnés de nos familles respectives, nous avons rejoint terrifiés, le Venezuela, tant la campagne de terreur qui concerne ce pays est forte à l’extérieur. Internet, la presse, et les nouvelles qui en découle, vont dans le même sens. Par hasard, peu de temps avant son départ pour le Venezuela, un camarade de l’équipe chilienne est entré dans un magasin, dont le vendeur était en fait vénézuélien. Lorsque le membre de cette équipe lui a précisé qu’il comptait se rendre dans son pays, dans un premier temps, ce dernier l’en dissuada.

    Le meurtre d’une ex-Miss (Monica Spears) ne contribua pas à diminuer notre inquiétude. Mon épouse était terrorisée parce que nous avions prévu de séjourner au Venezuela, accompagnés de notre fille. Le sentiment général était celui-ci : depuis l’aéroport de Caracas jusqu’au lieu de tournage, l’un d’entre nous courait le risque d’être assassiné. Tel est l’état d’esprit qui nous habitait lorsque nous avons atterri au Venezuela. Un état d’esprit que la campagne contre ce pays, nous avait en réalité imposé.

    -Quel est votre sentiment depuis que vous vous trouvez ici, parmi nous ?

    -Nous sommes désormais, totalement détendus. Il faut dire que les membres de l’équipe vénézuélienne ont contribué à la restitution de l’atmosphère réelle, qui est celle de ce pays. Dans le cadre du tournage de ce film, chacun d’entre nous aura appris à détecter les codes et les rythmes propres aux membres de l’autre équipe. C’est ainsi, que peu à peu les méthodes de travail différentes des deux équipes se sont harmonisé. J’ai désormais la sensation très nette, que nous parlons le même langage et que la fusion s’est accomplie.

     

    Sources :

    Correo del Orinoco, Texte/ Luis Jesús González Cova. Photos/ María Isabel Batista – Roberto Gil.  Texte/ Sharlaine Chona. Photos / Héctor Rattia. Caracas

    http://www.correodelorinoco.gob.ve/comunicacion-cultura/littin-allende-tu-nombre-me-sabe-a-hierba-sera-%E2%80%9Cun-documento-artistico-para-historia%E2%80%9D/
    http://www.correodelorinoco.gob.ve/comunicacion-cultura/pelicula-allende-tu-nombre-me-sabe-a-hierba-cuenta-un-relato-heroico-real-visto-ficcion/

    Traduction : Jean-Marc del Percio

    URL de cet article : http://venezuelainfos.wordpress.com/2014/04/07/miguel-littin-tourne-allende-ton-nom-a-le-gout-de-lherbe-au-venezuela/