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    Vendredi 2 mars 2012 5 02 /03 /Mars /2012 15:18

    Par Hervé Gindre

    Un candidat a annoncé vouloir contraindre certaines sociétés (des multinationales pour la plupart), qui laisseraient sciemment des sites industriels avec une activité décroissante voire inexistante jusqu’à la fermeture des usines en question, à vendre les sites dont ils ne souhaitent plus assurer le développement.

    Cette intention semble se placer dans la lignée de la lutte contre la désindustrialisation de la France, sur fond de fermeture ou de faillite de sites industriels divers[1] et de délocalisations ou investissements réalisés préférentiellement à l’étranger[2].

    Parmi les réactions qu’on a pu trouver, notamment sur Internet, on remarque des interrogations sur le fait qu’il est impossible de le faire sans prendre une part (éventuellement majoritaire) du capital de la société en question. Vu sous cet angle, c’est effectivement très compliqué à mettre en œuvre quand il s’agit de sociétés de droit étranger, pas nécessairement cotées en bourse.

    Mais il s’agit là encore d’une idée reçue, conséquence directe de la méconnaissance du droit par de très (trop ?) nombreuses personnes. Les développements qui suivent vont apporter la preuve que ce mécanisme existe déjà, à l’identique ou selon des modalités produisant des effets similaires ce qui est l’objectif final recherché. Il ne s’agit pas de légitimer ou d’approuver l’idée sur le fond. Il s’agit juste de remettre les choses en face de la réalité juridique actuelle, qui ne fait pas hurler aux loups au quotidien.

    Tout d’abord, comment peut-on contraindre à vendre une usine ou un site industriel sur le simple motif que ce site serait inutilisé ou délaissé ? En effet, le droit de propriété est sacré en France. Il est reconnu par la Constitution[3] et par la loi[4]. Toutefois, s’arrêter à cette affirmation revient à mener un raisonnement partiel, incomplet, et donc en fin de compte, faux.

    En effet, l’affirmation de l’imprescriptibilité et du caractère absolu du droit de propriété est vite limitée. L’article 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 permet les atteintes au droit de propriété dans les cas que la loi prévoit. Et le législateur ne s’en est pas privé, tout en restant raisonnable : l’article 545 du Code civil prévoit que « Nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. » Dès lors, il n’est pas impossible que le droit de propriété en général, et celui d’un site industriel en particulier, soit atteint si l’utilité publique le justifie et si une compensation est versée. L’idée de compensation nous rapproche d’une vente, puisqu’il y aurait un prix.

    Il reste donc une condition, l’utilité publique. Instaurer une loi permettant la vente contrainte reviendrait à instaurer une sorte d’ordre public de l’emploi ou de l’industrie. On remarque là que parmi ceux qui s’étonnent le plus fortement, il y a un certain nombre de personnes qui défendent l’industrie et encouragent les initiatives dans ce domaine. Au-delà du paradoxe qui consiste à inciter à l’initiative et à défendre l’inaction et l’euthanasie d’une activité qui pourrait être efficace et rentable, creusons donc cette piste de l’ordre public. Cet ordre public reviendrait à considérer qu’il y aurait donc un élément d’intérêt général à ce que les personnes qui travaillent dans les sites concernés à avoir et conserver leur travail, que l’existence même de ces sites fait partie de l’intérêt général.

    Pour le second volet, se prononcer revient à adopter une posture idéologique, respectable dans les deux sens, mais ce n’est pas l’objet de cet article.

    Pour le premier volet, nous avons des indices dans le droit actuel et plus précisément dans la constitution. Rappelons que le Conseil constitutionnel a intégré fort logiquement il y a déjà longtemps le préambule de la constitution de 1946 dans le bloc de constitutionnalité actuellement en vigueur. Or, que nous dit ce préambule de la constitution de 1946 ? « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. »[5] Voilà donc un sérieux indice selon lequel l’intérêt général impose de garantir la pérennité d’un emploi qui serait menacé par pur intérêt privé, à créer une forme de pénurie ou à obtenir toujours plus de bénéfices, quand bien même l’activité d’un site destiné à la fermeture ne dégagerait pas de pertes.

    La loi dont il est question ne ferait donc que reprendre ce principe, cumulé à celui général de l’expropriation pour cause d’utilité publique pour justifier juridiquement la vente forcée d’un site industriel.

    Un autre mécanisme juridique pourrait servir d’exemple pour la cession forcée de site industriel. En effet, on pourrait tout à fait valablement opposer à une telle procédure le fait que le prix payé ne prendrait pas en compte les investissements réalisés sur le site. Après tout, la loi prévoit une juste indemnité, pas une indemnité que l’on pourrait qualifier de symbolique.

    La propriété intellectuelle est un droit de propriété, reconnu en tant que tel par le système juridique français, sans qu’il n’y ait la moindre discussion à ce sujet. Cette propriété présente un certain nombre de particularité au nombre desquels on peut, et on doit, citer le coût important de recherche et développement pour aboutir à un résultat innovant susceptible d’être protégé par des entités juridiques tels que les brevets. Il faut rappeler que font partie du domaine brevetable des choses aussi variées qu’une machine industrielle, une innovation biologique[6], une molécule chimique ou pharmaceutique[7].

    Or, la loi prévoit que, dans certains cas, le titulaire d’un brevet peut être contraint à octroyer à l’Etat une licence dite d’office[8]. Cette licence permet à l’Etat d’exploiter ou de faire exploiter le brevet, gratuitement et sans que le titulaire du brevet ne puisse s’y opposer. Les conditions posées sont restrictives et l’Etat ne peut pas exiger cette licence dans tous les domaines, il est vrai. Mais il n’en reste pas moins que ce mécanisme peut apparaître comme une forme de spoliation de la propriété industrielle de l’inventeur. En effet, quel est l’intérêt concret pour une entreprise d’engager de lourdes dépenses de recherche et développement si son invention est mise à la disposition d’un tiers gratuitement, l’exposant ainsi à une concurrence dont il avait justement souhaité se protéger. La justification tient à l’intérêt général, les conditions requises pour une licence d’office relevant de la santé publique pour l’essentiel.

    Les exemples de possibilité juridiques d’ores et déjà existantes et ne créant pas de polémique sont là. Il est possible de s’approprier les biens d’autrui, sous certaines conditions, ces dernières étant toutes fondées sur l’intérêt général.

    Une dernière remarque est faite, plus fine, en opposition à cette proposition qui tendrait également à interdire de faire barrage à la reprise du site en cas de faillite. A ce jour, le droit des faillites, appelé techniquement droit des procédures collectives, peut faire obstacle à la reprise d’une entreprise, en redressement ou en liquidation judiciaire, si l’offre de reprise n’est pas jugée satisfaisante en termes de pérennisation de l’emploi ou de désintéressement des créanciers.

    Tout d’abord, il faut objecter que cette remarque ne vaut que pour les sites qui sont détenus par une société constituée pour leur exploitation. Tout site qui appartiendrait à une société qui serait également propriétaire d’autres sites et qui, de ce fait, ne remplirait pas les conditions pour être déclarée en faillite ne serait pas concerné par cette remarque.

    Ensuite, pour les groupes de société dont l’organisation et la structuration permettraient de faire jouer cette remarque, une réponse en deux temps peut être apportée.

    La première réponse consiste à dire que si la loi interdit une chose, une autre loi peut l’autoriser en modifiant la loi antérieure… Pas très constructif mais si l’obstacle est une loi, alors une autre peut dépasser cet écueil.

    La seconde réponse est plus pragmatique que juridique. Si un site est délaissé par son propriétaire pour une raison quelconque, alors pourquoi s’opposer à ce qu’une autre personne décide d’en relancer l’activité et de tenter de faire fructifier aussi bien le savoir-faire développé sur place que les compétences du personnel ? Pour la protection du savoir-faire ? Pas très convaincant… Si ce savoir-faire était si précieux, pourquoi l’abandonner, le laisser disparaître à petit feu ?

    Concrètement donc, si certains éléments de la cession forcée de sites industriels peuvent apparaître idéologiques, ce n’est pas choquant en soi. Après tout, un candidat à l’élection présidentielle est parfaitement légitime à tenir un discours idéologique : c’est aux électeurs de juger de la pertinence de son discours et de son programme. Mais le principe fondamental sous-tendu dans une telle promesse n’est pas foncièrement innovant ni choquant en droit puisque des principes similaires existent déjà. Soit dit en passant, le 29 février, le Parlement a voté un amendement interdisant la sortie d’actif d’un site notamment industriel dans le silence des critiques. Il serait donc critiquable de contraindre à vendre un site dont on se désintéresse parce que ce serait un risque quant aux investissements, mais pas d’empêcher les remontées de trésorerie ou les déménagements d’équipements…



    [1] L’actualité regorge d’exemple, entre les sites d’ArcelorMittal enLorraine et la raffinerie Petroplus par exemple.

    [2] L’investissement lourd de Renault dans son usine de Tanger ouverte ces dernières semaines en est un exemple, mais pas le seul.

    [3] Voir à ce sujet les articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, intégrée au bloc de constitutionnalité.

    [4] Voir à cet effet l’article 544 du Code civil.

    [6] C’est d’ailleurs un fondement d’actions judiciaires menées par les entreprises créant des OGM en cas de dissémination dans un champ voisin, à l’encontre du propriétaire du dit champ… On parle aussi d’obtentions végétales en termes juridiques.

    [7] Les médicaments génériques ne sont légaux qu’à partir de la fin de la période de protection offerte par la loi à un médicament donné. C’est la raison pour laquelle les laboratoires « non génériques » engagent autant de frais de recherche et développement et procèdent à des modifications parfois minimes sur des produits existants, de manière à relancer des délais de protection.

    [8] Cette licence d’office est instituée par l’article L613-16 du Code de la Propriété intellectuelle, disponible sur le site Légifrance (www.legifrance.gouv.fr).

     

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