• Coup d’État en Turquie


    OrlovOrlov

    Par Dmitry Orlov – Le 19 juillet 2016 – Source Club Orlov

    Beaucoup de mots ont déjà été dits au cours de ces derniers jours au sujet du coup d’État turc qui ne pouvait pas aboutir, mais assez étrangement certaines choses assez évidentes sont passées sous silence, donc je vais essayer de combler ces quelques lacunes. Plus précisément, beaucoup de choses qui ont été dites sont à ranger dans les gammes de faible d’esprit tout à fait absurdes. Si c’est de la propagande, elle sonne très mal, une bien faible propagande. Pourtant, il ne manque pas de gens pour répéter sans cesse ces éléments de discussion, que ce soit parce qu’ils sont payés pour ou parce qu’ils n’en savent pas plus. Ce sont ces points que je vais aborder.


     
    Théorie idiote # 1 : Erdoǧan a organisé son propre coup afin de consolider son pouvoir.

    Avant le putsch, Erdoǧan était parti en vacances, ce qui est traditionnellement le meilleur moment pour renverser un leader. Par exemple, le mandat de Gorbatchev comme président de l’URSS s’est terminé par un putsch en août 1991, alors qu’il était en vacances. Les gens qui sont occupé à mettre en scène un putsch pour consolider leur pouvoir ne partent pas en vacances ; ils sont trop occupés à comploter et à l’orchestrer.

    Erdoǧan a tenté de rentrer en Turquie, pour constater qu’il ne pouvait pas atterrir à l’aéroport Atatürk d’Istanbul, puis s’est trouvé pourchassé par des F-16s hostiles. Il aurait ensuite volé vers l’Europe et demandé l’asile politique en Allemagne, ce qui lui a été refusé (bye-bye, Allemagne ! ). À un certain moment, il lui est apparu qu’une grande partie de l’armée et la quasi-totalité des personnes en Turquie étaient de son côté, et il leur a demandé de descendre dans la rue pour la défense du gouvernement légitime. Il l’a fait en utilisant une technique improvisée de communication publique qui était presque une parodie de lui-même : son visage sur un téléphone cellulaire tenu en face d’une caméra de télévision. Ce qui a suivi n’était pas une timide démonstration pacifique en faveur du statu quo, mais une caricature d’action politique, avec des civils devant des chars et prêts à se faire écraser, suivis par d’autres civils sautant sur des chars et sautant à la gorge des pilotes. Le putsch est parti en vrille.

    Tout cela n’est pas très compliqué à comprendre. Il est parti en vacances ; il a essayé de fuir ; il a prié son peuple de l’aider depuis un téléphone cellulaire. Il a fini par ressembler à un leader faible et confus dans une région où les dirigeants sont soit forts soit disparaissent rapidement. Pensez-vous toujours qu’il avait planifié tout cela ? Pas moi.

    Théorie idiote # 2 : Erdoǧan est totalement imprévisible et fou.

    Non, le pauvre garçon vient seulement de faire beaucoup d’erreurs. Le monde moderne est très complexe et ce n’est qu’un homme politique national, pas un génie géopolitique extraordinaire. Il a essayé de travailler avec l’UE. Puis, quand le Brexit est arrivé, il a réalisé que l’UE est maintenant une union mort-vivante. Il a essayé de travailler avec l’OTAN ; puis il s’est rendu compte que l’OTAN est un pacte mortel qui essaie de provoquer une guerre suicidaire avec la Russie, dont la Turquie serait le perdant inévitable. Voici une autre théorie très simple : peut-être qu’il faisait seulement de son mieux, mais qu’il n’a pas été très bon.

    Il y a beaucoup plus de preuves de cela. Erdoǧan a mal joué de toutes ses cartes :

    • Il n’a pas résisté à la manière dont les États-Unis et d’autres ont soutenu ISIS et al-Qaïda en Syrie – alias Al Nusra – permettant à la Turquie de servir de conduit pour le pétrole syrien et irakien volé − qu’ISIS exporte vers Israël et ailleurs − et en permettant aux armes et aux djihadistes de circuler dans l’autre sens. Il a également permis à son propre fils de tirer profit de cette affaire louche. Enrichir votre ennemi est généralement un mauvais plan.

    • Il n’a pas empêché ceux qui ont organisé la crise européenne des réfugiés (George Soros et Cie) − après plusieurs attaques terroristes horribles −  de faire  s’infiltrer  des milliers de terroristes en  Turquie, tout comme ils l’ont fait dans l’Union européenne. Il a essayé de gagner les faveurs de l’Union européenne (avec l’idée de se joindre à elle) tout en contribuant à l’affaiblir en l’inondant avec les terroristes et déstabiliser son propre pays dans le même processus a également été un mauvais plan.

    • Il a aussi répondu de la mauvaise manière à l’avion russe descendu par l’OTAN sans provocation au dessus de la Syrie, qui a abouti à des sanctions russes douloureuses contre les exportations agricoles turques, les entreprises de construction et l’industrie touristique. Puis il s’est rendu compte qu’il avait fait une grave erreur, a fait une volte-face soudaine et a présenté ses excuses à la Russie. Mais entretemps, il avait gaspillé une grande partie de la bonne volonté du peuple russe durement gagnée. (La Russie et la Turquie se sont combattus lors de nombreuses guerres, et les Russes, comme les éléphants, n’oublient jamais.) Pourrir les relations avec un pays voisin, dont votre pays dépend pour sauvegarder les emplois de votre population et garder les lumières allumées, est un très mauvais plan en effet.

    Tout cela a également contribué à le rendre très, très faible.

    D’un autre côté, les Turcs sont un peuple fort. Leur armée, au moins la partie de celle-ci qui à fait le coup, est… une armée de l’OTAN, bonne à enlever son uniforme en public et fuir (voir photo), mais le peuple turc peut apparemment gérer la situation lui-même. Il ne voulait clairement pas finir par vivre sous une dictature militaire pro-occidentale, comme l’Égypte. Avez-vous remarqué combien il y a peu de nouvelles en provenance de l’Égypte, en dépit de toutes les terribles violations des droits de l’homme qui s’y déroulent ? C’est parce que l’Égypte est passée sous contrôle occidental depuis que les Frères musulmans [aussi manipulés par l’Occident, NdT] démocratiquement élus ont été renversés par les militaires. Cela n’a aucune importance en Occident que l’Égypte ne soit plus une démocratie, ou que les droits de l’homme y aient à peu près disparu.

    Mais cela ne semble pas avoir beaucoup d’importance aux yeux des Turcs ! La seule partie qui était difficile de prédire est combien de temps il faudrait à Erdoǧan pour comprendre réellement ce qui se passait et commencer à répondre de manière adéquate aux exigences de la situation.

    Théorie idiote # 3 : Erdoǧan est un nouvel Hitler

    Tout d’abord, voir ci-dessus ; Erdoǧan est faible. (Hitler était-il faible ? ) Mais, en dépit d’être faible, et en dépit de faire beaucoup d’erreurs tactiques, il est un leader populaire poursuivant une stratégie globale correcte. Il vient de tourner le pays dans la direction dans laquelle le vent souffle sur une grande partie du monde de toute façon, loin de la démocratie libérale occidentale et ses  mises en scène qui ont échoué, vers les mouvements conservateurs populistes teintés d’autoritarisme renaissant à la Frères musulmans, ou Russie unie [parti politique russe, NdT], ou le Front national en France [Euh… le FN est plutôt en voie de normalisation démocratique, NdT], ou Donald Trump aux États-Unis, ou l’un de ces autres mouvements populaires qui sont prêts à être mis au pouvoir par le vote dans de nombreuses régions du monde au cours des années à venir [en Autriche ? NdT]. Ce dont la Turquie a besoin pour combattre la combinaison du soutien mutuel des extrémistes musulmans et des corporations globalistes, c’est d’un leader fort, pas d’un leader plus faible.

    Deuxièmement, lorsque diverses voix à la langue fourchue à l’Ouest commencent à appeler quelqu’un Hitler, le changement de régime n’est pas loin ! Mais leur machinerie de changement de régime semble avoir cessé de fonctionner depuis un certain temps. Ils ont essayé sur Poutine ; ça a fait long feu. Ils ont essayé en Ukraine ; c’est la dernière fois que cela a bien marché. Ils essayent sur Assad depuis cinq ans ; il est toujours là. Maintenant, ils vont essayer sur le pauvre Erdoǧan barricadé derrière ses murs ? Espérons que cela ne fonctionne pas sur lui non plus. Les États-Unis et l’OTAN sont responsables d’une longue série de destruction de pays, les uns après les autres, l’Afghanistan, l’Irak, la Libye, l’Ukraine, la Syrie, le Yémen, mais il y a espoir que cette vague de destruction soit enfin terminée. Espérons qu’ils ne parviennent pas à transformer la Turquie en un État défaillant de plus.

    Troisièmement, la raison indiquée pour traiter Erdoǧan de ces noms d’oiseaux est qu’il est antidémocratique. Ici, quelques observations sont à faire. Le manque de démocratie n’est un problème que dans la mesure où l’Occident s’en préoccupe : regardez l’Égypte. Si les gens insistent pour élire quelqu’un que l’Occident n’aime pas, oubliez la démocratie ! Vivez sous une dictature militaire jusqu’à ce que vous ayez appris votre leçon ! Alors, avez-vous remarqué à quel point le style occidental de démocratie représentative tend à mal fonctionner dans les anciennes sociétés tribales du Moyen-Orient ? Eh bien, il se trouve que la démocratie ne fonctionne pas dans ces sociétés, et que l’autoritarisme populaire est une bien meilleure façon de gouverner, à moins que ce que vous vouliez produire soit un État défaillant et une crise de réfugiés.

    Erdoǧan n’est pas Hitler. Il peut ne pas sembler être le leader national le plus fabuleux de l’histoire, mais si vous regardez autour, en fait il n’a pas l’air si mal en comparaison [de l’Arabie Saoudite ?? NdT]. Regardez les États-Unis, dont le Président noir a conduit les Noirs à commencer à assassiner des policiers. Ou regardez la Grèce, qui a passé du berceau de la démocratie à son lieu de décès à l’issue d’un référendum suivi par une capitulation immédiate. Ou la France, avec son François Hollande « il faut s’habituer au terrorisme » qui paie des milliers d’euros par semaine uniquement pour garder ses boules bien rasées. Ou Brexitania, qui vire son premier ministre Fook-A-Pig seulement pour le remplacer par une copie déterrée de  Margaret Thatcher. Et puis il y a l’Ukraine, avec son président alcoolique Porky, et ses manœuvres parlementaires en dessous de la ceinture et un porte-parole qui a besoin d’un orthophoniste… Non, Erdoǧan ne semble pas si mal, en fait. Soyez heureux, Turcs, vous vous êtes trouvé un winner !

    * * *

    Depuis sa fondation en tant qu’État-nation moderne sur les ruines de l’Empire ottoman, la Turquie est restée à la croisée des chemins entre l’est et l’ouest. Au cours des dernières décennies, alors que le projet européen montrait certaines promesses, la Turquie s’est tournée plutôt vers l’ouest ; maintenant que le projet européen est en ruine, il est temps pour elle de faire face à l’est à nouveau. L’idée de l’intégration de la Turquie dans l’UE est déjà morte. Maintenant, ce que la Turquie a besoin de faire, c’est de sortir de ce ridicule pacte suicidaire qu’est l’OTAN et faire de nouveaux arrangements de sécurité dans un contexte eurasien plus large. John Kerry a récemment dit quelque chose à propos de virer la Turquie à coup de pompe hors de l’OTAN pour être anti-démocratique, qui ressemble beaucoup à un « Vous ne pouvez pas me virer, je démissionne ! ».

    Ensuite, la Turquie doit faire face au méchant contingent diversement connu sous le nom de wahhabites, salafistes, takfiristes et djihadistes. (Si vous ne savez pas qui ils sont, vous pouvez les appeler extrémistes musulmans, mais ne les appelez pas juste des musulmans ou vous passerez pour des ignorants.) Et puis bien sûr il y a les multinationales qui sont toujours à la recherche d’occasions pour démembrer un pays par privatisation et le dépecer morceau par morceau, et qui doivent être tenues à distance jusqu’à ce que leur système financier mondial explose enfin. Extrémistes musulmans + multinationales sont une méchante combinaison, et ce ne sera pas une tâche facile. Je souhaite aux Turcs d’être à la hauteur.

    Dmitry Orlov

    Note du Saker Francophone
    
    Ce qu'il est difficile de décrypter dans l'attitude de ce genre de personnages à tendances autocrates, ce sont les mélanges de genre en fonction des circonstances, violence en cas de remise en cause, copinage avec le diable sans trop d'état d'âme car lui connait les dessous de la géopolitique mondiale et n'est absolument pas dupe de la bien-pensance, projection néo-ottomane dans le cas turc qui est sans doute un désir inconscient du peuple turc, peur justifiée de guerre hybride, désir d'enrichissement des copains... Le mélange est toujours dangereux et les coups de barre intempestifs ou les changements de cap comme ces jours-ci ne sont que la résultantes de ces forces.
    
    Si Dmitry Orlov, sans doute ravi de la tournure des évènements qui vont soulager le front sud de la Russie, peint un portrait presque sympathique d'Erdogan, il oublie aussi que sa politique a conduit à des massacres de populations en Syrie. 
    
    Mais sinon l'article est comme toujours excellent. Le point critique relevé par Dmitry, c'est que la Turquie, pressée par les évènements, vient probablement d'opérer son pivot vers l'Asie (Ah Ah !!) et que cette purge va probablement empêcher tout retour en arrière, faute de relais occidentaux au sens de l’appareil d'État. Si c'est le cas et que la Turquie sort de l'OTAN après la sortie de l'Angleterre de l'UE, cela serait sans doute le début de la fin pour les globalistes au moment même ou leurs plans de monnaie mondiale commençaient à prendre sérieusement forme. 
    
    Wall Street a d'ailleurs déjà commencé à mettre la pression sur Ankara.

    Liens

    Que se passe t-il en Turquie ?

    « Il semblerait que cet abandon de l’assassinat du Président et de la couverture aérienne qui étaient vitales pour le putsch soient la conséquence d’une menace d’intervention russe immédiate contre les aéronefs turcs à l’aide des batteries de missiles S-400 sur l’aéroport militaire syrien de Hmaymime (à proximité de Lattaquié), et qui ne sont qu’à 12 secondes de l’espace aérien turc. »

    Traduit par Hervé pour le Saker Francophone


  • 23 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

    Pouvoir du peuple, Pouvoir au peuple, 1936 – 2016

    Il y a quatre-vingts ans, le Front Populaire.

    Dans la mémoire collective, la période du Front Populaire représente à juste titre un des grands moments dans l'histoire des conquêtes sociales et un temps fort de la marche vers le progrès et l'émancipation des classes populaires. L'évocation de cette période, de ce qui l'a permise et de ce qui en reste, impose un détour par l'histoire même si notre objectif n'est pas de livrer un énième récit agiographique d'une époque parfois fantasmée mais incontestablement riche de souvenirs heureux et d'un héritage dont on peut aujourd'hui encore mesurer l'importance sociale.

    A l'origine la crise de 1929

    Le krach boursier du 24 octobre 1929 à la bourse de New York

    entraîne une dépression terrible, d'abord aux États-Unis où le chômage et la pauvreté explosent puis en Europe où l'Allemagne est touchée de plein fouet dès le début des années 30. Six millions de chômeurs ( 33 % de la population active) vont constituer un terreau pour le dévelppement du parti nazi. Aux élections de septembre 1930, le NSDAP ( parti de A. Hitler) obtient 6,4 millions de voix et devient le deuxième groupe parlementaire avec 107 députés.

    La France, un peu plus tard, est touchée à son tour et ce dans tous les domaines productifs. Les prix agricoles se mettent à baisser et tous les secteurs traditionnels sont atteints, textiles, sidérurgie, bâtiment, avec pour conséquences des vagues de chômage et une xénophobie croissante assortie d'antisémitisme et d'anticommunisme, qui sert d'exutoire à une population assaillie par les difficultés économiques, en proie à un malaise que les grèves et manifestations ne contribuent pas à apaiser.

    De la crise économique et sociale à la crise politique .

    Le sentiment se développe au sein d'une population en proie au doute, que les dirigeants sont incapables de résoudre les problèmes économiques. L'antiparlementarisme se développe, nourri de scandales politico-financiers ( affaire Staviski) et d'une instabilité gouvernementale qui conduit à la mise en cause d'un système démocratique accusé de tous les maux, surplombé qu'il est par les régimes voisins autoritaires et fascistes de l'Allemagne et de l'Italie.

    Les mouvements d’extrême droite se développent , de nombreuses ligues fascistes – Croix de feu, Camelots du roi , Action française, répandent un climat de haine et de guerre civile jusqu’à la tentative du coup d’Etat et du renversement de la République du 6 Février 1934. Plusieurs jours d’émeutes vont suivre qui entraîneront la chute du gouvernement Daladier et la mise place d’un gouvernement plus conservateur mais le fait déterminant de cette période est le surgissement du mouvement ouvrier syndical et le rassemblement des forces syndicales et politiques de gauche dont la manifestation du 12 Février 1934 apparaît comme un acte fondateur. Léon Blum dans ses mémoires évoque en ces termes l’organisation de cette journée après qu’il eut rencontré Doumergue devenu chef du gouvernement après la démission de Daladier : « Interdite ou non la manifestation aurait lieu. Elle aurait été illégale c’est entendu. On peut soutenir aussi si l’on veut que la grève générale ordonnée par la CGT était illégale mais nous ne nous placions pas, je l’avoue sur le plan de la légalité»

    «Sans nul trouble de conscience, nous aurions enfreint la loi écrite pour le salut de la liberté qui est la loi suprême »

    Il relate ensuite la convergence des cortèges, celui de la CGTU et les ouvriers communistes, celui de la CGT et de la SFIO, celui des communistes avec la liesse qui accompagne l’unité retrouvée « par une sorte de vague de fond, l’instinct populaire, la volonté populaire avait imposé l’unité d’action des travailleurs organisés. »

    Un Comité de Vigilance des intellectuels anti fascistes se crée avec à sa tête, le philosophe Emile Auguste Chartier dit Alain, radical, Paul Langevin physicien, philosophe des sciences, communiste, Paul Rivet, ethnologue, fondateur du Musée de l’Homme, socialiste.

    Ce mouvement unitaire est relayé spontanément dans un très grand nombre de villes à travers toute la France.

    Entre 1934 et 1936 la politique réactionnaire du gouvernement (déflation salariale, révocation de fonctionnaires pour faits de grève, etc…) renforce les liens entre les organisations politiques et syndicales et conforte les effets du 12 Février 1934.

    Le 3 Mai 1936, le Front populaire gagne les élections.

    Du pain, la paix, la liberté

    Derrière ce slogan les partis ont élaboré dès 1935 un programme qui comprend un fond national de chômage et des mesures destinées à réduire ce chômage par la réduction du temps de travail, la relance de la consommation populaire, un programme de grands travaux, le tout censé faire renaître la sacro- sainte croissance gage de toute prospérité. La victoire électorale a suscité des réactions différentes selon qu’il s’agisse des partis au pouvoir ou de l’immense masse de la classe ouvrière durement éprouvée par des années de crise et d’exploitation et qui attend une transformation tangible de son quotidien. Les premières grèves d’ampleur éclatent spontanément sans directive confédérale quelques jours après la victoire du Front Populaire et alors même que le gouvernement de Léon Blum n’est pas encore intronisé. Les 4 et 5 juin on compte un million de grévistes et l’ensemble des usines de la région parisienne est occupé. L’occupation des usines que les ouvriers ne quittent pas, la création de comités de grève, l’organisation de la surveillance et de l’entretien des machines, le ravitaillement, les contacts avec l’extérieur avec une population dont on attend le soutien, les réunions sur « le tas », autant de pratiques nouvelles de lutte qui développent parallèlement un sentiment nouveau, celui de la puissance du combat collectif et la conscience d’appartenance collective. La peur gagne un patronat qui dès le 4 Juin sollicite la médiation rapide du pouvoir. Le même jour Léon Blum est nommé Président du Conseil. « Les ouvriers ont confiance en vous » lui dit le président Lebrun !

    7 Juin 1936, les accords Matignon.

    Deux délégations, de la Confédération générale du Patronat français (CGPF) et de la CGT vont signer ces accords dont nul n’ignore la nature et qui représentent quelques unes des conquêtes les plus importantes du mouvement ouvrier. Outre les projets législatifs qui ne figuraient pas jusqu’alors dans le programme du Front populaire (contrats collectifs, congés payés, semaine de quarante heures) et auxquels le patronat ne voulait pas souscrire, celui-ci accepte les contrats collectifs garantissant la liberté syndicale, l’élection de délégués par l’ensemble du personnel dans les établissements de plus de dix salariés, s’engage à ne prendre aucune sanction pour faits de grève, admet le principe d’une augmentation de salaire allant de 7% à 15%.

    Considérés à juste titre comme un incontestable succès de la mobilisation ces accords ne vont pas faire cesser immédiatement les grèves. Avec le sentiment de la victoire et la mémoire vive des solidarités et de l’appartenance collective nées dans les luttes une nouvelle culture ouvrière s’est affirmée, un nouveau rapport de force est né qui verra dans un premier temps croître le nombre de grévistes à travers tout le pays ( 2 millions de grévistes pendant la deuxième semaine de Juin) avec parfois localement des avantages accrus par rapport au contenu des accords. La joie qui accompagna les premiers congés payés –et pourtant l’on dit que l’été 36 fut pluvieux- et les nombreuses œuvres littéraires et cinématographiques que ces événements ont inspirées témoignent abondamment de la place qu’ils ont occupée dans l’histoire du mouvement ouvrier et aujourd’hui encore dans nos mémoires. Ils sont l’expression toujours vivace et tangible du pouvoir du peuple uni dans la défense de l’intérêt collectif.

    Une espérance révolutionnaire avortée, une étape dans l’émancipation progressive des classes populaires, un exemple ? Comment considérer les événements d’alors à la lumière de ce qui se passe aujourd’hui ?

    Si l’on considère l’époque au regard de ce qui a suivi il convient de rappeler le contexte international dans lequel s’inscrit cette période du Front Populaire et l’importance de la menace fasciste aux portes de la France. Cette réalité et la crainte de voir la République emportée sous les coups de boutoir du fascisme et du nazisme qui triomphaient dans plusieurs pays européens ont favorisé l’union populaire et politique qui a amené les partis du Front populaire au pouvoir. Faut-il considérer que cette même préoccupation (dont il faut noter qu’elle n’a pas empêché le déclenchement du conflit) est également l’origine de ce que certains jugent comme un lâchage de la classe ouvrière par les partis communiste, socialiste et radical et par le gouvernement de Front Populaire, le souci de préserver l’unité nationale en évitant la rupture avec le patronat ayant prévalu sur les exigences sociales ? La poursuite de grèves devenues révolutionnaires après la signature des accords Matignon aurait-elle pu mettre en péril les fondements économiques et sociaux d’une bourgeoisie peu encline à abandonner ses prérogatives et se contentant de faire « la part du feu » en octroyant ce qu’elle ne pouvait refuser sans risque ?

    Dans les quelques années qui ont suivi la déception a été grande dans les classes populaires. Le gouvernement de Front populaire balayé, l’inflation croissante a rapidement anéanti les augmentations salariales, les patrons par tous les moyens se sont efforcés d’entraver la mise en œuvre d’accords qu’ils n’avaient acceptés que contraints.

    La convergence des luttes et d’un pouvoir politique accueillant favorablement les revendications sociales a pu laisser croire un temps à un bouleversement de fond à la fois politique et social de la société française.

    Le peuple a montré son pouvoir, il n’était pas au pouvoir

    Cela reste une question primordiale. Entre 1936 et 2016 de nombreux événements plaident pour une similitude forte des deux époques. Crise des subprimes, amplification des inégalités, concentration des richesses entre les mains de quelques individus, corruption, accroissement du chômage, montée inexorable des fascismes du racisme et de la xénophobie, antiparlementarisme. Il est tentant d’établir un parallèle entre les deux périodes.

    Pourtant nombre d’éléments démentent une telle assertion et tout d’abord le fait que jamais la société française n’a comme aujourd’hui offert l’image d’une extrême division. Division à gauche entre les partis et au sein des partis. Les tentatives de recomposition d’une gauche d’alternative se sont soldées par des échecs. Division non moins importante du mouvement syndical, et à l’intérieur des organisations même s’il apparaît que les mots d’ordre rencontrent un écho plus large que ne le laisse supposer le nombre limité d’adhérents. Rejet par la majorité de la population du processus électoral qui entraîne de facto l’illégitimité des élus, l’abstention voisinant parfois les 75%.

    Le contexte politique et les enjeux sociaux-économiques imposent également que l’on différencie les deux époques. Le capitalisme néo-libéral financiarisé mondialisé n’a que peu à voir avec le capitalisme national des années 30 en France même si aux États- Unis déjà on en voit les effets dévastateurs (Cf le roman de John Steinbeck paru en 1939 Les raisins de la colère ) . Les travailleurs en lutte dans les entreprises n’ont plus devant eux comme interlocuteur que les représentants d’un capitalisme mondialisé apatride.

    L’abandon de la souveraineté nationale rend problématique la capacité d’un gouvernement à satisfaire des demandes sociales qui pourraient contrevenir aux diktats de L’UE.

    Exemplarité du Front populaire

    Le Front Populaire nous a montré que les progrès sociaux dépendent plus des grandes mobilisations populaires que des programmes électoraux. Il a fait la preuve que des revendications sociales que les experts, les gouvernements et les patrons jugeaient

    « utopiques », « irréalistes », voire « suicidaires » deviennent légitimes quand les dominés parviennent à construire un rapport de forces qui leur est favorable..

    Le démantèlement actuel du droit du travail marque sans doute une nouvelle étape dans la longue histoire de cette lutte des classes.

    Dans un monde qui promeut la réussite individuelle et le communautarisme, faire émerger une convergence des luttes, une culture de masse et un sentiment d’appartenance collective sont autant de combats que le MS21 a l’ambition de mener.

    En cela il se retrouve dans les combats de 1936.

     

    Le MOUVEMENT pour un SOCIALISME du 21ème siècle (MS 21)

     

    SOURCE:


  • 23 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

     CONTRE la LOI TRAVAIL - 58 députés préviennent : "On aurait tort de croire le débat clos avec l’adoption de la loi "

    Contre la loi Travail, 58 députés préviennent que "la bataille ne fait que commencer"

    TRIBUNE - Cinquante-huit députés, très majoritairement de gauche, réagissent à l'utilisation du 49-3 par le gouvernement pour faire passer la loi Travail en force en dernière lecture à l'Assemblée. "On aurait tort de croire le débat clos avec l’adoption de la loi Travail. Il ne fait au contraire que commencer. Nous y prendrons toute notre part", avertissent-ils.

    Voici la tribune des 58 députés :

    "Ce mercredi 20 juillet, la loi Travail a donc été définitivement adoptée. Au cœur de l’été, il ne faut pas lâcher,mais continuer à dire pourquoi ce fut le moment le plus insupportable de ce quinquennat pour qui ne se résigne pas à la dégradation des droits des salariés français et au déni de démocratie.

    Avec cette loi, le code du Travail sera plus complexe, et moins favorable aux salariés. Cette loi ne modernise pas, elle réduit les protections. Et derrière le motif légitime de favoriser la négociation sociale, en réalité elle fragilise les travailleurs et affaiblit la démocratie dans l’entreprise. Elle est adoptée sans dialogue et négociations apaisés avec les partenaires sociaux.

    Sans le soutien des citoyennes et des citoyens, qui continuent très majoritairement à rejeter un texte aux antipodes des engagements pris par la majorité pour laquelle ils ont voté en 2012. Sans un débat parlementaire à la hauteur des cinquante-deux articles et des nombreux thèmes abordés dans ce projet de loi, visant à terme la réécriture de l'ensemble de la partie législative du Code du Travail. Sans même un vote des députés, sur chaque article ou sur l'ensemble du texte.

    "Jamais nous n'aurions imaginé vivre une telle situation"

    Mais bien après plusieurs mois de tensions sociales sans précédents pour un gouvernement issu de la gauche, par le biais d'un recours au 49-3, outil quasi-imparable de verrouillage et de chantage constitutionnel. Et sans plus de quelques heures de débat dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, désormais devenu un théâtre d’ombres. Jamais nous n'aurions imaginé vivre au cours de ce quinquennat une telle situation, tellement contraire aux valeurs et à l'histoire de la gauche. Elle nourrit la colère du peuple, et donne des arguments à ceux qui s’emploient à dévitaliser la démocratie.

    Nous, parlementaires avons à chaque étape décidé de nous mobiliser, pour être à la hauteur de notre responsabilité : celle d'incarner le pouvoir de faire la loi en accord avec le mandat que nous a confié le peuple. Nous n'avons cessé de dénoncer les dangers de ce texte, en considérant que ses quelques points positifs ne pouvaient servir de prétexte à justifier ses reculs considérables. Nous avons en permanence recherché et organisé le dialogue, avec toutes les organisations syndicales, sans ostracisme ni stigmatisation; relayé les propositions et alternatives; et jusqu'au bout, œuvré à une sortie de crise, pourtant à portée de main.

    "Le gouvernement a fait fi de toutes les oppositions"

    Enfin, par deux fois, face au passage en force de l'exécutif sur ce texte fondamental, il a été tenté de déposer une motion de censure de gauche, démocrate et écologiste : il était de notre responsabilité de députés de la Nation de ne pas rester sans réaction face à cette situation. Nous le devions à celles et ceux qui pendant des mois se sont mobilisés par millions.

    La voie autoritaire, aura permis au Président de la République et au Gouvernement de faire fi de toutes les oppositions, pourtant majoritaires dans le pays, de toutes les mobilisations, qu'elles soient citoyennes, syndicales, parlementaires. Mais à quel prix? Au nom de quel idéal, pour servir quel projet de société? Avec quelles conséquences pour le pays?

    "On altère une nouvelle fois la confiance du peuple"

    Comment ne pas voir, à l'heure où notre société traverse une crise démocratique majeure, que faire adopter sans vote, par le 49-3 utilisé à deux reprises, un tel projet de loi, concernant la vie quotidienne de millions de nos concitoyens, risque d'accroître ce fossé entre citoyens et gouvernants que nous prétendons tous combattre? Comment ne pas comprendre, six mois après des débats délétères sur la déchéance de nationalité, que l'on altère une nouvelle fois la confiance du peuple, en imposant un texte dont les dispositions vont à rebours des positions toujours défendues en matière de droit du Travail ? Pourquoi faire le choix de diviser un pays pour faire passer à tout prix un texte qui de l’avis même de ses concepteurs n'aura pas d'impact direct sur les créations d'emplois? Pourquoi imposer des mesures qui aggraveront les logiques de dumping social entre les entreprises, affaibliront le pouvoir d’achat des salariés à travers les baisses de rémunération des heures supplémentaires, et faciliteront les licenciements économiques, ou même réduiront les missions de la médecine du travail?

    Le Président de la République et le gouvernement devront longtemps faire face à ces questions. Car cette méthode autoritaire n'éteindra jamais le débat de fond. Pire, elle est toujours contre-productive, par les ressentiments qu'elle génère.

    Pour notre part, nous ne renonçons pas à porter la voix des citoyens mobilisés pour défendre leurs droits, leurs convictions, leur vision de la société et du monde du travail. Et surtout, nous ne renonçons pas à affirmer d’autres choix. Pour adapter le droit du travail aux défis du 21e siècle et aux mutations de l’économie, en le rendant plus protecteur pour les salariés, en dressant ainsi une véritable barrière contre le dumping social au sein de l’économie française ; en renforçant le dialogue social, le rôle des organisations syndicales, et la place des salariés dans les organes de décision des entreprises ; en renouant avec une démarche de partage juste et choisi du temps de travail, levier d’une lutte efficace contre le chômage; en se donnant tous les moyens de dessiner effectivement les conquêtes sociales de demain, avec au premier rang la sécurité sociale professionnelle.

    Un code moderne et vraiment protecteur des salariés est possible. Il doit s’inspirer des leçons de l’Histoire et affronter les mutations du salariat. Nous retrouverons ainsi le chemin des réformes qui marquent utilement leur époque. On aurait tort de croire le débat clos avec l’adoption de la loi Travail. Il ne fait au contraire que commencer. Nous y prendrons toute notre part."

    Laurence Abeille, Brigitte Allain, Pouria Amirshahi, François Asensi, Isabelle Attard, Danielle Auroi, Philippe Baumel, Laurent Baumel, Huguette Bello, Jean-Pierre Blazy, Michèle Bonneton, Alain Bocquet, Kheira Bouziane, Isabelle Bruneau, Marie-George Buffet, Jean-Jacques Candelier, Fanélie Carrey-Conte, Patrice Carvalho, Nathalie Chabanne, Gaby Charroux, André Chassaigne, Dominique Chauvel, Pascal Cherki, Sergio Coronado, Marc Dolez, Cécile Duflot, Hervé Feron, Aurélie Filippetti, Jacqueline Fraysse, Geneviève Gaillard, Yann Galut, Linda Gourjade, Edith Gueugneau, Benoît Hamon, Mathieu Hanotin, Christian Hutin, Romain Joron, Régis Juanico, Jérôme Lambert, Jean Lassalle, Christophe Léonard, Jean-Luc Laurent, Noël Mamère, Alfred Marie-Jeanne, Jean-Philippe Nilor, Philippe Noguès, Christian Paul, Michel Pouzol, Patrice Prat, Barbara Romagnan, Jean-Louis Roumegas, Nicolas Sansu, Eva Sas, Gérard Sebaoun, Suzanne Tallard, Thomas Thévenoud, Michel Vergnier, Paola Zanetti

    (Les intertitres sont de la rédaction)

    SOURCE:


  • 23 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

    source: pcf.fr

    source: pcf.fr

    Un rapport sénatorial publié ce mardi (19 juillet 2016) dénonce les incohérences et les défaillances du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) dont le coût annuel est estimé à environ 20 milliards d'euros. Un dispositif dont l'avenir est incertain.

    Entré en vigueur le 1er janvier 2013 dans le cadre du Pacte national pour la croissance, la compétitivité et l'emploi, le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) est-il un formidable gâchis ? Les statistiques et les commentaires contenus dans le rapport rédigé par Marie-France Beaufils, la sénatrice communiste de l'Indre-et-Loire, membre de la Commission des Finances de la chambre haute du Parlement en témoignent.

    En parcourant les 70 pages de ce rapport, qui devance l'audit de France Stratégie prévu en 2017, le lecteur se rend compte des multiples défaillances et des incohérences de ce dispositif qui permet aux entreprises d'alléger leur masse salariale pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Son taux était de 4% en 2014. Il a grimpé à 6% cette année et culminera à 7% l'année prochaine, comme l'a récemment annoncé François Hollande, le chef de l'Etat.

    LIEN VERS L'ARTICLE DE "LA TRIBUNE" CI-DESSOUS:


  • 23 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

    Jean-Claude Juncker, président de la Сommission européenne - © Thomas PeterSource: Reuters

    Jean-Claude Juncker, président de la Сommission européenne - © Thomas PeterSource: Reuters

    Sanctions ou pas sanctions ? Suite à la confirmation des déficits budgétaires du Portugal et l'Espagne l'Europe est face à un dilemme, les deux options comportant des risques importants, explique Pierre Lévy, spécialiste des questions européennes.

    Les observateurs s’accordent sur un point : face aux déficits budgétaires «excessifs» confirmés par l’Espagne et le Portugal, les dirigeants européens sont confrontés à un dilemme quasi-insoluble : s’ils sanctionnent les deux pays, l’UE accumulera un nouveau motif de colère populaire – et pas seulement dans la péninsule ibérique ; s’ils ne sanctionnent pas, le précédent ainsi créé achèvera de décrédibiliser le «pacte de stabilité» et les dispositifs renforcés de surveillance économique des Etats membres.

    En 2015, Madrid a affiché un déficit public de 5,1% du PIB, bien au-delà des 4,2% promis. Et Lisbonne de 4,4%, à comparer à l’engagement de 2,7%. Le constat officiel, plusieurs fois repoussé, a dû être dressé par la Commission européenne. Le Conseil de l’UE a formellement acté, le 12 juillet, l’«infraction».

    La Commission devrait prochainement fixer la hauteur de la sanction. L’hypothèse la plus probable est qu’elle décide d’amendes «symboliques» c’est-à-dire bien loin de la punition maximale prévue par les textes, soit 0,2% du PIB.

    Si tel est le cas, on se réjouira certes que les peuples espagnol et portugais ne soient pas lourdement taxés par Bruxelles à travers un prélèvement autoritaire sur la richesse nationale. Reste tout de même le pire : le principe. Infliger une amende « symbolique » vise à maintenir le concept de la fessée.

     

    "La réalité est que la monnaie unique ne peut «tenir» qu’à l’aide de règles drastiques et de contraintes de fer"

    Car les règles de l’intégration européenne permettent d’infliger une punition collective à un pays. L’essence même d’une telle sanction, si l’on y réfléchit un instant, ramène plusieurs siècles en arrière, dans une logique quasi-féodale où les suzerains étaient fondés à humilier les vassaux. Des peuples peuvent ainsi à nouveau être «punis». Et ce, dans un contexte mondial où la notion archaïque de «sanction» contre un pays tend à se banaliser, signe d’une régression historique des relations internationales.

    Mais si une telle arrogance discrédite encore un peu plus l’UE auprès d’un nombre croissant de citoyens de la plupart des Etats membres, Bruxelles pourrait bien perdre aussi sur l’autre tableau.

    Car si l’amende est faible ou nulle, la conséquence à moyen terme est claire, au grand dam des promoteurs de la discipline budgétaire : l’effacement de fait du pacte de stabilité ainsi que des dispositifs particulièrement contraignants mis en place dans la foulée de la crise des années 2010, comme le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) imposé par Angela Merkel en 2012.

    Or si un tel carcan avait été mis en place, ce n’est nullement du fait d’une folle obsession de quelques dirigeants austéritaires, comme le croient bien souvent les partisans d’une «autre Europe». Ces derniers pensent qu’il suffirait de réorienter l’UE et l’euro de manière «progressiste» pour renouer avec une intégration européenne heureuse. Evidemment, cette thèse relève du conte de fées pour petites filles.

    La réalité est que la monnaie unique, partagée par des pays aux économies très différentes, ne peut «tenir» qu’à l’aide de règles drastiques et de contraintes de fer, seules capables de compenser les disparités entre pays. Bref, sans austérité, sans pacte, sans TSCG, l’euro ne peut que s’effondrer.

    "On découvre que le pacte de stabilité est mort, et qu’à un moment ou un autre, l’euro ne lui survivra pas"

    Certes, cette perspective ne se concrétisera pas en vingt-quatre heures, ne serait-ce que parce que tous les gouvernements de la zone euro sont – peu ou prou – adeptes de la « rigueur » budgétaire. Reste qu’avec les aléas économiques et politiques, surtout quand des échéances électorales approchent, peu de gouvernements ont définitivement renoncé à la tentation du «relâchement» de la discipline.

    Et désormais, tous les pays – en particulier au Sud, mais également en France – ont compris que les sanctions, qui relevaient en réalité de la dissuasion, risquent bien de ne jamais être appliquées : comment en effet justifier aujourd’hui une indulgence politique avec Madrid et Lisbonne, et appliquer demain des sanctions sans pitié à l’encontre de Rome ou de Paris ?... Chacun pourra toujours exciper de «circonstances exceptionnelles».

    En juin, on a eu confirmation qu’on peut quitter l’UE. En juillet, on découvre que le pacte de stabilité est mort, et qu’à un moment ou un autre, l’euro ne lui survivra pas.

    Une bonne nouvelle n’arrive jamais seule.

    Pierre Lévy

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