• Venezuela : comment NE PAS donner une information


    Par Ángeles Diez Rodríguez – Le 19 août 2017 – Source Defend Democracy Press

    Le 30 juillet s’est produit un évènement politique d’une portée historique considérable : un peuple internationalement assailli à l’extérieur et soumis à la violence paramilitaire à l’intérieur, est descendu dans la rue pour exprimer son double rejet de l’ingérence internationale et des aspirations des élites locales à reprendre le pouvoir. 

    Il y a moins de vingt ans, au siècle dernier, un évènement d’une telle ampleur aurait figuré en première page de toute la presse d’information du monde. Les médias de masse, publics et privés, l’auraient relevé dans leurs gros titres, sans doute manipulateurs, mais ceux-ci auraient parlé du défi du peuple vénézuélien face aux menaces de l’impérialisme. Ils auraient montré des images, peu nombreuses, mais sans doute quelqu’une ou quelque autre de ces immenses files de Vénézuéliens devant les bureaux de vote, comme ceux du Poliedro de Caracas, ou de ces gens marchant à travers les collines et traversant les rivières dans la région de Táchira ou de Mérida, où les bureaux de vote étant occupés par des guarimberos (casseurs) armés, il fallait se déplacer à la recherche de centres de secours où pouvoir voter, souvent sans y parvenir.

    Les légendes des photos auraient sûrement détourné les images et proposé une lecture en accord avec le désespoir de l’opposition putschiste incapable d’accepter une défaite. Mais il y aurait eu une image, un commentaire, une toute petite information qui aurait parlé de la volonté majoritaire du peuple vénézuélien contre tout pronostic et tout calcul rationnel.

    Tout journaliste digne de ce nom aurait voulu consigner, analyser, vérifier et même manipuler cet évènement. Plus encore en des temps où les réseaux sociaux font circuler une infinité d’images qui comblent les vides des nouvelles qui en sont dépourvues. Là où les médias de masse cachent une image, les  réseaux en mettent des centaines. Cependant, le 31 juillet, l’information sur les élections vénézuéliennes pour l’Assemblée Constituante est passée sous silence dans les médias espagnols. C’est une autre information qui fut donnée à sa place.

    La non-nouvelle qui a supplanté l’évènement vénézuélien, bâtie sur le modèle déjà existant (violence et chaos) était : nouvelle journée de violence au Venezuela. Tous les gros titres visaient, avec plus ou moins de qualificatifs, à façonner une image qui corresponde à la propagande distillée au cours des mois antérieurs. Puis ont éclos les spores disséminées par la non-nouvelle, qui avaient déjà été diffusées par les agences impérialistes : auto-coup d’État, fraude, moins de votes que n’en déclare le gouvernement, opposants nouvellement arrêtés, isolement international…

    L’évènement d’une journée électorale qui a mobilisé des millions de Vénézuéliens qui sont allés voter pour leurs candidats à la Constituante fut trop incontestable pour être passé sous silence ; les flots du peuple vénézuélien trouvaient une infinité de fenêtres numériques par où s’écouler. De sorte que le système de propagande de guerre des médias de masse espagnols, si bien entretenu et huilé par les agences de presse étasuniennes, activa l’un de ses ressorts les plus subtils. Il n’affronta pas la nouvelle en la taisant, bien qu’il le fît également, il ne manipula pas des images comme il l’a réellement fait avec le frauduleux référendum de l’opposition du 16 juillet (le journal El País dut rectifier une image du test électoral pour l’assemblée Constituante, sous laquelle figurait une légende affirmant que c’étaient des queues pour voter au référendum organisé par l’opposition). Dans ce cas, la technique de propagande médiatique majoritairement employée fit remplacer l’information qui faisait l’évènement par d’autres qui attireraient l’attention des audiences.

    Les gros titres parlèrent de violence, dictature et condamnation internationale : « Lors d’une journée marquée par la tension, les manifestations, la réprobation internationale et la violence, les vénézuéliens ont voté pour choisir les membres de l’Assemblée Nationale Constituante » (CNN en espagnol); « Maduro concrétise un coup d’état contre lui-même au Venezuela au cours d’une journée électorale des plus violentes » (El País) ; « Condamnation internationale de l’usage disproportionné de la force au Venezuela. 10 personnes au moins sont mortes dans les manifestations pendant les élections à l’assemblée constituante que soutient Nicolás Maduro. » (Télévision espagnole).

    Pas une seule image des quelques 14 500 bureaux de vote où plus de 8 millions de Vénézuéliens attendaient leur tour pour voter. Après les élections présidentielles de 2012 qui élirent Hugo Chávez, ce furent les élections qui mobilisèrent la plus large participation de masse. Toutefois, lorsque l’on consulte les archives photographiques du journal El País, on se trouve devant un étrange phénomène : sur 30 images sélectionnées par le quotidien, 7 sont celles d’explosions, de barricades et d’actes de violence, 2 montrent les opposants, 2 autres le président Maduro et le reste montre des Vénézuéliens isolés en train de voter, l’urne en premier plan, des petits groupes regardant les listes ou assis, attendant pour voter ; il n’y a qu’une photo où l’on voit très loin des voitures et des personnes avec une légende qui parle de « files d’attente » pour voter. Le même manque d’images significatives fut constaté sur la Télévision espagnole. C’est dire que, dans les médias espagnols de grande audience, les images, quand elles faisaient allusion à l’acte de voter, lançaient un message contraire à la réalité qui circulait sur les réseaux sociaux, elles disaient : peu de Vénézuéliens sont allés voter. C’étaient des images soigneusement sélectionnées pour appuyer la version de l’opposition et ne pas donner l’information de l’appui massif à la Constituante donné par le peuple vénézuélien.

    Dans ces temps des réseaux sociaux où les hommes politiques ne font pas de déclaration, ils twittent, où la volatilité de l’information numérique prévaut sur le papier et où les télévisions copient les réseaux sociaux, les façons de mentir et de déformer sont de plus en plus complexes. Plutôt que de cacher une information, il est plus efficace d’en donner une autre différente, qui occupe la place de la réelle. Nous appellerons cela la « non-information ».

    Il semble, d’après les recherches du CIS (Centre d’investigations sociologiques) que ceci soit habituel dans les médias espagnols. Comme antécédents nous avons cette étude de juin 2016 qui signalait que la télévision, alors que le chômage était toujours la première préoccupation des Espagnols, lui avait consacré la moitié du temps qu’elle avait employé à parler de la crise politique au Venezuela (les journaux télévisés de ce mois-là consacrèrent 71 minutes à la situation du Venezuela face aux 31 qu’ils dédièrent au chômage dans notre pays) ou ce 7 avril de cette année, alors que tous les bulletins d’information du monde ouvraient sur le désarmement de l’ETA, la Télévision espagnole parlait du Venezuela plutôt que du désarmement de l’ETA.

    Cette technique de propagande de guerre qu’emploient les journaux d’information espagnols fait partie d’autres techniques mieux répertoriées comme : le deux poids deux mesures, prendre la partie pour le tout, les infos toxiques, la partialité des sources, l’occultation ou l’inversion cause/effet.

    Dans le cas de l’information de substitution, la non information, elle, doit comporter certaines caractéristiques. En premier lieu, elle doit être crédible, c’est-à-dire qu’elle doit se situer dans la logique même de la matrice déjà établie ; dans le cas des élections à l’Assemblée Constituante cette matrice est : violence, coup d’État, chaos, urgence humanitaire.

    De plus, elle doit avoir comme base un fait certain comme le feu mis à quelque bureau de vote, des barricades incendiées, un quelconque incident isolé. Ce fait, du point de vue de l’importance sociale, est anecdotique ou ne peut être généralisé si l’on prend en compte l’évolution des votes. Cependant, pour ne pas donner l’information importante – celle qui, elle, est généralisable quantitativement et qualitativement – il est fondamental de s’appuyer sur ce fait qui, entre les mains de la guerre médiatique, fonctionne, comme les attentats sous faux drapeaux ou attentats contre soi-même (ceux qui sont commis pour rejeter la faute sur l’ennemi et justifier une intervention). Ainsi, lors de la journée d’élection vénézuélienne il y eut des incidents provoqués par l’opposition, un attentat contre la Garde nationale bolivarienne, des embuscades armées pour dissuader les votants et incendies de bureaux de vote. Mais si l’on prend la journée dans son ensemble, le fait notable a été l’attitude pacifique et la détermination des votants dans l’accomplissement de leur devoir électoral.

    En troisième lieu, l’information de substitution doit être au rang du spectaculaire autant que l’information réelle, afin de retenir toute l’attention. La violence est toujours une information spectaculaire en soi, elle est capable de retenir l’attention et de reléguer tout autre fait. C’est pourquoi, même lorsque l’on ne dispose pas d’images de violence il faut que le journaliste apparaisse portant un gilet pare-balles, un masque à gaz et un casque, pour que notre cerveau prête foi aux actes de violence dont parle le reporter.

    En quatrième lieu, elle doit être capable de concentrer l’attention de ceux qui sont critiques envers les médias de masse, afin que tout le potentiel de contre-information soit pointé vers la mise en cause du « messager » (les moyens de communication de masse). Nous, les intellectuels et analystes, nous nous focalisons sur la dénonciation de la manipulation des médias et nous laissons de côté la diffusion de l’information réelle, par exemple nous nous sommes concentrés sur la dénonciation de l’attentat contre la Garde nationale bolivarienne, que les médias ont transformée en « répression contre Maduro » ou sur la dénonciation de la violence des paramilitaires de l’opposition qui sabotaient les élections, au lieu de parler des vénézuéliens élus pour réformer la Constitution, de leur origine sociale, de leur engagement envers leurs bases, des premières propositions pour la réforme de la Constitution, des problèmes d’impunité que souhaite résoudre la nouvelle carta magna… En théorie de la communication cela se comprend comme l’Agenda Setting, c’est-à-dire que ce sont les médias de masse qui imposent ce dont on parlera, qui fixent ce qui est important, ce qui ne doit apparaître dans aucun média, comment livrer l’information. L’agenda des médias de masse devient l’agenda de l’opinion publique.

    Une autre non-information de ces jours derniers a été « l’isolement international du Venezuela ». Aux Nations Unies, le Venezuela a obtenu le ferme appui de 57 pays qui, au sein du Conseil des droits de l’homme, ont approuvé une résolution de reconnaissance de la Constituante vénézuélienne et réclamé la non-ingérence. Parmi ces pays figuraient les plus peuplés au monde et quelques autres de grand poids international comme la Russie, la Chine, l’Iran, l’Inde ou le Pakistan.

    La non-information qui a remplacé celle-ci fut : « Les États-Unis et les principaux pays d’Amérique latine condamnent la Constituante de Maduro » (El País), information également présente dans la majorité des médias espagnols le lendemain des élections.

    Mais cette technique ne fonctionne que si l’on dispose du personnel spécialisé capable, presque spontanément, d’élaborer les non-informations, capable de regarder ailleurs, bien équipé du déguisement du « reporter de guerre ». Ce sont les parajournalistes, et à la tête de la profession internationale se trouvent les Espagnols, tant des médias de masse privés que des médias publics.

    L’an dernier j’ai déjà défini ce que j’entends par parajournalistes : « Si l’on qualifie de paramilitaire celui qui est affilié à une organisation civile dotée d’une structure ou d’une discipline militaire, nous pouvons dire des parajournalistes qu’ils sont ces journalistes affiliés à des médias de masse qui suivent une discipline militaire, lançant des bombes informatives sur les objectifs définis par leurs entreprises. » Parmi ces derniers nous avons Marcos López et Nuria Ramos, correspondants de Télévision espagnole, qui sans aucun doute méritent une mention spéciale pour leur mauvais travail journalistique, toujours prêts à se placer du côté de ceux qui jettent les bombes incendiaires sur la garde bolivarienne, capables de contredire sans difficulté les images que recueillent leurs propres appareils de photos, disposés à se faire les victimes – tout comme l’opposition – de la « répression du gouvernement bolivarien ».

    La grande offensive contre le gouvernement du Venezuela de la part des médias de masse espagnols fait partie de la guerre mondiale contre tout processus qui ne se plie pas aux intérêts impérialistes. Nos parajournalistes jouent leurs rôles comme membres de l’armée vassale. Ces jours derniers nous avons vérifié que la guerre médiatique contre le Venezuela est l’une des plus féroces que l’on connaisse, peut-être parce que l’escalade guerrière d’aujourd’hui est sans précédent, et qu’en réalité il n’existe pas différents types de guerre mais une seule qui revêt divers aspects. Si, comme dirait le Pape François, nous sommes face à une Troisième Guerre mondiale dont nous ne voyons que des bribes, le Venezuela est aujourd’hui l’un des objectifs prioritaires pour l’empire. La difficulté vient de ce que, contrairement à ce que nous vendent les films de Hollywood, aujourd’hui la guerre ne se présente pas à nous sous la même forme qu’au siècle dernier, il nous est plus difficile de reconnaître son mode de déroulement et d’identifier ses nouveaux et ses anciens bataillons.

    Cette guerre contre le Venezuela essaie de combattre les deux piliers sur lesquels repose la Révolution bolivarienne : la souveraineté nationale et l’utopie socialiste. Elle vise à miner l’image du Venezuela à l’extérieur pour contrebalancer deux des traits les plus caractéristiques de la révolution bolivarienne : la voie pacifique et démocratique pour transformer le pays et l’utilisation de ses ressources naturelles pour améliorer les conditions de vie socio-économiques de la population. C’est-à-dire, miner l’image d’un pays qui construit une alternative au Capitalisme. En ce sens, le Venezuela a également pris la relève de Cuba comme référent de lutte pour d’autres peuples. Tout comme Cuba, il est devenu le mauvais exemple.

    D’où les missiles qui sont constamment lancés depuis les médias de masse afin d’éviter l’appui à la révolution bolivarienne : la violence et l’autoritarisme. Il s’agit là de deux torpilles qui traditionnellement sont pointées sur la ligne de flottaison de toute utopie socialiste.

    Avec un pareil objectif, les moyens de communication et tout le système de propagande contre le Venezuela visent très spécialement le terrain des campagnes électorales et mettent en cause sa démocratie. Il ne faut pas oublier que les élections sont la condition de la démocratie pour les élites politiques mais, seulement si l’on peut garantir que les gens votent ce qu’il faut, c’est-à-dire, si, grâce à la guerre des moyens de communication, l’on parvient à convaincre la population de qui doivent être leurs gouvernants.

    Les guerres ne sont pas l’affaire des gouvernements, ni des corporations, ni des moyens de communication, ni des peuples. Les guerres sont le résultat de tous et de chacun de ces éléments. Les gouvernements déclarent la guerre mais, avant, les peuples assument qu’elle « était inévitable », mais, avant, les corporations font leurs comptes et le bilan des coûts et profits, mais, avant, les moyens de communication créent les conditions pour qu’il n’y ait pas de résistance.

    Mais tout n’est pas perdu : selon un rapport élaboré par l’Université d’Oxford en 2015 et publié par l’Institut Reuters pour l’étude du journalisme, sur les 11 pays européens étudiés, les moyens de communication espagnols sont les moins fiables. Au niveau mondial, quand sont étudiés les publics des États-Unis, de la Grande Bretagne, de l’Allemagne, de la France, de l’Espagne, de l’Italie, de l’Irlande, du Danemark, de la Finlande, du Brésil, du Japon et de l’Australie, seuls les moyens de communication étasuniens ont moins de crédibilité que les espagnols.

    Ángeles Diez Rodríguez, Docteure en Sciences politiques et en sociologie, professeure de l’Universidad Complutense de Madrid.

    L’article original est paru dans America latina en movimiento

    Traduction : Michele ELICHIRIGOITY


  • Bonjour, voici la lettre d’information du site « CAPJPO - EuroPalestine » (http://www.europalestine.com)
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      La facture de maquillage de celui qui est en train de donner des leçons d’économie aux travailleurs, s’élève à 26.000 euros, pour les trois premiers mois de sa présidence ! Voilà comment les gens qui nous gouvernent emploient notre argent, et c’est parfaitement inacceptable.
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      Il faut vraiment le lire pour le croire ! Voici restranscrits les échanges entre un procureur, dans un tribunal israélien, et des témoins venus "témoigner de la nature poétique des poèmes" publiés sur Facebook par Dareen Tatour, poétesse palestinienne arrêtée et emprisonnée il y a 15 mois pour... (suite)
       
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      Etant donné la tenue prochaine en Australie de réunions plénières du "Kimbertly Process", le système de régulation concernant les diamants, les militants BDS australiens se mobilisent pour exiger que le concept de "diamants provenant de zones de conflits" inclue les diamants exportés par Israel.... (suite)
     
       



     


  • La Turquie, la Russie et l’intéressante nouvelle géopolitique dans les Balkans


    Par William Engdahl – Le 31 juillet 2017 – Source New Eastern Outlook

    Le modèle géopolitique de l’ensemble de l’Union européenne subit l’un de ses changements les plus profonds depuis l’effondrement de l’Union soviétique, il y a plus de vingt-cinq ans. Lors de la réunion du 30 juin, à Ankara, du Forum d’affaires turco-hongrois, le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, a déclaré que la Hongrie « se tient aux cotés de ses amis », c’est-à-dire du côté de la Turquie dans sa guerre verbale actuelle avec l’Union européenne. Le Premier ministre hongrois a également salué le rôle de la Turquie dans la prévention d’un énorme flux de réfugiés pénétrant l’UE, notant que « sans la Turquie, l’Europe aurait été inondée par plusieurs millions d’immigrants », affirmant que cette Turquie « mérite le respect ». Derrière ces commentaires, émis dans l’intention de faire enrager l’UE et ses bureaucrates anonymes non élus, l’enjeu dépasse la question des réfugiés et de la souveraineté nationale.

     

    On assiste à un changement tectonique majeur en cours non seulement en Hongrie, mais aussi dans l’ensemble des Balkans. Le changement implique la Turquie d’Erdogan et aussi la Russie de Poutine. Les signes d’une nouvelle géopolitique dans les Balkans sont en train d’émerger et de provoquer d’énormes dissensions au sein de l’UE, entre les atlantistes/OTANistes enragés et les États pragmatiques de l’UE qui sont plus enclins au développement économique, à la santé et à la sécurité de leurs pays qu’à défendre une superpuissance étasunienne en faillite et en déclin moral.

    Le Premier ministre hongrois, Orbán, n’est pas allé en Turquie uniquement pour la photo traditionnelle. Il était là pour parler d’affaires, d’affaires économiques. Il a amené avec lui la moitié de son cabinet et environ 70 chefs d’entreprises pour discuter de coopération économique bilatérale accrue. Orbán a également rencontré, en privé, le président turc Erdogan et le Premier ministre Binali Yildirim.

    Un couloir énergétique pour l’Europe du Sud-Est

    Bien que cela ait été peu abordé dans les communiqués de presse, le problème central discuté à Ankara fut la perspective d’importations de gaz naturel russe par le biais du gazoduc nommé Turkish Stream.

    Avec les nouvelles sanctions américaines, légalement douteuses, visant les entreprises européennes qui investissent dans le gazoduc russo-allemand Nord Stream II, qui devait contourner l’Ukraine, la Russie accélère pour achever la construction de son gazoduc Turkish Stream, qui part de la station de pompage de gaz, déjà construite, près d’Anapa, dans le sud de la Russie, puis continuera sous la mer Noire, traversera la Turquie jusqu’aux frontières bulgares et peut-être même grecques.

    Les dernières sanctions incroyablement stupides du Congrès américain, visant aussi l’Iran et la Corée du Nord, punissent les entreprises allemandes et autrichiennes qui ont investi dans le gazoduc Nord Stream II, bien qu’il soit illégal en vertu du droit international qu’un président américain sanctionne des entreprises à l’extérieur de sa juridiction territoriale, légalement appelée extraterritorialité.

    L’annonce de nouvelles sanctions visant Nord Stream II a conduit la Russie à accélérer la construction de sa ligne Turkish Stream passant sous la mer Noire, actuellement en avance sur le programme. Le sous-traitant de Gazprom, Swiss Allseas, a déjà installé environ 15 milles (25km) de pipeline sous la mer Noire, depuis mai. Le premier des deux pipelines parallèles devrait être inauguré en mars 2018, le second en 2019. La capacité annuelle de chaque tube est estimée à 15,75 milliards de mètres cubes de gaz naturel, à près de 32 milliards de mètres cubes pour les deux.

    C’est là que les choses deviennent intéressantes.

    Les Balkans rejoignent le Turkish Stream.

    Début juillet, le Premier ministre bulgare Boyko Borisov, nouvellement élu, a annoncé qu’il avait l’intention de signer un accord sur le transit de gaz par le Turkish Stream. Il a également signé un accord avec le voisin serbe, qui n’est pas membre de l’UE – et ne devrait probablement jamais le devenir en raison de ses liens étroits avec la Russie entre autres choses. Selon le nouvel accord, la Serbie devrait recevoir 10 milliards de mètres cubes de gaz.

    Le 29 juin, le Premier ministre Aleksandar Vučić a pris le poste de président serbe, Ana Brnabic est devenue première ministre. Elle a déclaré au Parlement qu’elle appliquerait une « politique étrangère équilibrée » et que son gouvernement chercherait spécialement de bonnes relations avec la Russie et la Chine. Le nouveau ministre de la Défense serbe, Alexandre Vulin, est très mal vu par Washington, entre autres pour son orientation pro-russe reconnue. Aleksandar Vučić a rencontré Vladimir Poutine une semaine avant son élection comme président et a réaffirmé les relations étroites entre la Russie et la Serbie.

    Le 5 juillet, le gouvernement hongrois a également signé un accord pour recevoir du gaz par le Turkish Stream. Plus tôt cette année, le président russe est allé à Budapest où il a discuté avec le Premier ministre Orbán de la participation hongroise au Turkish Stream ainsi que de la construction, par la Russie, de centrales nucléaires en Hongrie.

    Au Congrès mondial sur le pétrole, qui s’est tenu du 9 au 11 juillet à Istanbul, le président turc Recep Tayyip Erdoğan a précisé que la Turquie devait devenir un couloir énergétique entre l’est et l’ouest, le nord et le sud. Bref, tous les éléments d’un nouveau réalignement majeur entre les États des Balkans, la Russie et la Turquie sont bien visibles.

    Le Turkish Stream

    En décembre 2014, après que la Commission européenne de Bruxelles, appuyée par Washington, a fait pression sur le gouvernement bulgare pour annuler l’accord visant à accueillir le gaz de Gazprom devant être amené par le gazoduc South Stream au port bulgare de Burgas, le président russe Poutine a annoncé que le South Stream était mort. La Russie a alors entamé des négociations avec la Turquie pour une alternative qui serait appelée Turkish Stream.

    Pour éviter les lois punitives de l’UE, le gazoduc turc de Gazprom passant par la Turquie s’arrêtera à la frontière turco-bulgare, le deuxième devant se terminer à Lüleburgaz dans la région de Marmara en Turquie, près de la frontière turque avec la Grèce. De là, il appartiendrait aux pays acheteurs de construire leurs propres gazoduc et de les relier au Turkish Stream. La loi de l’UE ne fait qu’interdire à Gazprom de construire et d’exploiter ses propres gazoducs à l’intérieur de l’UE.

    Un basculement

    Ces derniers mois, les politiques européennes de Bruxelles devenant de plus en plus contraignantes, les pays d’Europe de l’Est, en particulier la Hongrie, la République tchèque et la Bulgarie, se tournent vers l’est, vers l’Eurasie, et surtout la Russie et la Chine pour leurs investissements croissants en infrastructure dans le cadre de la Nouvelle Route de la Soie et autres réseaux d’infrastructures eurasiatiques .

    En février 2017, lors d’une visite du président russe Poutine à Budapest, la Hongrie a signé un contrat de 17 milliards de dollars avec le Groupe Rosatom, la société en énergie nucléaire russe pour la construction de deux réacteurs dans la centrale nucléaire de Paks, la seule centrale nucléaire du pays. La Russie a également une participation de 51% dans une entreprise de projet tchèque, Nuclear Power Alliance, avec Czech Skoda JS qui proposera des plans de construction pour plusieurs centrales nucléaires tchèques. Le dernier plan énergétique national tchèque considère l’électricité nucléaire comme un moyen sûr de respecter les objectifs de réduction des émissions de CO2 de l’UE, tout comme la Hongrie.

    Le gouvernement turc a également choisi la société russe Rosatom pour construire sa première centrale nucléaire, à Akkuyu, quatre réacteurs qui seront situés près de la Méditerranée, dans le sud de la Turquie, face à Chypre. La première unité, qui coûte 20 milliards de dollars, est en cours de construction par un consortium russo-turc, avec le groupe turc de construction Cengiz-Kalyon-Kolin (CKK). Il sera opérationnel en 2023.

    Aujourd’hui, alors que les États-Unis et la majeure partie de l’Europe occidentale ont gelé les investissements dans la technologie nucléaire et ont perdu leur main-d’œuvre qualifiée, la Russie apparaît comme le leader mondial de l’exportation de technologies nucléaires avec plus de 60% du marché mondial.

    Areva, compagnie française et plus grand producteur de centrales nucléaires d’Europe, n’a pas gagné de contrat à l’étranger depuis 2007. Aux États-Unis, Westinghouse, le plus important fournisseur de centrales nucléaires américaines, a connu des moments inquiétants, pour le dire gentiment. L’activité nucléaire du groupe de Pittsburgh a été vendue et appartient aujourd’hui au groupe japonais Toshiba. Le groupe nucléaire de Westinghouse, qui a récemment été choisi pour fournir quatre nouvelles usines américaines domestiques − leur premier contrat depuis trente ans − est en proie à des dépassements de coûts et des poursuites judiciaires, et Westinghouse Electric a été contraint de déclarer faillite. En revanche, la Russie a signé des contrats pour construire 34 réacteurs dans 13 pays, pour une valeur totale estimée à 300 milliards de dollars.

    L’importance de ces offres en gaz naturel et en électricité nucléaire par la Russie à la Hongrie, la République tchèque, la Serbie, la Bulgarie et la Turquie horrifie Washington et signe le basculement d’une région désenchantée face à l’UE de Bruxelles, politiquement en faillite, et d’une Allemagne qui a perdu les pédales.

    Le fait marquant, dans ce contexte, est la récente confirmation par le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, de l’achat de plusieurs unités de systèmes avancés de défense anti-aérienne russe, des S-400, malgré les efforts acharnés de l’Administration Trump et de l’OTAN pour l’en empêcher. Le S-400 est considéré par les experts militaires comme le meilleur système de missiles de défense aérienne à longue portée, bien meilleur que le système américain Patriot que Washington voulait faire acheter à la Turquie.

    Le fait que plusieurs nations des Balkans soient en train de nettement améliorer leurs relations économiques avec la Russie et la Turquie souligne la réalité d’une désunion européenne plutôt que de son union promise. La stupide décision de la Commission européenne de trainer la Hongrie, la République tchèque et la Pologne devant un tribunal de l’UE pour avoir rejeté les quotas obligatoires de réfugiés que Bruxelles veut imposer a également élargi le fossé entre l’est et l’ouest de l’UE.

    Une structure politique élitiste telle que l’est l’UE d’aujourd’hui, ses institutions antidémocratiques comme la Commission européenne et un Parlement européen qui empiète sur les droits souverains fondamentaux, comme peuvent l’être des relations interpersonnelles sadomasochistes, sont intrinsèquement invivables. Comme le montre le dernier quart de siècle avec Washington en tant que superpuissance unique, depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la politique du plus fort n’est pas un modèle viable pour des relations internationales saines et pacifiques. Les aboiements hystériques de celui qui se pense le plus fort nous le montre bien.

    William Engdah

    Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker francophone


  • Bonjour, voici la lettre d’information du site « CAPJPO - EuroPalestine » (http://www.europalestine.com)
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  • Folie de Russie


    Par James Howard Kunstler – Le 4 août 2017 – Source kunstler.com
    Résultats de recherche d'images pour « folie russe »
    L’hystérie au sujet de la Russie est devenue une psychose nationale totale à un moment de l’histoire où un éventail complet de problèmes représente une menace réelle pour le bien-être de l’Amérique. La plupart d’entre eux ont à voir avec l’image d’un cygne symbolisant le pays, plongeant vers la faillite, mais les affronter honnêtement forcerait à des choix inconfortables pour les initiés et les lâches du Congrès. Pendant ce temps, le département du Trésor brûle ses réserves de trésorerie qui diminuent, et toutes les activités gouvernementales feront face à un blocage à la fin de l’été, à moins que le Congrès ne vote pour augmenter le plafond de la dette – ce qui pourrait être beaucoup plus difficile que de passer la loi stupide sur les sanctions contre la Russie.

     

    Ce projet de loi, vaillamment appelé The Countering America’s Adversaries Through Sanctions Act, ne fera qu’exploser au visage de l’Amérique. Le commerce réel de ce pays avec la Russie est négligeable, mais le projet de loi vise à interrompre et à punir le commerce des Européens, en se concentrant sur le pétrole et le gaz naturel dont ils ont désespérément besoin. Principalement, le projet de loi américain vise à interrompre un gazoduc sous la mer Baltique qui contournerait plusieurs pays baltes actuellement utilisés par l’Amérique – sous la bannière de l’OTAN – comme lieux de rassemblement pour des jeux de guerre inutiles et provocants sur les frontières russes.

    L’Allemagne ne va pas rester sans rien faire, et qu’on l’aime ou pas, c’est la paille qui remue la boisson européenne. Les sanctions prévoient d’isoler la Russie, mais l’effet sera seulement d’isoler les États-Unis. L’Europe se moquera de la mesure qui influe sur leurs prérogatives souveraines pour commercer comme bon lui semble. Et la Russie peut se retourner et vendre tout le gaz naturel qu’elle souhaite à ses clients en Asie. Le rôle caché de l’industrie américaine du gaz est laissé dans l’ombre par ses crétins de médias américains. Cette industrie pousse les sanctions afin qu’elle puisse vendre du gaz liquéfié à l’étranger – ce qui aura pour conséquence d’augmenter le prix du gaz pour les clients américains qui doivent chauffer leurs maisons.

    Cette loi stupide prétend être un levier pour améliorer les relations entre les États-Unis et la Russie, mais elle est en fait conçue pour rendre les relations bien pires. Dans l’intervalle, la matrice du Deep State militaire et des services de renseignement des États-Unis génère de nouvelles crises et confrontations sans aucune raison dans l’absolu. Il s’agit par exemple de fourguer des armes à l’Ukraine afin de pouvoir intensifier les conflits dans la région orientale, le Donbass, en bordure de la Russie. Le projet de loi sur les sanctions rendra également impossible aux États-Unis et à la Russie de coordonner la fin du conflit en Syrie. Quoi qu’il en soit, les stratèges de l’État profond des départements d’État, de la Défense et des service de renseignement sont tacitement déterminés à créer un autre État défaillant en y assurant un chaos continu.

    Une autre conséquence intéressante imprévue du projet de loi sur les sanctions est que cela ne fera qu’intensifier les efforts de la Russie, déjà bien avancés, pour produire elle-même de nombreux biens qu’elle importe actuellement. Le remplacement des importations, comme on appelle ce processus, est en fait la même dynamique qui a conduit à la montée des États-Unis comme grande puissance industrielle au XIXe siècle, de sorte que le projet de loi ne sert qu’à inciter la Russie à diversifier et renforcer son économie.

    Alors, qu’est-ce que M. Trump pensait exactement quand il a signé le projet de loi sur les sanctions russes « profondément imparfait » (ses mots), vomi comme une boule de poils par le Congrès ? C’est une loi ridicule quel que soit l’angle. Cela limite les prérogatives établies par le président pour négocier avec des nations étrangères (probablement inconstitutionnellement) et cela ne va seulement provoquer que des conflits économiques (au minimum) contre les États-Unis qui peuvent facilement déboucher sur le bouleversement des relations commerciales mondiales. Certains observateurs disent qu’il a dû le signer parce que le vote du Congrès était tellement écrasant (419 à 3) qu’un veto de Trump aurait été balayé. Mais le veto aurait eu, du moins, une valeur symbolique dans l’esprit jacksonien que Trump a prétendu vouloir imiter au début de son mandat. Peut-être voit-il la fin du jeu mené par l’État profond et qu’il est fatigué de résister.

    Sur le front intérieur, la paranoïa anti-Russie est au centre de l’enquête approfondie de Robert Mueller sur Trump et ses associés politiques alors qu’il appelle un grand jury fédéral pour entendre des témoignages – ce qui implique qu’il est prêt. Cela ouvre toutes sortes de possibilités pour poursuivre tous les méfaits, comme par exemple, chaque opération commerciale faite par Trump comme citoyen privé avant de se précipiter pour devenir le président, et forcer les intimes de Trump à négocier une immunité en échange de témoignages, réels ou préparés, pour permettre la réalisation de l’objectif ultime de l’establishment, virer Trump.

    L’histoire de « l’ingérence russe dans notre élection » n’a pas produit de preuve crédible après une année complète – et parler aux diplomates étrangers n’est pas un crime – mais l’histoire de l’ingérence de la Russie se déroule parfaitement bien et peut accomplir son objectif sans avoir de preuves. Le seul fait de répéter « ingérence russe » cinq mille fois sur CNN a certainement incité de nombreux citoyens mal informés à croire que la Russie a changé les chiffres dans les machines de vote américaines bien que, en fait, les machines à voter ne soient pas connectées à Internet.

    Tout ce comportement politique psychotique prépare la montée d’un nouveau parti, ou plus, composé d’hommes et de femmes qui n’ont pas perdu leur esprit. Je suis sûr qu’ils sont là-bas. Beaucoup de traces sur Internet témoignent de l’existence d’une conscience politique supérieure et meilleure dans ce pays. Elle n’a tout simplement pas trouvé le moyen de se cristalliser. Pas encore.

    James Howard Kunstler

    Traduit par Hervé, vérifié par Wayan, relu par Cat pour le Saker Francophone