• 31/10/17

    Laïcité : pourquoi Jean-Luc Mélenchon ne désavoue pas Danièle Obono

    Fille d'un ancien candidat à la présidentielle gabonaise, elle se dit toujours "révolutionnaire" L'insoumise Obono!!!
     
    *
     
    Laïcité : pourquoi Jean-Luc Mélenchon ne désavoue pas Danièle Obono
     
    Sur le JDD
     
     
     08h55 , le 31 octobre 2017

    Ciblée par Manuel Valls pour des propos ambigus sur l’islamisme, l’Insoumise Danièle Obono n'est pas sur la même ligne que son leader Jean-Luc Mélenchon, qui fait bloc derrière elle.

    Jean-Luc Mélenchon et Danièle Obono à l'Assemblée nationale, le 24 octobre.

    Jean-Luc Mélenchon et Danièle Obono à l'Assemblée nationale, le 24 octobre. (Sipa)
    Partager sur :

    Elle est dans la tourmente depuis que Manuel Valls l'a désignée comme cible. "Il y a au sein de La France insoumise une dérive islamo-gauchiste, je l'attribue à Danièle Obono", confie l'ex-Premier ministre. Dernier exemple en date : la députée de Paris n'a pas voulu qualifier de "radicalisé" un chauffeur de bus qui refusait de prendre le volant après une femme. "Quelqu'un qui ne voudrait pas s'asseoir après un juif ou un Noir, ce ne serait pas du racisme?" s'indigne Valls. Face à la tempête, les Insoumis font bloc. "Les polémiques peuvent être violentes et déstabilisantes, reconnaît Danièle Obono. Mais il y a toujours eu un soutien clair de Jean-Luc Mélenchon ; ça aide à se sentir en confiance et forte."

    D'elle, Clémentine Autain, autre Insoumise à l'Assemblée, dit qu'elle est "solide et très politisée", ce qui élude la question de fond. Dès le lycée, la future députée militait contre le FN, ensuite ce fut le soutien à José Bové sur le plateau du Larzac, puis l'altermondialisme à Attac au début des années 2000. Elle se définit – prenez de l'élan – en militante "éco-socialiste, afro-féministe, bolcho-luxemburgiste, trotskiste" et a cheminé avec la Ligue communiste révolutionnaire (LCR) avant de rallier Jean-Luc Mélenchon. "Militer dans des organisations majoritairement blanches, masculines avec des gens d'un certain âge, confie-t-elle, ça singularise d'autant plus quand on est une jeune femme noire."

     

    Clivage sur les religions

    Son combat, assure-t-elle, c'est "l'antiracisme". Pour elle, "la France est impérialiste", sans quoi elle fermerait ses bases militaires en Afrique. Dans la gauche radicale d'où elle vient, on trouve Mélenchon "cocardier" voire "patriotard" et l'on dénonce un "racisme d'Etat". "Ce terme, plaide-t-elle, on peut le discuter mais il y a un racisme qui est reproduit dans les institutions car elles sont le fruit de notre société."

    Fille d'un ancien candidat à la présidentielle gabonaise, elle se dit toujours "révolutionnaire" et voit dans le programme de La France insoumise un "réformisme de base", transition écologique mise à part. Moins radical qu'elle ne le voudrait, donc, mais ce projet lui convient. Sauf que sur la question des religions, son approche diffère nettement de celle de Mélenchon – il est vrai que le clivage traverse toute la gauche. "L'obsession laïcarde, antireligion de Mélenchon doit mettre Danièle Obono mal à l'aise, observe le politologue Philippe Marlière, lui-même familier de cette mouvance. Pour la nouvelle gauche radicale, la religion n'est plus un problème." Par exemple, la députée (qui se dit agnostique) est opposée à la loi de 2004 qui proscrit les signes religieux à l'école – elle l'a jugée "infâme". Telle n'est pas la position de La France insoumise. Quand la revue radicale Ballast le lui fait remarquer, elle convient que "ça [la] met en porte-à-faux…".

     

    "Je n'ai pas pleuré Charlie"

    Ce que beaucoup lui reprochent, c'est une proximité avec le Parti des Indigènes de la République (PIR) et leur porte-parole, Houria Bouteldja, que le politologue Thomas Guénolé (engagé à La France insoumise) a qualifiée de "raciste". "Je n'ai jamais été au PIR mais ce sont des militants du mouvement antiraciste", dit-elle. Un texte dérangeant, publié après les attentats de janvier 2015, a resurgi. "Je n'ai pas pleuré Charlie", y écrivait-elle, tout en disant avoir "pleuré, un peu […] en pensant aux 12 personnes mortes." Elle ajoutait avoir versé des larmes "toutes les fois où des camarades ont défendu mordicus les caricatures racistes de Charlie Hebdo […] mais se sont opportunément tu-e-s quand l'Etat s'est attaqué à Dieudonné, voire ont appelé et soutenu la censure…"

    Elle n'abjure rien. "Deux poids, deux mesures", maintient-elle. Elle se sent néanmoins tenue d'ajouter : "Comme tout le monde, j'ai été traumatisée par les meurtres et j'ai de la compassion par rapport aux victimes mais on peut avoir un point de vue critique sur l'esprit Charlie." Interrogé à l'époque, Mélenchon faisait entendre une autre musique : "Dieudonné, c'est le contraire de Charlie, cinglait-il […]. Le racisme n'est pas une opinion, ni un sujet de rigolade." Il approuvait même l'interdiction des spectacles de Dieudonné, décrétée par Valls : "Il ne faut pas hésiter à utiliser des moyens d'autorité." A présent, il hésite à invoquer la sienne face aux déclarations d'une députée de son groupe. Quitte à apparaître, comme elle, "en porte-à-faux".


  • Je crois en l’Etat communal. Une discussion nécessaire à l’Assemblée Nationale Constituante. Par Isaias Rodriguez

    DIpsfnTXoAA3_Yf

    DIprHX_W0AATghk

    Isaias Rodriguez (assis, au centre) lors d’une récente assemblée populaire à Guarenas

    Je crois en l’état communal et je crois que l’heure viendra où les citoyens comprendront tout le bénéfice qu’ils peuvent en tirer. Bien sûr, chaque chose en son temps. Je ne sais pas si c’est le meilleur moment pour imposer au Venezuela un Etat Communal mais je crois que nous devons aller dans cette direction…

    Les gens pensent qu’un Etat Communal c’est le « communisme », on leur a mis ça dans la tête… Pour les chrétiens, « commune » signifie communion, partager le corps du Christ à travers une hostie… Mais « commune »  désigne aussi un des états révolutionnaires les plus importants du monde : la Commune de Paris où le peuple occupa la capitale pendant trois jours pour défendre sa souveraineté face à la Prusse. Il faut bien comprendre le concept de commune.

    Rome est organisée en communes. Le lieu où le Libertador Simon Bolívar avait juré de libérer à l’Amérique est la commune du Monte Sacro. Autrement dit je ne suis pas en train de parler de quelque chose nécessairement lié à un processus idéologique déterminé.

    Je crois que la commune est l’état idéal pour le travail social: une société petite où les citoyens peuvent démocratiquement établir leurs besoins, et même organiser leur loisir, comment ils peuvent disposer de parcs, d’espaces verts. Comment ils peuvent contrôler les crises de la question climatique. Enfin tout ceci sur une petite échelle parce que quand tu essaies de résoudre cela globalement tu te retrouves face à des intérêts que t’en empêchent comme les transnationales.

    Dans une commune tu sais où tu vas placer l’hôpital, le lycée, les chemins, faire en sorte que tu puisses te déplacer en vélo. Je parle d’une société que j’ai vue, qui n’est pas utopique, je la connais, je parle d’espaces communaux qui sont réels.

    Si nous avions des communes en ce moment au Venezuela il n’y aurait pas de problèmes de production d’aliments parce que la commune elle-même sème, produit, c’est à dire qu’on résout un problème en petit et que si plusieurs groupes résolvent leurs problèmes en petit quand tu les unis tu as crée une culture sociale pour vivre en fonction sociale et pas individuellement. La commune est le meilleur espace pour éduquer les personnes à la vie en société, pour vivre dans la compréhension que le plus important ce n’est pas un être humain mais LES êtres humains…

    Cet espace communal je continue de penser qu’il serait l’idéal. Que pourrait-il se passer? Dans un pays comme le nôtre qui même s’il a grandi en tant que peuple, n’a pas suivi cette croissance sur le plan institutionnel, les institutions peuvent encore voir la commune comme une rivale: les conseils municipaux ne se font pas à l’idée d’être déplacés par le pouvoir des communes amis le jour où ils ce pouvoir va les renforcer, alors il ne sera plus si difficile de l’intégrer comme quatrième pouvoir dans la structure des pouvoirs publics au Venezuela. Le Pouvoir National, le Pouvoir Régional, le pouvoir Municipal et le Pouvoir Communal.

    Je crois qu’il faut commencer à éduquer le pays pour qu’il comprenne ce qu’est le Pouvoir Communal et comment il peut le servir et je suis partant pour qu’il s’intègre dans ce processus.

    Isaias Rodriguez (actuel ambassadeur du Venezuela en Italie)

    Source : https://isaiasrodriguezweb.wordpress.com/2017/10/29/creo-en-el-estado-comunal/

    Traduction : Cathie Duval

    URL de cet article : https://wp.me/p2ahp2-3NB


  • mercredi 1 novembre 2017

    Sahel : Macron et Le Drian bottent en touche

    Lundi 30 octobre à l’ONU, une réunion ministérielle présidée par le ministre français des Affaires Etrangères, Jean Yves Le Drian, a tenté de définir la force d’interposition qui  doit se mettre en place sous l’égide du “G5 Sahel” (Mali, Niger, Tchad, Mauritanie et Burkina). En réalité, un nouveau mirage.

    Macron_Le_Drian_696x348

     Comme il est loin le temps béni où l’ancien président français, François Hollande, célébrait en 2013 le “plus beau jour de sa vie politique” au Mali où l’intervention militaire française “Serval” avait lieu. La majorité de la population noire de Bamako s’était réjouie de l’arrivée des troupes françaises avec l’espoir que les populations Touaregs du Nord, ces éternels dissidents, seraient contraints de déposer les armes. Il faut bien constater l’échec politique qui a succédé à un ratissage du Nord Mali présenté comme une victoire définitive.  Les accords de paix signés en 2015 n’ont guère été respectés, le président malien IBK, adoubé par Paris lors de son élection en 2013, est totalement discrédité; et il ne se passe pas de semaine sans accrochage violent ou attentat sanglant, non seulement au Nord du Mali, mais aussi au centre et au Sud du pays, comme le révèle un rapport de l’ONU dont le Canard Enchainé (25/10) donne de larges extraits. “A Bamako, Tombouctou, Gao et Kidal, lit-on, le nombre d’assauts contre les forces de défense maliennes a pratiquement doublé”.

    Sans parler des voix de plus en plus nombreuses au sein même de la classe politique malienne qui dénoncent “l’occupation” des 4000 soldats française au Mali. Ce désarroi politique est une aubaine pour l’Imam Mahmoud Dicko, le président du très réactionnaire Haut Conseil Islamique (HCI), qui fort de la manne séoudienne, est devenu l’homme fort du pays qui pourrait, demain, devenir une République islamique soft.

    Tourner la page

     Ce tableau là naturellement, Jean Yves Le Drian a été bien incapable de le dresser. Principal artisan de l’opération Serval qui s’inscrit classiquement dans la filiation des quarante huit opérations militaires françaises menées par la France en Afrique depuis les indépendances africaines, l’actuel ministre des Affaires Etrangères semble bien en peine d’en reconnaitre les limites et d’avouer un échec militaire qui fut son titre de gloire. Mais il lui faut pourtant tourner la page, aiguillonné qu’il est par un patron, Emmanuel Macron, pressé d’en finir avec le fardeau financier des interventions militaires à l’étranger.

    "La stupide guerre de Libye"

     Confronté dès les lendemains de l’opération Serval à de mauvaises remontées du terrain, Jean Yves Le Drian a, dans la foulée, dénoncé les responsables de l’enlisement français. Si les groupuscules djihadistes avaient encore de beaux jours au Mali, mais également au Niger et au Burkina, c’est en raison de la base arrière qu’ils possédaient en Libye. Le ministre de la Défense qu’il fut n’aura de cesse de plaider pour une nouvelle intervention militaire dans le sud libyen mais n’obtiendra pas gain de cause auprès de l’Elysée, absorbé par d’autres théatres d’opération en Syrie notamment.

    Ce qui est exact, c’est que “la stupide guerre de Libye”, pour reprendre l’expression du général Desportes sur Europe 1 le 21 octobre dernier, qui a été menée en 2011 par Nicolas Sarkozy et David Cameron, a déstabilisé l’ensemble de la région. Le rapport de l’ONU, daté du 28 septembre dont le Canard Enchainé donne des extraits, recense les résultats terrifiants de la situation actuelle en Libye: multiplication des attentats, appuis logistiques et financiers des groupes terroristes. Pour autant, l’existence de cette aire de jeux et de trafics pour les groupes terroristes n’explique pas à elle seule la situation sécuritaire actuelle au Mali et plus généralement au Sahel. Le rapport de l’ONU, toujours d’après le Canard Enchainé, pointe la responsabilité des pouvoirs en place, notamment en matière d’atteintes aux droits de l’homme: découverte de charniers, viols, exécutions sommaires. Dans le cas du Mali, ces experts renvoient dos à dos les groupes armés terroristes et les forces de défense et de sécurité qui sont coupables, les uns comme les autres, de ces exactions.

    Tour de passe passe

     Le véritable tout de passe passe des Français fut de transmettre le relais, notamment au Mali et en Centrafrique, aux forces onusiennes de la Minusma, 12000 hommes au total. Mais  cela ne marche gère. Quatre vingt soldats ont été tués ces dernières semaines, alors même que la situation empire chaque jour.

    Face à ce constat qui marque les limites des forces onusiennes dans cette guerre atypique, le nouveau président français, Emmanuel Macron, tente aujourd’hui de mettre les chefs d’Etat de la région face à leurs responsabilités. Organisez-vous, leur dit-il, dans le cadre d’une force d’interposition, dite du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina, Tchad, Mauritanie), et l’Europe comme l’ONU vous aideront financièrement.

    C’est cette stratégie que Jean Yves Le Drian a vendu ce lundi à l’ONU. Mais ses interlocuteurs ne sont plus ces présidents africains, les Déby au Tchad, Issoufou au Niger, Aziz en Mauritanie, qu’il avait su mettre de son côté en fermant les yeux sur leur fâcheuses tendances autoritaires et leurs légers penchants prédateurs.

    Cette fois, l’état des lieux a été dressé par une délégation du Conseil –formée de la France, de l’Éthiopie et de l’Italie–, qui s’est rendue du 19 au 23 octobre en Mauritanie, au Mali et au Burkina Faso pour juger des recommandations du rapport « à l’aune de la réalité de terrain ». Et les financements s'avèrent loin d’être bouclés. Quatre cent millions d’euros seraient nécessaires pour que les armées du G5 Sahel soient formées, armées et modernisée. Pour l’instant, cent millions d’euros seulement ont été trouvés.

    Les talents de bonimenteur de Jean-Yves Le Drian auront-ils suffi ? Seul l'avenir le dira. (selon Nicolas Beau - "Mondafrique")

     
    Posté par jl boehler à - - Commentaires [0] - Permalien [#]
    Tags : , , ,

  • En Russie, les progressistes de la politique étrangère l’ont emporté sur les traditionalistes


    andrew-korybkoPar Andrew Korybko – Le 1er septembre 2017 – Source Russia Insider

    Le rééquilibrage de la politique étrangère de la Russie est le résultat de l’influence de la faction progressiste de l’État profond qui a primé sur la faction traditionaliste en décidant de la grande stratégie.

     

    Sergey Lavrov, ministre russe des Affaires étrangères recevant son homologue saoudien à Moscou en juin 2016

    Beaucoup d’observateurs de la politique étrangère russe ont été perplexes ces dernières années, car les manœuvres géostratégiques de Moscou dans la « Oummah » [communauté des croyants musulmans]  les ont complètement pris au dépourvu, car ils ne s’attendaient pas du tout à ce que, pour la Russie,  le « Pivot / Rééquilibrage vers l’Asie » prenne des dimensions musulmanes en Eurasie centrale du Sud. La plupart de ces mêmes personnes ont de la difficulté à accepter les mouvements de la Russie, et ont plutôt cherché à ignorer, à minimiser ou à élaborer des théories de conspiration extravagantes à leur sujet. Le partenariat le plus controversé est celui que la Russie a récemment noué avec la Turquie, l’Arabie saoudite, l’Azerbaïdjan et le Pakistan, et la raison pour laquelle il a créé une telle agitation est qu’il va directement à l’encontre de tout ce que la politique étrangère des traditionalistes représente.

    La faction progressiste de l’État profond russe – bureaucraties permanentes militaires, de renseignement et diplomatiques – comprend que son pays doit s’adapter de manière flexible aux changements de paradigme tous azimuts se produisant à travers le monde, à mesure que l’Ordre mondial multipolaire émergent prend de la vigueur. Cela signifie reconceptualiser le rôle géostratégique de la Russie au XXIe siècle et le percevoir comme un effort pour devenir la force d’équilibre suprême du supercontinent eurasien, ce qui nécessite de conclure des arrangements mutuellement avantageux avec des partenaires non traditionnels. Les traditionalistes, cependant, croient que la Russie ne devrait jamais étendre ses partenariats existants d’une manière qui pourrait, même à terme, contrarier ces derniers, ce qui symbolise leur approche extrêmement dogmatique et sans faille de la question.

    Ces traditionalistes pensent soit que la Russie n’est pas sérieuse au sujet de ses nouveaux partenariats, soit qu’elle les engage en désespoir de cause pour « surveiller ses ennemis proches », refusant de reconnaître que Moscou est vraiment très attachée à approfondir les relations avec chacun de ses nouveaux partenaires et a l’intention sincère de participer à de multiples initiatives de renforcement de la confiance avec eux. Par exemple, il est ridicule de suggérer que les relations militaires (S-400), énergétiques (pipeline Turquie / Balkans) et diplomatiques (pourparler d’Astana) de la Russie avec la Turquie sont tout sauf authentiques, et conçues pour rapprocher les deux parties au plus fort de toute leur histoire. Il en va de même pour son OPEC, ses investissements et ses liens d’armements potentiels avec l’Arabie saoudite. son partenariat global renforcé avec l’Azerbaïdjan et son rapprochement rapide avec le Pakistan.

    Toutes ces mesures ont choqué les traditionalistes, qui craignent que leur pays ait trahi ses partenaires syriens, iraniens, arméniens et indiens bien-aimés à cause des incursions irresponsables des progressistes, mais ce n’est pas vrai du tout puisqu’en réalité, ce sont ces deux derniers États qui ont trahi la Russie, comme l’a expliqué l’auteur dans son récent article, se demandant si « l’Arménie, l’Inde et la Serbie s’équilibrent face à la Russie ou la trahissent ». Même dans ce cas, cependant, la Russie ne trahit personne, puisqu’elle se contente de diversifier et d’actualiser ses relations internationales pour s’aligner sur la géopolitique de la nouvelle guerre froide du XXIe siècle afin de mieux équilibrer les affaires du supercontinent eurasien, ce qui est aussi la raison pour laquelle elle s’est rapprochée de la Turquie et de l’Arabie saoudite, malgré l’inconfort que cela pourrait provoquer en Syrie et en Iran.

    Compte tenu de l’incroyable progrès géostratégique que la Russie a fait ces dernières années pour devenir une véritable force à prendre en compte dans la Oummah, il est extraordinairement improbable et pratiquement impossible qu’elle fasse marche arrière sur ses derniers acquis et revienne au mode de pensée dépassé des traditionalistes. Les progressistes tirent les ficelles, pour ainsi dire, et ils ont clairement fait savoir à maintes reprises qu’aucun de ces nouveaux partenariats excitants n’est à somme nulle pour qui que ce soit. Ils incarnent plutôt la logique gagnant-gagnant qui fait la réputation de la multipolarité moderne, que les observateurs le reconnaissent maintenant ou plus tard.

    Si la Russie réussit à conserver ses partenariats patrimoniaux tout en renforçant ceux qu’elle a travaillé dur à acquérir, alors la dichotomie de l’État profond traditionaliste / progressiste pourrait céder la place, dans le futur, à une seule catégorie d’arbitres / gestionnaires, dès lors que Moscou remplit enfin son rôle géostratégique, au XXIe siècle, en Eurasie.

    Andrew Korybko

    Traduit par jj, relu par Cat pour le Saker Francophone


  • Le silence des colombes


    Pourquoi n’y a-t-il pas d’opposition dominante à la nouvelle guerre froide ?


     

    Stephen F. Cohen

    Par Stephen F. Cohen – Le 17 octobre 2017 – Source The Nation

    Pourquoi, à l’inverse de ce qui s’est passé pendant les 45 ans qu’a duré la dernière Guerre froide, n’y-a-t-il aujourd’hui en Amérique aucune opposition notoire à l’actuelle Guerre froide (qui est encore bien plus dangereuse que la précédente) ?

    USA_'USSR'_sign_ap_img

     

    Cohen pose cette question qui sonne comme un paradoxe pour ouvrir le débat et qu’il formule comme suit.

    Pendant la dernière Guerre froide, mais surtout à partir de la fin des années 1960 et jusque dans les années 1980, nombre de voix se sont élevées dans le « mainstream » politico-médiatique américain contre la Guerre froide et en faveur de la détente. Il s’en est trouvé aussi bien au Congrès, à la Maison Blanche, dans les médias les plus influents de la presse écrite ou des ondes que dans les universités et les groupes de réflexion (« think tanks »), dans la politique locale ou dans les campagnes électorales et même dans quelques grandes compagnies étasuniennes. Ainsi le Comité pour l’entente Est-Ouest a été fondé par des PDG, il y a plusieurs dizaines d’années et a été remis sur pied récemment par Cohen et d’autres personnalités (voir www.eastwestaccord.com). La discussion ouverte et le débat public ont pu rester la norme pendant la dernière Guerre froide, comme il sied en démocratie. Cohen rappelle par exemple qu’en novembre 1989, le premier Président George Bush a réuni à Camp David toute son équipe de sécurité nationale pour assister à un débat entre Cohen, qui enseignait alors à Princeton, et Richard Pipes, professeur à Harvard, sur la question pressante de savoir s’il fallait renforcer ou au contraire freiner la détente avec l’Union soviétique, alors dirigée par Mikhail Gorbatchev.

    La Guerre froide qui sévit aujourd’hui est encore plus dangereuse par bien des aspects. Son épicentre ne se trouve pas dans le lointain Berlin mais directement aux frontières de la Russie, en Ukraine et dans les États baltes. Les règles de conduite mutuellement restrictives, développées après la crise des missiles de Cuba de 1962, n’ont plus guère cours, comme l’illustre bien l’échange de sanctions « coup pour coup » qui pourrait conduire à une rupture complète des relations diplomatiques entre les deux superpuissances nucléaires. Les relations et les institutions qui ont été établies en vue de la coopération et se sont développées au cours de décennies sont démantelées ou simplement abolies. La course aux armements nucléaires, qui avait été reléguée dans le passé par Reagan et Gorbatchev, est actuellement en train de se réactiver, avec des manœuvres provocatrices d’armes conventionnelles lancées de part et d’autre. Aujourd’hui, le leader du Kremlin est diabolisé aux États-Unis de façon irrationnelle, bien plus que les leaders soviétiques ne l’ont jamais été. Pourtant, ni la Russie ni la classe politique russe au pouvoir ne sont plus communistes, mais sont au contraire des adeptes du capitalisme et, dans leur majorité, des croyants.

    Malgré cela, il n’existe aucune opposition significative à la Guerre froide dans le courant principal de la politique américaine. On distingue à peine quelques voix isolées, que ce soit au Congrès, dans les journaux les plus influents et les principales émissions de radio / tv, au sein des deux grands partis politiques, ou encore dans les universités et la plupart des « think tanks » de Washington. Même le mouvement anti-nucléaire, en son temps très populaire et bien organisé sur le plan local, qui militait en faveur de la détente dans les élections régionales, a pour ainsi dire complètement disparu.

    Le débat public et la controverse politique entre « faucons et colombes » qui s’affrontaient au sujet de la politique russe n’ont plus leur place dans l’Amérique consensuelle du « mainstream ». Partout, les faucons ont pris le dessus et les colombes restent coites, même dans les corporations qui détiennent des investissements importants en Russie.

    Cohen ne s’explique pas les raisons de ce paradoxe très dangereux, mais avance quelques explications possibles ou partielles à ce phénomène.

    Très récemment, l’hostilité générale au président Trump et la diabolisation du président Poutine sont devenues des éléments majeurs de la politique. Les grands médias et les personnalités qui ont des doutes sur la politique américaine à l’égard de la Russie et qui font campagne pour un renforcement de la coopération entre les États-Unis et la Russie, craignent de se voir étiqueter « pro-Trump » ou « pro-Poutine ». Il est déplorable que l’on ait à craindre de telles accusations, même si ce comportement est peut-être compréhensible. Il faut rappeler que la nouvelle Guerre froide a débuté longtemps avant Trump. Elle est devenue une politique bipartisane qui n’a suscité que peu d’opposition, voire aucune, et a précédé la diabolisation systématique de Poutine qui s’est manifestée plusieurs années après son arrivée au pouvoir en 2000. (Cohen renvoie ici aux derniers chapitres de son ouvrage Soviet Fates and Lost Alternatives, qui a été réédité en livre de poche). Ceci n’est donc pas une explication suffisante.

    Le néo-maccarthysme, qui s’est développé considérablement depuis l’élection de Trump en 2016, a certainement paralysé le mouvement d’opposition à la Guerre froide. Alors que les enquêtes officielles sur la prétendue « collusion avec la Russie » prennent un tour toujours plus vif et que des campagnes grassement payées sont lancées pour dévoiler la prétendue campagne russe de désinformation russe dans les médias étasuniens, le spectre de l’autocensure est descendu sur la vie politique. Personne ne souhaite être suspecté de « collusion avec le Kremlin » ou d’être le véhicule de la « propagande russe » – au risque d’endurer d’autres soupçons plus graves encore. (À cet égard, Carter Page [conseiller de Trump pendant la campagne électorale, NdT] semble être le premier à avoir déposé plainte contre une grande chaîne américaine.) Cette tendance ne se limite pas seulement à de l’autocensure. Les principales chaînes de médias excluent régulièrement les critiques de la politique américaine de leurs parties rédactionnelles et de leurs tribunes ou des débats à la radio et la télévision. Voilà qui n’est pas une explication exhaustive. Les médias reflètent en effet souvent les courants qui prévalent dans l’establishment politique et dans la société.

    On parle beaucoup « d’État profond » (« deep state »), qui a mis en échec les tentatives de semi-détente entreprises d’abord par le Président Obama, puis par le Président Trump. Ce pouvoir de l’ombre aurait même suscité l’affaire du « Russiagate » dans ce but. Cependant, Cohen n’est pas sûr de ce qu’il faut entendre par « deep state » occulte, puisque ceux qui mènent la guerre froide le font en pleine lumière et au plus haut niveau, qu’il s’agisse de Hillary Clinton et de ses acolytes grassement rémunérés, jusqu’aux chefs des services de renseignement d’Obama en passant par les rédacteurs et les producteurs des principaux organes de presse. « Deep state » pourrait simplement se traduire par « élite politique la plus puissante des États-Unis ».

    D’autre part, on a pu entendre au cours des ans répéter l’argument, repris aujourd’hui, selon lequel la persistance de la politique de la Guerre froide et la faiblesse de l’opposition à la Guerre froide s’explique avant tout par une tradition « nativiste » qui veut que la société américaine « a besoin d’un ennemi ». C’est aujourd’hui la Russie qui joue le plus souvent ce rôle. Pour avoir grandi au Kentucky et vécu en Indiana, en Floride et au New Jersey, Cohen ne trouve aucune justification à cette explication qui « rejette la faute sur le peuple ». La faute, il en est convaincu, en revient aux élites gouvernantes de l’Amérique.

    Ce qui suit mériterait une discussion beaucoup plus longue, mais Cohen se contente de mettre le doigt sur deux développements récents, dont Poutine a été accusé d’être l’auteur. Le premier est la fin des espoirs nourris par l’élite politico-médiatique étasunienne qui pensait que la Russie post-soviétique pourrait devenir – pendant la phase de « transition » des années 1990 – le partenaire docile de Washington dans les affaires mondiales. Lorsque ces espoirs et avec eux les politiques étasuniennes qui leur étaient liées ont abouti à un désastre à la fin des années 1990 et que la Russie a adopté une autre politique après 2000, les élites de Washington ne s’en sont pas pris à leurs propres illusions et à leurs politiques mal conçues, mais à Poutine. Et elles continuent d’agir ainsi. Plus récemment et de façon similaire, alors que « l’ordre » international créé par les États-Unis il y a plusieurs décennies part en miettes, de l’Europe au Moyen-Orient, avec des manifestations disparates telles que le Brexit ou l’élection de Trump, à nouveau les élites étasuniennes et leurs maîtres à penser, plutôt que de considérer les changements historiques profonds et de revoir leurs propres politiques antérieures, en rejettent la faute à la Russie de Poutine.

    Quelle que soit l’explication donnée, Cohen conclut que l’absence quasi-totale d’opposition à la Guerre froide dans la politique américaine actuelle constitue une grave menace à la démocratie et à la paix internationale.

    Stephen F. Cohen

    Traduit par Jean-Marc, relu par Cat pour le Saker francophone