• La sainte colère du sultan Téflon

    Pepe EscobarPepe Escobar

    Par Pepe Escobar – Le 17 juillet 2016 – Source : Sputnik News

    Lorsque l’avion du président turc et aspirant sultan Recep Tayyip Erdogan a atterri à l’aéroport Atatürk à Istanbul au petit matin samedi, il a déclaré que la tentative de coup d’État contre son gouvernement était un échec et un « cadeau de Dieu ».   

    Apparemment, Dieu utilise Face Time. Car c’est grâce à un appel vidéo emblématique au moyen d’un iPhone − à partir d’un lieu indéterminé retransmis en direct sur CNN par une présentatrice abasourdie − qu’Erdogan a pu dire à sa légion de partisans de descendre dans les rues, de montrer la force du pouvoir populaire et de défaire la faction armée qui avait occupé la télévision d’État et annoncé avoir pris les commandes.

    Les voies de Dieu sur mobile étant impénétrables, l’appel d’Erdogan a été entendu même par les jeunes Turcs qui ont protesté farouchement contre lui au parc Gezi, qui ont été réprimés par sa police à l’aide de gaz lacrymogène et de canons à eau et dont le parti au pouvoir (AKP ou Parti de la justice et du développement) les dégoûte. Tous étaient prêts à l’appuyer contre ce coup « d’État militaire fasciste ». Sans oublier que pratiquement toutes les mosquées du pays ont relayé l’appel d’Erdogan.

    La version officielle d’Ankara est que le coup d’État a été perpétré par une petite faction armée télécommandée par le leader religieux exilé en Pennsylvanie Fethullah Gülen, un atout dont dispose la CIA. Bien que sa responsabilité reste à démontrer, il est évident que le putsch constituait un épisode remixé des Trois Corniauds. En fait, les véritables corniauds pourraient bien être le commandant de la 2e armée, le général Adem Huduti (déjà détenu), le commandant de la 3e armée Erdal Ozturk et l’ancien chef d’état-major de la Force aérienne Akin Ozturk.

    Comme d’ex-agents de la CIA surexcités le débitaient sur les réseaux américains – et ils s’y connaissent en matière de changement de régime − la règle numéro un du coup d’État consiste à viser et à isoler la tête du serpent. Sauf que dans ce cas-là, le rusé serpent turc restait introuvable. Qui plus est, aucun grand général n’est venu expliquer de façon patriotiquement convaincante sur le réseau d’État TRT les raisons du coup d’État.

    Il y a de l’amour (pour Erdogan) dans l’air

    Les putschistes ont visé les services secrets – localisés principalement à l’aéroport d’Istanbul, au palais présidentiel à Ankara et à proximité des ministères. Ils ont utilisé des hélicoptères Cobra – dont les pilotes ont été formés aux USA – pour frapper leurs cibles. Ils ont aussi visé le haut commandement de l’armée – nommé depuis huit ans par Erdogan et dont se méfient bon nombre de militaires de niveau intermédiaire.

    Lorsqu’ils ont occupé les ponts sur le Bosphore à Istanbul, ils semblaient être en contact avec la police militaire dont les membres, répartis dans toute la Turquie, sont reconnus pour leur esprit de corps. Mais au bout du compte, ils n’étaient pas assez nombreux et mal préparés. Tous les principaux ministères, ainsi que les services secrets, semblaient communiquer entre eux pendant le déroulement de l’action. Quant à la police turque dans son ensemble, elle est devenue aujourd’hui une sorte de garde prétorienne de l’AKP.

    Pendant ce temps, le Gulfstream 4 d’Erdogan, vol numéro TK8456, a décollé de l’aéroport de Bodrum à 1h43, puis a volé au-dessus du nord-ouest de la Turquie avec ses transpondeurs en fonction, sans être inquiété. C’est de l’avion présidentiel, avant le décollage, qu’Erdogan a lancé son message sur Face Time. Il a ensuite préparé sa réplique au coup d’État une fois l’avion dans les airs. L’avion n’a jamais quitté l’espace aérien turc – il était bien visible des radars civils et militaires. Les F16 des putschistes auraient pu facilement le suivre ou le réduire en cendres. Ils ont choisi plutôt d’envoyer des hélicoptères militaires bombarder la demeure présidentielle à Bodrum bien après qu’il eut quitté les lieux.

    La tête du serpent devait être absolument certaine que monter à bord de son avion et rester dans l’espace aérien turc était aussi sûr que manger un baklava. Plus étonnant encore, le Gulfstream a pu atterrir à Istanbul en toute sécurité au petit matin samedi, malgré l’idée répandue voulant que l’aéroport fût occupé par les rebelles.

    À Ankara, les rebelles ont eu recours à une division mécanisée et à deux commandos. Autour d’Istanbul, il y avait une armée au complet. Le 3e commandement est intégré aux forces de réaction rapide de l’OTAN. Il a fourni les chars Leopard placés aux points névralgiques d’Istanbul qui, soit dit en passant, n’ont pas ouvert le feu.

    Pourtant, les deux principales forces armées placées en bordure de la frontière avec la Syrie et l’Iran sont restées en mode d’attente. Puis à 2 heures, la 7e armée basée à Diyarbakir – chargée de combattre la guérilla du PKK – a exprimé sa loyauté envers Erdogan. C’est à cette heure précise et cruciale que le premier ministre Binali Yildırım a annoncé l’imposition d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus d’Ankara.

    Ce qui signifiait qu’Erdogan contrôlait le ciel. La partie était alors terminée. Les voies de l’Histoire étant impénétrables, la zone d’exclusion aérienne au‑dessus d’Alep ou de la frontière syro-turque dont Erdogan rêvait tant a fini par se matérialiser au‑dessus de sa propre capitale.

    Réunissons les suspects habituels

    La position des USA a été extrêmement ambiguë dès le départ. Au moment du putsch, l’ambassade américaine en Turquie a parlé d’un « soulèvement turc ». Le secrétaire d’État John Kerry, qui était à Moscou pour parler de la Syrie, a aussi sécurisé ses paris. L’OTAN était totalement muette. Ce n’est qu’une fois qu’il était bien évident que le putsch avait foiré que le président Obama et ses alliés de l’OTAN ont officiellement déclaré leur « soutien au gouvernement démocratiquement élu. »

    Le sultan est revenu en force dans l’arène. Il est aussitôt apparu en direct sur CNN Turk pour demander à Washington de lui livrer Gülen, sans même posséder la moindre preuve qu’il ait fomenté le putsch. Il a ensuite fait peser cette menace : « Si vous désirez conserver votre accès à la base aérienne d’Incirlik, vous devrez me le livrer. » Il est difficile de ne pas faire le parallèle avec l’histoire récente, lorsque le régime Cheney en 2001 a demandé aux Talibans de livrer Oussama ben Laden aux USA sans avoir de preuve qu’il était responsable des attentats du 11 septembre.

    Même si elle a de quoi étonner, l’hypothèse numéro un est la suivante : les services secrets d’Erdogan savaient qu’un coup d’État se préparait et le rusé sultan a laissé aller les choses, en sachant que le putsch serait un échec, car les conspirateurs avaient très peu d’appui. Il se peut aussi qu’il ait su – à l’avance – que même le Parti démocratique des peuples (HDP) pro-Kurde, dont il tente d’évincer les députés du Parlement, appuierait le gouvernement au nom de la démocratie.

    Deux autres faits ajoutent de la crédibilité à cette hypothèse. Plus tôt la semaine dernière, Erdogan a signé un projet de loi conférant l’immunité de poursuites aux soldats qui participent à des opérations de sécurité intérieure (lire anti-PKK), signe d’une amélioration des relations entre le gouvernement de l’AKP et l’armée. La principale entité judiciaire de la Turquie (HSYK ) a aussi évincé pas moins de 2 745 juges à l’issue d’une réunion extraordinaire tenue à la suite de la tentative de putsch. Cela ne peut que signifier que la liste avait été établie à l’avance.

    La conséquence géopolitique immédiate de l’après-tentative de coup d’État, est qu’Erdogan semble avoir miraculeusement reconquis sa « profondeur stratégique », pour reprendre les mots de l’ancien premier ministre Davutoglu, qui a été mis de côté. Cette reconquête est à la fois externe – après l’échec lamentable de ses politiques au Moyen-Orient et envers les Kurdes – et interne. À toutes fins pratiques, Erdogan contrôle maintenant le pouvoir exécutif, législatif et judiciaire. Il ne fera pas non plus de quartier dans son épuration de l’armée. Mesdames et Messieurs, attendez-vous à ce que le sultan casse la baraque.

    Ce qui veut dire que le projet néo-ottoman tient toujours, mais qu’il est maintenant soumis à une réorientation tactique majeure. L’ennemi véritable, ce n’est pas la Russie et Israël (ni même Daesh, qui ne l’a jamais été en fait), mais bien les Kurdes syriens. Erdogan en veut aux Unités de protection du peuple (YPG), qu’il considère comme une simple extension du PKK. Son ordre du jour est d’empêcher par tous les moyens la création d’une entité étatique autonome au nord-est de la Syrie – un Kurdistan établi comme un second Israël avec le soutien des USA. Pour y parvenir, il doit établir une forme d’entente cordiale avec Damas, en affirmant avec force que la Syrie doit conserver son intégrité territoriale. Ce qui implique aussi, évidemment, une reprise du dialogue avec la Russie.

    À quoi joue la CIA au juste?

    Il va sans dire qu’un affrontement entre Ankara et Washington est maintenant inévitable. Si l’Empire du Chaos est dans le coup – il n’y a aucune preuve tangible en ce sens pour l’instant – c’est sûrement du côté des néoconservateurs, et de la CIA à l’intérieur du périmètre, qu’il faut se tourner, et non vers le canard boiteux qu’est devenue l’administration Obama. Pour l’instant, l’influence d’Erdogan ne se limite qu’à l’accès à Incirlik. Mais sa paranoïa gonfle comme un ballon de baudruche. Pour lui, Washington est doublement suspect, en raison de son soutien aux YPG.

    Il ne faut pas non plus sous-estimer le sultan dans sa sainte colère. Malgré toutes ses folies géopolitiques récentes, le rétablissement simultané de ses liens avec Israël et la Russie est on ne peut plus pragmatique. Erdogan sait qu’il a besoin de la Russie pour que la construction du gazoduc Turkish Stream et des centrales nucléaires se concrétise. Il a besoin aussi du gaz naturel israélien pour consolider le rôle de la Turquie comme carrefour énergétique clé entre l’Orient et l’Occident.

    En apprenant que l’Iran a accordé son soutien à la « défense courageuse de la démocratie » par la Turquie, comme l’a tweeté le ministre des Affaires étrangères Zarif (un élément crucial), il est clair qu’Erdogan, en quelques semaines seulement, a complètement reconfiguré l’ensemble du tableau régional. Tout converge vers l’intégration eurasiatique et un profond intérêt pour les nouvelles Routes de la soie, au détriment de l’OTAN. Pas étonnant que ce soit la panique à l’intérieur du périmètre à Washington, où Erdogan est considéré par la très grande majorité comme le proverbial allié imprévisible et peu fiable. Le rêve de se retrouver avec des colonels turcs sous les ordres directs de la CIA est maintenant brisé – pour l’avenir prévisible du moins.

    Puis qu’en est-il de l’Europe? Yildirim a déjà dit que la Turquie songe à rétablir la peine de mort, afin de l’imposer aux putschistes. Ce qui se traduit pour l’essentiel par bye bye UE. Bye bye aussi à l’approbation, par le Parlement européen, des déplacements sans obligation de visa pour les ressortissants turcs visitant l’Europe. Après tout, Erdogan a déjà obtenu ce qu’il voulait de la chancelière Merkel, c’est-à-dire ces six milliards d’euros pour contenir la crise des réfugiés qu’il a lui-même provoquée. Merkel a tout misé sur Erdogan. Aujourd’hui, elle rumine, pendant que le sultan a un accès direct à Dieu grâce à Face Time.

    Pepe Escobar est l’auteur de Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War (Nimble Books, 2007), Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge (Nimble Books, 2007), Obama does Globalistan (Nimble Books, 2009), Empire of Chaos (Nimble Books) et le petit dernier, 2030, traduit en français.

    Traduit par Daniel, relu par Catherine pour le Saker Francophone


  • Les gagnants et les perdants dans la tentative de coup d’État en Turquie


    BhadrakumarPar M.K.Bhadrakumar – Le 16 juillet 2016 – Source Asia Times

    La tentative sanglante de coup d’État en Turquie, menée par une section de l’armée a échoué et la nuit des longs couteaux est sur le point de commencer. La géopolitique du coup d’État rend inévitables les répercussions très loin au-delà de la Turquie.

     

    Le président turc Tayyip Erdogan (C) avec ses partisans à l'aéroport Ataturk à Istanbul, Turquie juillet 16, 2016. REUTERS / Huseyin AldemirLe président turc Tayyip Erdogan (au centre) avec ses partisans à l’aéroport Atatürk à Istanbul, Turquie – 16 juillet 2016. REUTERS / Huseyin Aldemir

    Le récit racontant que cela a été une rébellion de généraux et colonels mécontents contre un dirigeant autoritaire est beaucoup trop simpliste. La cible était sans aucun doute Erdogan, mais l’ordre du jour est plus compliqué que cela.

    Ces événements dramatiques auront un impact sur le rôle régional et international de la Turquie dans toutes ses dimensions.

    Une chose peut être dite avec certitude depuis le début : ce ne fut pas une tentative de coup d’État par des kémalistes qui cherchaient à poser un geste désespéré pour faire reculer la marée de l’islam politique et évincer le président Recep Erdogan du pouvoir. Les deux principaux dirigeants de l’opposition du principal parti kémaliste et du parti nationaliste ont exprimé une forte solidarité avec les forces démocratiques.

    Cela signifie,  à contrario, que le dirigeant turc est immensément populaire en ce moment et jouit de la sympathie d’un spectre de l’opinion turque plus large que le mandat de 51%, que le Parti de la justice et du développement au pouvoir lui a confié lors du scrutin parlementaire en 2014.

    L’écrasante majorité des Turcs ne veut pas que leur pays revive son histoire passée avec des Pachas qui subvertissent systématiquement la suprématie du pouvoir civil élu.

    Assurément, Erdogan sent qu’il est du bon côté de l’Histoire et on peut s’attendre à ce qu’il en profite dans les prochaines heures, jours et semaines. Ceci est une chose.

    Cependant, le plus inquiétant est que le gouvernement a pointé du doigt les partisans du chef islamiste turc Fethullah Gülen, installé aux USA, pour avoir monté le coup d’état avorté – Gülen, sans surprise, a rejeté l’allégation.

     
    Le commandant turc de la région maritime méditerranéenne de la Turquie, l'Amiral Nejat Atilla Demirhan (au centre) a été arrêté à MersinLe commandant turc de la région maritime méditerranéenne de la Turquie, l’Amiral Nejat Atilla Demirhan (au centre) a été arrêté à Mersin

    L’agence de presse Anadolu, gérée par l’État, a ostensiblement désigné un colonel, Muharrem Kose, qui a été expulsé de façon déshonorante de l’armée turque en mars 2016 pour ses liens présumés avec Gülen, comme leader de la tentative de coup d’État.

    Le ministre de la Justice a également déclaré à la télévision d’État que les partisans de Gülen ont organisé le coup d’État avorté.

    Il est certain à 100% que le gouvernement va lancer une purge massive contre les adeptes de Gülen dans les divers organismes du gouvernement, les forces armées et la justice.

    Erdogan avait déjà cherché à faire extrader Gülen des États-Unis, ce qui va maintenant devenir une demande pressante, avec laquelle Washington devra composer. Et là, il y a un os.

    Cet os c’est qu’il y a toujours eu un soupçon dans l’esprit des turcs que Gülen a travaillé pour les services de renseignement américains.

    Un mémoire de l’ancien chef du renseignement turc Osman Nuri Gundes − qui a servi sous Erdogan − publié en 2011, fait valoir que le mouvement islamique mondial de Gülen basé en Pennsylvanie a assuré la couverture de la CIA, en particulier dans les anciennes républiques soviétiques en Asie centrale.

    Fait intéressant, la Russie a par la suite interdit les écoles Hizmet de Gülen. L’Ouzbékistan a suivi la Russie.

    Bien que Gülen ait fui la Turquie en 1998 pour les États-Unis, il n’a obtenu un permis de séjour qu’en 2008 et les Turcs ont déclaré avec insistance que sa demande de carte verte avait été recommandée par deux hauts responsables de la CIA. Il faut noter que Gülen n’a jamais voyagé en dehors des États-Unis au cours des dix-huit dernières années, depuis qu’il a atterri sur le sol américain, bien que son réseau mène des opérations dans le monde entier.

    On peut tenir pour assuré que, dans le contexte du coup d’État avorté, le rôle de Gülen jettera une ombre sur les relations entre la Turquie et les États-Unis, qui ont déjà subi des revers en diverses occasions, au cours des dernières années, sous le règne d’Erdogan.

    La grande question est de savoir jusqu’à quel point la tentative de coup d’État aurait été motivée par la politique étrangère de Erdogan. Le fait qu’il pourrait y avoir une telle dimension est difficile à ignorer.

    Gülen a exprimé sa forte désapprobation de nombreux aspects controversés des politiques régionales d’Erdogan, comme le déclin dans les relations de la Turquie avec Israël et sa gestion du problème kurde ou l’intervention turque en Syrie.

    Curieusement, la tentative de coup d’État coïncide avec les tendances naissantes d’un changement dans la politique étrangère turque, en particulier, dans le sens d’un rapprochement avec la Russie et d’un éventuel démantèlement des politiques interventionnistes d’Ankara en Syrie.

    Le coup d’État, s’il avait réussi, aurait sabordé une éventuelle rencontre entre Erdogan et le président russe Vladimir Poutine dans les prochaines semaines, rencontre qui détient le potentiel d’être un moment déterminant dans le conflit syrien.

    Moscou fait remarquer que la normalisation avec la Turquie pourrait avoir des retombées positives sur la situation en Syrie. Ankara a également fait allusion à une volonté de rétablir les liens avec la Syrie. De manière significative, le ministre iranien des Affaires étrangères Mohammad Zarif a utilisé un langage exceptionnellement fort pour condamner la tentative de coup d’État en Turquie − avant même qu’il ait définitivement échoué.

    Toutes choses étant prises en considération, un éventuel changement de la Turquie est bien sûr anticipé à Moscou et à Téhéran comme un événement géopolitique aux conséquences capitales pour le réalignement de la politique au Moyen-Orient et de l’équilibre global des forces.

    Pendant ce temps, la Turquie, une grande puissance de l’OTAN, est un partenaire régional que l’Occident peut difficilement ignorer pour poursuivre une stratégie efficace au Moyen-Orient. Bien sûr, Erdogan n’a pas été un partenaire facile – mais de son côté, il reste aussi suspicieux des intentions occidentales.

    En théorie, la nouvelle proximité entre la Turquie et la Russie nécessitera aussi une remise à zéro de l’ensemble des calculs stratégiques occidentaux. En fait, une remise à zéro devient nécessaire en ce qui concerne une série de questions – allant du changement de régime en Syrie à la lutte contre le terrorisme, jusqu’à l’ordre du jour des gazoducs en compétition pour alimenter le marché européen.

    Le bilan final est que, s’il est prouvé – ou plutôt, une fois qu’il sera prouvé hors de tout doute − que les Gülenistes ont fomenté la tentative de coup d’État avorté, Erdogan ne peut qu’y voir la main cachée des services de renseignement occidentaux voulant l’évincer de la politique turque.

    De toute évidence, l’invocation par Erdogan du pouvoir du peuple pour faire avorter la tentative de coup d’État a pris la plupart des analystes américains par surprise. Aussi désagréable que cela puisse être pour la région et la communauté internationale − en particulier l’Union européenne et les États-Unis − elles n’auront désormais d’autre choix que d’apprendre à vivre avec un Erdogan remonté à bloc.

    La propension d’Erdogan à mener une politique étrangère indépendante ne sera que plus prononcée après cette expérience brûlante à laquelle il a échappé de justesse.

    En particulier, ces événements constituent un revers majeur pour les plans des États-Unis d’établir une présence permanente de l’OTAN dans la mer Noire pour contenir la Russie.

    MK Bhadrakumar a servi en tant que diplomate de carrière aux Affaires étrangères de l’Inde pendant plus de 29 ans, avec des postes d’ambassadeur en Ouzbékistan (1995-1998) et en Turquie (1998-2001). Il écrit dans le blog Indian Punchline et régulièrement pour Asia Times depuis 2001.

    Traduit et édité par jj, relu par Wayan pour le Saker Francophone


  • 19 Juillet 2016

    Publié par Le Mantois et Partout ailleurs

    Jean-Vincent Placé: dites-lui mon colonel

    L'info n'est pas apparue dans les médias libres et non faussés. Ou alors si peu. Mais l'un de mes lecteurs me dévoile la promotion de Jean-Vincent Placé, ex-patron des sénateurs Verts, devenu secrétaire d'Etat chargé de la réfome de l'Etat, sans doute pour supprimer du service rendu au public et pas des politiciens: colonel de réserve au sein du 13e régiment de dragons parachutistes qui fait partie des forces spéciales françaises.

    De ce fait, effectivement, Wikipédia signale que depuis juillet 2016, ce n'est pas vieux, Jean-Vincent Placé est bien colonel dans ce régiment "spécialisé dans le renseignement, comme le permet une procédure accessible à certains acteurs de la vie publique, dont les parlementaires."

    C'est vrai qu'il n'est pas encore général et c'est dommage pour un homme si talentueux et dévoué à la cause publique, surtout à la sienne. Mais ça ne saurait tarder, j'en suis sûr. Son pote, le très socialiste Le Drian est ministre de la Guerre et son autre pote, François Hollande, est Chef des Armées. Et c'est heureux que des parlementaires de talent, selon un procédure que je ne connaissais pas, puisse devenir officier de l'armée française. a l'heure où le pouvoir socialiste en appelle aux réservistes pour former les rangs des bataillons.

    Allez, la chanson du colonel... Pour rire, mais pas que.

    En effet, l'Ancien régime, que la Révolution française renversa, avait établi des droits et des privilèges pour les hors-sol de cette époque, au détriment du peuple. Le capitalisme agit pareillement. Et si nous changions de monde?


  • 19 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

    PARIS - 1er mai 1890

    PARIS - 1er mai 1890

    Face au mouvement social contre la loi Travail dite El Khomri, le gouvernement a brandi la menace de l’interdiction de manifester, et l’a même mise en œuvre. L’occasion d’un retour sur l’histoire pour tâcher de mieux comprendre dans quelle cadre juridique se sont déroulées les manifestations au cours des 19 et 20 ème siècles.
    C’est le
    décret-loi du 23 octobre 1935 qui fixe, pour la première fois, une réglementation d’ensemble sur l’action de manifester sur la voie publique. Avant cela, les textes sont rares et ne donnent pas de véritable statut juridique à la manifestation.

    « 26 août 1789″: la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, dans son article 10, affirme que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses,pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi >>.

    « 27 juillet 1791″: loi qui criminalise, sous les termes d’attroupement séditieux,« tout rassemblement de plus de quinze personnes s’opposant à l’exécution d’une loi, d’une contrainte ou d’un jugement ».

    « 3 septembre 1791: la constitution garantit aux citoyens « la liberté de s’assembler paisiblement et sans arme, en satisfaisant aux lois de police ».

    « 10 avril 1838  »: loi qui précise que « toutes personnes qui formeront des attroupements sur la place ou la voie publique seront tenues de se disperser à la première sommation des préfets, sous-préfets, maires, adjoints, magistrats et officiers civils chargés de police judiciaire ».

    « 7 juin 1848″: loi qui organise la répression des attroupements d’individus armés ou susceptibles de troubler la paix publique.

    « 1884 et 1907″: débats à la Chambre des députés qui posent la question du droit de manifester. En 1907, Clemenceau refuse le principe d’un droit de manifester mais appelle les organisations syndicales et politiques à mieux les encadrer et à les organiser en lien avec l’autorité publique : « Je ne suis pas bien sûr qu’il y ait un droit de manifestation ; mais je suis d’avis cependant qu’il peut et qu’il doit y avoir une tolérance de manifestation ».

    C’est dans ce contexte de relatif vide juridique que les manifestations se développent au 19 ème siècle.

    La manifestation apparait moins comme un droit que comme une pratique de fait soumise à tolérance de la part de l’administration. Elle s’inscrit pleinement dans le rapport de force travail/capital.

    Les pouvoirs publics la regardent avec méfiance, craignant toujours la dérive insurrectionnelle.

    Les heurts entre manifestants et forces de l’ordre sont en effet quasi-systématiques. Jusqu’à la manifestation « pacifique » du 17 octobre 1909, négociée avec les pouvoirs publics et encadrée par les « hommes de confiance », toutes les manifestations syndicales dans la capitale sont interdites.

    « 25 octobre 1935″: décret-loi, adopté dans le contexte des manifestations de rue des ligues d’extrême-droite, qui réglemente la manifestation (déclaration préalable notamment).

    Malgré le décret-loi de 1935, le droit de manifester reste très ambiguë. Du point de vue juridique, si la manifestation n’est pas condamnée, rien ne la consacre et ne la garantie pour autant. La « liberté de manifestation » reste précaire dans son principe et fortement encadrée quant à sa pratique.

    « 1946 et 1977  »: deux tentatives de constitutionnaliser le droit de manifester échouent.

    « 4 novembre 1950″: la Convention européenne des droits de l’Homme dispose dans son article 9 que « la liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi,constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

    « 8 juin 1970″: loi dite « anticasseurs ». L’article 314 de cette loi, souvent appliqué dans les années 1970, porte atteinte à la liberté de réunion et d’expression et au droit syndical.

    « 23 décembre 1981  »: loi n°81-1134 qui abroge la loi du 8 juin 1970 et ramène le système juridique français à son équilibre traditionnel.

    « 18 janvier 1995  »: le Conseil constitutionnel reconnaît, dans sa décision n°94-352 DC, que la liberté de manifester est une composante majeure de la liberté d’expression.

    Tout au long du 20 ème siècle, la manifestation s’est affirmée comme un des modes d’action principaux du mouvement ouvrier et s’est inscrit à part entière dans le fonctionnement démocratique. Si la pratique de la liberté de manifestation s’est située loin des textes, elle s’est inscrite pleinement dans le cadre de la liberté d’expression et dans celui de la lutte des classes.

    La décision du Conseil constitutionnel de 1995 a apporté toutefois une précision particulièrement importante, qui conforte le droit de manifester.


    Note réalisée à partir des travaux suivants :
    Hubert G. Hubrecht, « Le droit français de la manifestation », in Pierre Favre (sld), La manifestation, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, Paris, 1990, pp. 181-206.
    Danielle Tartakowsky, Les manifestations de rue en France , 1918-1968, Publications de la Sorbonne, Paris, 1997.

    SOURCES:


  • 19 Juillet 2016

    Publié par El Diablo

    photo d'illustration (source: lci.tf1.fr)

    photo d'illustration (source: lci.tf1.fr)

    Goodyear : la class action des Français

    aux États-Unis

    Employés de l'usine d'Amiens, 700 ex-salariés dont certains sont malades et d'autres déjà décédés, estiment que le géant des pneumatiques a utilisé, au mépris de leur santé, des produits chimiques classés comme cancérogènes. Ils ont choisi les État-Unis pour que l'industriel soit jugé dans son pays.

    Made to feel good (Conçu pour se sentir bien). Le slogan du troisième fabriquant de pneus dans le monde après Bridgestone et Michelin risque d'en prendre un coup. Quelques 700 salariés de l'usine d'Amiens-Nord se sont regroupés derrière une class action géante pour attaquer la maison mère de Goodyear aux États-Unis. La plainte vient d'être envoyée au siège, à Akron, dans l'Ohio.

    LIEN VERS L'ARTICLE CI-DESSOUS: