A droite comme à gauche, l'opposition prend ses marques
4 juillet 2017 Par Lucie Delaporte et christophe Gueugneau
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Le président du groupe LR, Christian Jacob, a profité mardi du discours de politique générale pour admonester ses anciens camarades qui ont rejoint Emmanuel Macron. À gauche, si le groupe PS s'est abstenu, la France insoumise s'est en revanche opposée d'un bloc au premier ministre. Le PCF a dû, lui, composer avec les ultramarins.
La droite – le groupe LR puis le groupe des « Constructifs » – a été la première à répondre au discours de politique générale d’Édouard Philippe. Fracturée par l’offensive de Macron, qui a placé à des postes clés – à commencer par Matignon – des personnalités politiques issues de ses rangs, la droite a utilisé la majeure partie de son temps de parole à régler ses comptes. L’intervention du président du groupe Les Républicains Christian Jacob a ainsi commencé par une charge ultraviolente contre un premier ministre traité en renégat. « J’espère – mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions – qu’il vous arrive, en vous regardant dans la glace, de songer à vos anciens collègues dont votre nomination a contribué à la défaite », a-t-il attaqué d’emblée en rappelant, perfide, à Édouard Philippe : « La veille de votre nomination, j’étais encore votre président de groupe. »
Soulignant la « blessure » qu’avait constituée pour sa famille son ralliement à Emmanuel Macron, le député de Seine-et-Marne a, avant même de répondre sur le fond au discours de politique générale, longuement insisté sur la manœuvre politicienne qu’a été à ses yeux le débauchage du maire du Havre par Macron. « Vous avez été nommé pour assurer une majorité parlementaire au président de la République, peut-être même – les mauvaises langues le disent – pour casser la droite française », a souligné Christian Jacob, avant de jeter un pavé dans la mare de la « droite constructive » – une quinzaine de députés LR ralliés à l’UDI. « Vous rêviez d'avoir votre groupe parlementaire charnière. Il n'existe pas. Vous n'avez guère qu'une petite partie d'un petit groupe, petit à tous points de vue », a pointé le chef d’une droite LR certes groggy après sa claque électorale mais qui représente, malgré le départ des Constructifs, une petite centaine de députés et donc, de loin, le plus important groupe d’opposition.
« Nous sommes là et bien là. Fiers de pouvoir incarner une opposition républicaine solide, libre et exigeante », a poursuivi Christian Jacob en détaillant ses principaux points d’opposition avec la feuille de route du gouvernement. Face à cet exécutif qui se présente comme et de gauche et de droite, il s’est fait le porte-parole d’une droite opposée « au matraquage fiscal », « au laxisme judiciaire », « aux dérives du communautarisme », à « l’asphyxie financière des collectivités locales ». Autant de raisons de ne pas voter la confiance au gouvernement. À une « France des métropoles déshumanisées », incarnée par Macron, il a opposé la « défense des territoires ruraux » et déroulé pour le reste un discours très droitier, sur l’immigration, la sécurité – qui n’était pas sans rappeler la campagne malheureuse de Nicolas Sarkozy en 2012.
Alors que la réforme du marché du travail par ordonnances était un des piliers du programme de François Fillon, Christian Jacob s’est également payé le luxe de critiquer cette mauvaise manière faite au Parlement. « Si le débat n’a pas lieu ici, il aura lieu dans la rue », a mis en garde le président du groupe LR, oubliant de rappeler que son candidat malheureux avait théorisé le recours aux ordonnances au cœur de l’été pour court-circuiter le mouvement social…
Pour contraster avec l’acerbe entrée en matière de Christian Jacob, le coprésident du groupe des « Constructifs », Stéphane Demilly, qui lui a succédé à la tribune, a quant à lui adressé ses « sincères félicitations » à Édouard Philippe, en déclarant qu’« une opposition devait être intelligente pour être profitable au pays ». Le député UDI de la Somme a ainsi taclé les opposants « systématiques », ceux qui – à gauche – s’étaient toujours opposés aux réformes des retraites, comme ceux qui « se sont opposés à la loi Veil sur l’avortement », a-t-il précisé, ressuscitant d’un seul coup le spectre de la guerre RPR-UDF. « Une bonne idée n’a pas d’odeur et doit tout simplement être mise en œuvre », a-t-il affirmé, assurant que son groupe serait « le laboratoire de la nouvelle politique ». Souscrivant pour l’essentiel aux grandes orientations présentées par Édouard Philippe, Stéphane Demilly a simplement insisté sur le refus de son groupe à toute augmentation de la CSG. Ce qui, pour un groupe qui a choisi de se placer dans l’opposition, ne fait quand même pas beaucoup de désaccords. Au bout du compte, 12 députés constructifs ont voté la confiance et 23 se sont abstenus, à l'image de Laure de La Raudière, pourtant proche de Bruno Le Maire.
Dans un parti divisé depuis des jours, le président du groupe du PS, Olivier Faure, marchait sur des œufs – le groupe avait d’ailleurs annulé à la dernière minute sa conférence de presse prévue le matin même. À la tribune, il a d’abord défendu le bilan Hollande et joué l’expérience. « Nous n’avons pas tout réussi, nous n’avons pas toujours été assez loin, nous nous sommes beaucoup divisés », a-t-il concédé, après avoir insisté sur le fait que « le progressisme n’appartient à personne, ni à vous ni à moi. La nouveauté n’est pas toujours le progrès ».
Olivier Faure a ensuite fait mine de s’en prendre au nouveau pouvoir, accusant le nouveau premier ministre : « Justifier vos coupes claires par notre bilan relèverait de la mystification. » Pour, immédiatement après, lui « dire [son] estime personnelle ». « La République en marche se veut ambidextre, elle s’est pour l’instant montrée ambiguë », a ensuite lancé le patron des députés PS. Mais lui-même fut tout aussi ambigu. Listant une série de réformes évoquées par le premier ministre ou son président, sur l’école, le travail, la santé, Olivier Faure a ponctué chacune par un « nous aussi », avant de conclure : « Nous partageons nombre de vos objectifs, mais nous ne mettons pas forcément les mêmes décisions derrière les mêmes mots. »
Pour autant, le groupe n’entend « pas condamner par principe, par réflexe, par sectarisme, nous jugerons sur pièce ». « C’est la raison pour laquelle le groupe Nouvelle Gauche a décidé de s’abstenir. » C'est la version “light” de la décision du conseil national du PS, fin juin, qui avait appelé à ne pas donner la confiance et à s'inscrire dans l'opposition. Résultat des courses, 23 des 31 députés du groupe se sont abstenus, 5 ont voté contre (Luc Carvounas, Régis Juanico, Boris Vallaud, Joël Aviragnet et Alain David), tandis que trois ont voté pour (Guillaume Garot, David Habib, Hélène Vainqueur-Christophe).
Intervenant après Olivier Faure, Jean-Luc Mélenchon faisait mardi son véritable baptême d’orateur à l’Assemblée. Les députés insoumis avaient ostensiblement placé un code du travail devant eux pendant le débat du jour. S’adressant à Édouard Philippe, Jean-Luc Mélenchon a d’abord souligné que son discours valait « mieux que 10 minutes de commentaires ». « J’avais prévu de convaincre, je ne peux me contenter que d’informer et de dénoncer », a ajouté le président du groupe insoumis.
Soulignant que son groupe serait le seul « dont aucun membre ne votera[it] le soutien », Mélenchon a présenté son mouvement comme « l’alternative au monde que vous représentez ». « Agir comme vous le faites c’est tirer un feu d’artifice dans une poudrière », a-t-il lancé au premier ministre. Le leader de La France insoumise a ensuite listé, comme la veille place de la République, les trois « coups de force » du nouveau pouvoir. Celui contre le droit du travail – « huit jours pour abolir 100 ans de luttes sociales » ; celui de l’état d’urgence – « nous vous le redisons, l’état d’urgence mis dans la loi ordinaire, c’est la victoire de l’ennemi » ; celui contre le parlementarisme, enfin, après les annonces de la veille du président de la République. Il s’est d’ailleurs fait applaudir tant par son camp que par les députés de droite quand il a dénoncé un « antiparlementarisme primaire ».
Fidèle au programme de l’Avenir en commun, Jean-Luc Mélenchon a ensuite dénoncé les positions écologiques du nouveau pouvoir. Et notamment après le vote de la France, en Europe, sur la définition des perturbateurs endocriniens. L’Insoumis en chef a enfin conclu en citant Mirabeau : « Les riens lui disent : nous ne sommes peut-être rien à vos yeux, mais demain, nous serons tout. » Comme prévu, son groupe a voté unanimement contre la confiance : 17 députés sur 17.
Dernier orateur d’un groupe à s’exprimer, Sébastien Jumel, communiste, s’est exprimé au nom du groupe de la Gauche démocrate et républicaine, qui réunit des communistes et des élus ultramarins. Tout comme son collègue insoumis, Jumel a dénoncé le poids pris par Macron dans ce début de quinquennat : « Monsieur le premier ministre, jamais dans notre histoire récente, les ailes de l’exécutif n’avaient fait autant d’ombre au pouvoir législatif », a-t-il déclaré, ajoutant : « Le président de la République dispose certes d’une majorité confortable, mais elle ne lui confère pas la légitimité suffisante pour appliquer son programme sans discussion. » Le député communiste a ensuite dressé la liste des critiques que son groupe porte à l’égard de la politique à venir. Concluant : « Vous voulez libérer les entreprises, nous, nous voulons libérer les hommes et le travail de l’emprise de la finance. » Les députés communistes étaient donc appelés à ne pas voter la confiance, mais les élus ultramarins du groupe avaient la liberté de vote. Ce qui s’est vérifié dans le détail : 12 députés communistes ont voté contre, et 4 députés d’outre-mer se sont abstenus.
Vu la majorité pléthorique d'Emmanuel Macron et Édouard Philippe, ces votes n'avaient de toute façon valeur que de symbole (la confiance a de fait été adoptée par 370 voix pour, 67 voix contre et 129 abstentions). Ils disent en revanche beaucoup sur l'état des partis en présence.