RETRAITE - Le rapport Moreau sur la réforme des retraites vient d'être officiellement déposé ce vendredi. Mais son contenu avait largement fuité plusieurs jours auparavant, notamment sur LeFigaro.fr.

Bien entendu, le gouvernement n'a pas encore tranché au sujet des pistes qu'il souhaite privilégier, quels leviers il compte actionner. Jean-Marc Ayrault a seulement promis que les efforts à faire ne seront pas "écrasants". Mais il y a peu de risques de voir des millions de personnes défiler dans la rue parce que l'on touche à la "durée de cotisation", au "taux d'appel" ou aux "abattements forfaitaires". Grosso modo, tant que vous ne touchez pas au sacro-saint âge légal de départ en retraite, ramené de 65 à 60 ans par Mitterrand puis de 60 à 62 sous Sarkozy, l'essentiel est sauvé. Et pourtant...

En se penchant de plus près sur ces pistes, on se rend compte que toutes les "mesurettes" égrenées dans le rapport auront finalement plus d'impact sur votre future pension -surtout si vous êtes jeune- qu'un relèvement de l'âge de la retraite à 63, 64 voire 65 ans.

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Il ne s'agit pas ici de dénoncer ou de discuter du bien-fondé des futures mesures: il faut sauver notre système de retraite et, pour une fois, la gauche comme la droite est d'accord. Et Ayrault va simplement prolonger le travail entamé par Woerth en 2010, Fillon en 2003 et Balladur en 1993. Il s'agit juste de comprendre ce qui nous attend vraiment, derrière des termes barbares et des mécanismes complexes. Histoire d'anticiper et d'épargner en vue de notre future retraite.

Prenez votre forfait téléphonique, votre banque ou votre assurance: le mécanisme est tellement compliqué que vous renoncez à comprendre et à comparer, quitte à payer plus cher. Non? Rassurez-vous, c'est fait exprès. Eh bien, les retraites c'est pareil. A deux différences près: vous ne payez pas plus cher, vous touchez moins, et vous ne pouvez pas changer de crèmerie puisque le régime est obligatoire.

Le HuffPost va tenter de vous traduire en termes simples les conséquences de quelques-unes de ces mesures pour le moins opaques qui, rappelons-le, ne sont pas encore validées par le gouvernement et ne seront certainement pas toutes appliquées.

Retraites: les pistes chocs du rapport Moreau... par BFMTV

LE TAUX D'APPEL : L'équivalent de la "part des anges" dans le whiskywhisky

Dans le fût, quelle que soit l'étanchéité, une part du whisky, du cognac ou de l'armagnac s'évapore. C'est ce que l'on appelle poétiquement "la part des anges". La "sous-indexation des salaires" proposée par le rapport Moreau revient exactement au même.

Elle est d'ailleurs déjà en vigueur depuis 1952 pour les salariés à travers leurs retraites complémentaires: l'Arrco pour les salariés, l'Agirc pour les cadres. Mais elle prend le doux nom de "taux d'appel", ou "pourcentage d'appel". Le Conseil d'orientation des retraites (COR) reconnaît lui-même que ce mécanisme est "peu connu des cotisants" (page 3, note de bas de page n°3).

Reste que, depuis 1995, ce taux d'appel est de 125%. Autrement dit, pour 125 euros de cotisation retraite prélevés sur votre feuille de salaire (lignes Arrco et Agirc de votre feuille de salaire pour les salariés et/ou cadres), seuls 100 euros sont pris en compte dans le calcul des points de retraite qui, des années plus tard, seront à nouveau convertis en euros pour déterminer votre pension. Ou sont passés les 25 euros de différence? Mystère... Un peu comme lorsque vous échangez des euros contre des dollars et que la banque prélève sa commission.

En invitant ce loup dans la bergerie, il y a fort à parier que le gouvernement crée ainsi un nouveau levier qu'il pourra actionner régulièrement, réévaluant ce taux d'appel ou dévaluant cette "sous-indexation" de manière totalement indolore pour le cotisant. Du moins dans l'immédiat. La mauvaise surprise, ce sera au moment de prendre sa retraite. Malin.

3 à 10 ANS POUR LES FONCTIONNAIRES : Le paquet-cadeau sans le cadeaucadeau

 

Pour les salariés, le système n'a pas bougé depuis 1993: une partie de la formule de calcul pour déterminer la pension de retraite dépend de la moyenne des salaires des 25 meilleures années. Mais contrairement à ce que l'on pense, ces salaires sont plafonnés par la Sécu (3086 euros par mois en 2013). Au-dessus de cette somme, contrairement à ce que les salariés pensent, ils ne toucheront pas un centime de plus une fois à la retraite qu'ils gagnent 3500 ou 8000 euros. Pour la retraite de base en tout cas (pour les complémentaires Arrco et Agirc, cela fera une différence).

Pour les fonctionnaires, le système est différent. Ce sont uniquement les 6 derniers mois de salaires qui sont pris en compte dans le calcul de la pension de retraite. Si le gouvernement adopte la préconisation de rapport Moreau, ce délai sera allongé, entre 3 et 10 ans.

Se pose le problème des primes, souvent utilisées pour compenser la faible réévaluation des grilles salariales chez les fonctionnaires. On promet déjà qu'elles seront mieux prises en compte tout au long de la carrière afin de compenser. Sauf que... il est très fréquent de voir un fonctionnaire obtenir une copieuse hausse de sa rémunération les 6 mois précédant son départ en retraite, dans le seul but de réévaluer de manière conséquente sa pension et de compenser le fait que les primes ne soient pas intégrées au calcul de la pension. Un joli cadeau de départ en retraite communément admis, qui ne coûte pas trop cher au ministère en rémunération sur le moment (cela ne dure que 6 mois), mais qui plombe un peu plus les comptes de la Sécu puisqu'il faudra verser cette pension boostée jusqu'au décès, voire au-delà en cas de réversion sur le conjoint.

Sans le dire, le rapport mettrait donc fin à ce système et à ses abus. Difficile d'aller manifester dans la rue pour le défendre...

DURÉE DE COTISATION : Le Canada Dry du relèvement de l'âge légalcanada dry

 

François Hollande, le candidat qui a remis la retraite à 60 ans pour ceux qui ont commencé à travailler jeune ne touchera jamais à l'âge légal de la retraite. Ce serait la pire des trahisons au regard de ses promesses de campagne. Heureusement, il existe un outil bien pratique... qui revient exactement au même. A savoir la fameuse "durée de cotisation", avec ses annuités, trimestres validés, trimestres cotisés et autres joyeusetés sémantiques.

Pour faire simple, cette durée correspond au nombre d'années que l'on doit travailler afin de toucher une retraite "à taux plein", c'est-à-dire sans pénalité. Elle est de 41 ans aujourd'hui et sera de 41,5 ans en 2020. Le rapport envisage de l'augmenter encore, à 43 ans pour la génération née en 1962, puis à 44 ans pour les personnes nées après 1966. Ce mécanisme était d'ailleurs déjà prévu dans la loi Fillon de 2003, afin de faire évoluer cette durée avec l'espérance de vie de la population et garder ainsi la même proportion de temps travaillé dans sa vie au fil des générations. Avant 1993, cette durée était de seulement 37,5 ans pour mémoire.

Vous aurez donc toujours le droit de partir à 62 ans. Mais votre pension subira de fortes pénalités si vous n'avez pas cotisé suffisamment longtemps. Combien en moins? Prenons l'exemple de quelqu'un qui commence à travailler à 24 ans. S'il prend sa retraite à 62 ans et qu'il n'a eu aucun trou dans sa carrière (sachant que les trimestres passés au chômage entrent tout de même dans le calcul, rassurez-vous), il aura travaillé 38 ans. Il a eu 2 enfants? Son total passe à 40 ans grâce au bonus encore en vigueur (en partant du principe qu'il est partagé entre les deux conjoints). Il lui manquera donc 4 ans. S'il part malgré tout à la retraite, sa pénalité sera d'environ 20% sur sa pension (environ 5% par an, le chiffre exact dépendant de plusieurs paramètres). De quoi faire réfléchir... Dans les faits, tout le monde travaillera jusqu'à avoir le taux plein ou presque.

D'ailleurs l'âge effectif de départ en retraite dans le privé est déjà de 61,3 ans aujourd'hui. Pourtant, l'âge légal passera à 61 ans seulement en 2014 et à 62 ans en 2018. C'est bien la preuve que c'est le porte-monnaie qui dicte le départ en retraite, et non l'âge légal.

A noter que ceux qui ont commencé à travailler jeune peuvent partir avant l'âge légal, à condition d'avoir travaillé 2 années de plus que nécessaire, soit 46 ans si la durée passe à 44 ans. Autrement dit, seuls ceux qui ont commencé à travailler à 14 ans pourront partir à 60 ans. Ceux qui ont commencé à 15 ou 16 ans devront attendre leurs 61 ou 62 ans. La promesse de Hollande n'aura pas duré longtemps... Et plus personne ne pourra, si la proposition est adoptée, partir avant 60 ans puisque... le travail est illégal en France avant 14 ans.

FISCALITÉ : les petits cours d'eau font les grandes rivièresreforme retraites

Suppression de l’abattement fiscal de 10% pour "frais professionnels" : Cet abattement fera moins mal qu'il n'en a l'air. En effet, il s'agit d'une déduction d'impôts et non d'une réduction d'impôts. La différence? La réduction s'applique directement sur le montant des impôts à payer, la déduction s'applique sur le montant déclaré. Autrement dit, pour les revenus situés dans la tranche à 20% par exemple, l'abattement de 10% permet d'économiser 10% de 20%, soit 2% d'impôts. En moyenne, par le jeu des tranches d'imposition, les impôts représentent 5,36% du salaire des Français (chiffre de 2010). La suppression de l'abattement coûterait donc autour de 0,5% à chaque retraité.

• Fiscalisation de la majoration de 10% des pensions pour les parents de trois enfants: L'Etat (et les régimes complémentaires) font un cadeau en donnant un bonus pour les familles de 3 enfants ou plus. Dans la lignée de ce qui a été décidé sur le quotient familial, l'idée serait de reprendre une partie de ce cadeau en prélevant des impôts sur ce bonus. Une mesure qui rapporterait un peu moins de 1 milliard à l'Etat. Pour les associations familiales, le raisonnement du "cadeau" ne tient pas: plus on a d'enfants, plus on aura d'actifs pour payer les pensions des retraités. A condition, bien entendu, qu'ils trouvent tous du travail...

COTISATIONS : Même pas mal. Vraiment?sparadrap

• Alignement du taux réduit de CSG des retraités les plus riches (6,6%) sur celui des actifs (7,5%) : Une fois encore, les "riches" pourraient être mis à contribution. Reste à définir ce qu'est un riche. Le risque, lorsque l'on taxe la future retraite des riches, c'est de les voir négocier de plus en plus de retraites chapeaux, de parachutes dorés, etc. afin de compenser la future baisse de revenus. Des suppléments que devra supporter l'entreprise. Mais surtout, ce type de mesure ne rapporte pas grand-chose: la retraite Sécu étant plafonnée à environ 1500 euros par mois, même Madame Bettencourt ne paiera que 0,9% de plus sur cette somme. Pas de quoi rétablir les comptes de la Sécu... Les vrais "riches" tirent leurs revenus à la retraite de leurs placements financiers, des appartements qu'ils louent, etc. qui sont déjà largement taxés. La mesure est donc très symbolique. Mais pourrait bien permettre une jurisprudence pour l'étendre dans un deuxième temps à l'ensemble des retraités.

• Augmenter la contribution financière déplafonnée des employeurs de 0,3 point, qui passerait de 1,6% à 1,9%: à première vue, le Medef va hurler mais les futurs retraités ne vont pas vraiment descendre dans la rue pour ça. C'est mal connaître la façon dont raisonne le contrôle de gestion d'une entreprise. Pour elle, une rémunération ne s'évalue pas au salaire net d'un collaborateur, ni même au salaire brut, mais au salaire global, dit "chargé" payé par l'entreprise. De nouvelles cotisations patronales auraient pour effet immédiat une hausse de la masse salariale de l'entreprise. Ce qui signifie, en clair, de plus âpres négociations lors des embauches et sur les augmentations. Seuls les salariés déjà en place et dont les augmentations sont indexées sur l'inflation (ce qui est devenu rare) ne verraient pas leur pouvoir d'achat rogné au fil des ans.

 

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