• Amérique du sud : l’affrontement des blocs


    Par Andrew Korybko – Le 26 juin 2017 – Source geopolitica.ru

    VenezuelaArgentineBrésil

    La dernière partie de la revue géopolitique sud-américaine consiste en un examen détaillé de ce que l’auteur a nommé « L’affrontement des blocs ». Il fait référence à la compétition encouragée par les USA entre l’Alliance Pacifique et le Mercosur pour prendre les rênes du continent. L’état contemporain de la bataille est très différent de ce qu’il fut au départ, les rivalités se sont exacerbées et les rôles de part et d’autre semblent être en cours d’inversion de manière intéressante. C’est ce que nous allons voir dans ce chapitre avec l’idée de fond d’étudier les dynamiques géopolitiques des relations Alliance Pacifique-Mercosur de 2012 à fin 2016. Cette étude va nous permettre d’éclairer et de mieux comprendre la stratégie générale américaine vis à vis de l’Amérique du sud ainsi que les opportunités possibles pour l’ordre mondial multipolaire émergent.

     

    La première partie du présent chapitre couvre les généralités structurelles de l’Alliance Pacifique, du Mercosur et de l’Amérique du Sud (tenant lieu de rappel  afin que le lecteur ait bien en tête l’image générale) après toutes les analyses spécifiques du chapitre précédent. Dans la suite, nous détaillerons les moments historiques les plus notables de l’« affrontement des blocs » en reliant leur importance vis à vis des objectifs généraux recherchés par les USA. Nous parlerons entre autres des dernières réactions décidées par la Chine, qui ont préservé la fenêtre multipolaire en Amérique du Sud et des conséquences de ces changements sur les plans originels des USA. Pour conclure, nous aborderons l’état des affaires courantes en Amérique du Sud ainsi que l’inversion surprise qui est en train de se produire dans la compétition qui se déroule à l’échelle du continent.

    Fiche d’information conceptuelle

    Le schéma global d’intégration régional a progressé de manière impressionnante en Amérique du Sud depuis la conceptualisation d’Unasur en 2004. Les trois étapes fondamentales qui ont rendu possible l’idée d’une consolidation continentale sont la défaite des gouvernements de droite pro-USA dans les années 1980, l’accord de commerce de 1985 entre l’Argentine et le Brésil et la création en 2000 de l’Initiative d’intégration de l’infrastructure de la région sud-américaine [Iniciativa para la Integración de la Infraestructura Regional Suramericana – IIRSA , NdT]. Ces changements ont compté, respectivement, en ce qu’ils ont libéré les pays sud-américains du niveau d’influence le plus fort de la part des USA auquel ils avaient été exposés, réduit les probabilités que la rivalité historique entre Argentine et Brésil ne déstabilise les trois pays qui les séparent (Bolivie, Paraguay et Uruguay) et mis le continent sur la voie d’une intégration transnationale et mutuellement bénéfique des infrastructures. Si chacune de ces trois évolutions n’avait pas eu lieu, l’Unasur n’aurait probablement jamais vu le jour et les perspectives d’intégration continentale se seraient montrées infiniment plus compliquées qu’elles ne le sont à ce jour.

    On peut voir l’établissement de deux blocs dominants sur le commerce sud-américain comme une étape institutionnelle vers la consolidation du continent. Le Mercosur fut le premier à voir le jour en 1991 suivi plus de 20 ans après par l’Alliance Pacifique en 2012. Ces deux organisations/institutions peuvent être considérées comme représentatives des intérêts géopolitiques atlantique et pacifique du continent. Au départ, le Mercosur ne comptait que l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay, mais il a été rejoint de manière controversée par le Venezuela en 2012, année où la Bolivie a présenté sa candidature, le groupe l’ayant refusée jusque 2015 (et à ce jour, la Bolivie n’est toujours pas membre à part entière). En résumé, l’ascension du Venezuela − étant survenue peu de temps après la suspension du Paraguay suite à son « coup d’État constitutionnel » de 2012 (nous y reviendrons plus loin dans le présent chapitre)− a présenté des problèmes. Asuncion allègue que cet événement rend irrégulière l’appartenance de Caracas au groupe, d’où la crise politique de la deuxième moitié de 2016 pour savoir si le Venezuela peut légalement prendre la présidence tournante du groupe. L’observateur avisé aura noté que 2012 est justement l’année de la mise en œuvre de l’Alliance Pacifique, comprenant le Mexique, la Colombie, le Pérou et le Chili.

    Les cartes

    Voici une carte illustrant simplement la couverture quasi totale du continent par les deux blocs, elle montre également que la Bolivie n’est pas encore membre du Mercosur et que le Venezuela en a récemment été suspendu (point qui sera discuté plus loin) :

    Comme nous l’avons conclu au chapitre précédent, la Bolivie constitue le cœur géostratégique incontestable de l’intégration sud-américaine ce qui explique que le Mercosur était bien content d’intégrer ce pays. Il faut comprendre le ressenti historique très important qui existe toujours en Bolivie après l’annexion par le Chili de ses territoires en bordure du Pacifique à la fin du XIXe siècle ; ces ressentiments font que Sucre [capitale constitutionnelle de la Bolivie, alors que La Paz héberge le gouvernement, NdT] n’accepterait jamais de rejoindre la même alliance de libre-échange que Santiago si elle pouvait prendre une autre option (c’est au demeurant ce qu’elle a fait en rejoignant Mercosur) et verrait des réactions de révolte et de changement de régime de la part de sa population si cela arrivait. Souvenons-nous qu’en 2003, alors que le gouvernement de Bolivie avait prévu de vendre son gaz naturel au monde en prenant le Chili comme intermédiaire, les bolivariens était tellement furieux qu’ils avaient lancé ce que les médias mainstream avaient appelé la « Guerre du gaz » qui avait elle-même fini par amener à l’élection révolutionnaire du président actuel Evo Morales fin 2005. Il est donc tout à fait sensé de penser que la Bolivie restera durablement plus loyale au Mercosur qu’à l’Alliance Pacifique même si la possibilité existe que le pays se positionne pragmatiquement comme « pont » entre les deux organisations.

    C’est d’ailleurs bien ce que la Bolivie essaye de dessiner avec le chemin de fer Transocéanique [Trans-Oceanic Railroad – TORR, NdT] qui reliera le pays enclavé à ses voisins brésilien du Mercosur côté Atlantique et péruvien de l’Alliance Pacifique à l’ouest. Gardons à l’esprit que TORR est un projet assez jeune, dont l’annonce ne remonte qu’à 2015 et dont les premiers plans ne traversaient pas du tout la Bolivie qui n’y a été intégrée qu’au deuxième semestre 2016. Il est donc trop tôt pour considérer TORR comme objet d’analyse dans l’extrapolation des objectifs stratégiques des USA dans l’« affrontement des blocs » jusqu’à cette date, mais a contrario TORR est entré dans le centre de toute analyse à l’échelle continentale menée depuis lors. Pour rafraîchir la mémoire du lecteur, nous avions expliqué dans le dernier chapitre que TORR relie ce qu’on décrivait jusqu’alors comme zone centrale de l’Amérique du Sud. Voici une copie de la carte publiée à l’époque pour illustrer le découpage du continent en trois zones géostratégiques :

    Il est notable que chaque état membre de l’Alliance Pacifique fait partie d’une zone géostratégique distincte, alors que la plupart des états membres du Mercosur est concentrée dans le sud du continent. De manière simpliste, on peut identifier trois paires de pays qui constituent autant de ponts entre les différences géographiques qui séparent les deux blocs :

    Analyse

    L’axe Pérou-Bolivie est actuellement le plus stable et prometteur des trois,  évidemment et notablement en raison de la grande et ancienne proximité culturelle de ces deux pays ainsi que de leurs rôles dans le projet TORR. Pour le binôme Colombie-Venezuela, il est peu probable qu’une quelconque intégration entre les deux se produise sauf si le gouvernement chaviste venait à être destitué par la guerre hybride soutenue par les USA − ce qui constitue une raison de plus pour laquelle cette guerre est un facteur crucial par les temps qui courent. Si Maduro ou l’un de ses potentiels successeurs peut préserver le pouvoir au sein du pays, les probabilités de voir la « Grande Colombie » s’établir dans un cadre géostratégique concret seront très diminuées ; et de la même manière, l’opposé serait vrai si le gouvernement chaviste venait à être renversé. Pour la troisième paire dans la zone sud, les relations commerciales entre l’Argentine et le Chili ont toujours été sous-optimales, comme en héritage de la rivalité et de la défiance qui existent entre les deux pays même si les réseaux de développement Capricorn (de l’IIRSA), Mercosur-Chili et l’intégration des Andes du Sud pourraient proposer une base solide pour améliorer les liens du gouvernement de droite de Buenos Aires avec son voisin de l’ouest.

    Un balayage superficiel laisse à penser que l’Alliance Pacifique détient toutes les cartes en Amérique du Sud. Les économies du Mercosur n’ont pas d’accès par la terre au Pacifique à moins de passer par les pays de l’Alliance Pacifique ce qui avec le recul pourrait avoir été un coup de génie géopolitique de la part des stratèges de cette dernière alliance. En considérant que l’Alliance Pacifique a originellement démarré comme bloc de commerce néo-libéral très affilié aux USA et que l’Opération Condor 2.0 au Brésil (voir plus loin) de Washington a si bien réussi au Mercosur, on comprend pourquoi les observateurs pourraient penser que le monde unipolaire reste très en avance du monde multipolaire dans les affaires d’Amérique du Sud. Mais la vérité est que l’influence de la Chine et de TORR a bouleversé ce qui aurait été le paradigme dominant et a créé une situation stratégique où les rôles se sont inversés entre le Mercosur et l’Alliance Pacifique.

    Pour pleinement saisir pourquoi et comment on en est arrivé à ce retournement, le lecteur doit d’abord se familiariser avec l’objectif initial que les USA avaient en tête quand ils ont encouragé l’« affrontement des blocs » ce qui nécessite un bref rappel historique de l’histoire récente de la compétition sur ce continent.

    L’agression américaine

    Ambitions stratégiques

    Comme mentionné dans l’introduction au présent chapitre, l’Amérique du Sud se dirige vers une intégration à l’échelle continentale et ce processus ne semble pas présenter un risque proche – ou même plus lointain – de retomber. Le résultat inévitable d’unifier une aussi grande zone territoriale que l’Amérique du Sud est que deux blocs de commerce, définis géographiquement, ont pris forme de manière naturelle : le Mercosur Atlantique et l’Alliance Pacifique. Le Mercosur a commencé à se présenter comme acteur géopolitique mondial après la montée du Brésil dans les BRICS au milieu des années 2000, en concurrence avec la Marée Rose (socialiste) qui montait également à travers le continent. Les révolutions électorales de gauche/socialistes ont été concentrées surtout dans les états du Mercosur et n’ont pas eu d’impact significatif sur la Colombie, le Pérou ou le Chili. Les USA savaient donc que le temps était venu de solidifier les pratiques commerciales néo-libérales de ces trois pays et d’institutionnaliser leur opposition économique systémique face au Mercosur axé à gauche. Cette pensée consistait à tenter de sauver ce qui restait d’influence des USA sur l’Amérique du Sud et d’établir une base suffisamment solide pour lancer leur contre-offensive continentale au travers de l’Opération Condor 2.0.

    Le premier chapitre du livre s’étendait plus en détail sur les desseins stratégiques généraux des USA en Amérique du Sud, mais pour les résumer brièvement, Washington viserait dans l’idéal à rétablir son influence hégémonique sur l’hémisphère ouest au travers d’un bloc allié qui pourrait grandement simplifier sa gestion en mode « tirer les ficelles ». Cependant, pour arriver à ce but, les USA doivent non seulement neutraliser mais aussi démanteler ou s’emparer du Mercosur et leur meilleure chance d’y parvenir est l’approche conjuguée de l’Alliance Pacifique néolibérale et de l’Opération Condor 2.0. Dans la vision de Washington, l’Alliance Pacifique pourrait servir de fondation au développement du continent et pourrait tenir lieu d’aimant auquel les membres du Mercosur pourraient venir se rattacher et ainsi, venir rejoindre la zone d’influence américaine. La restauration de gouvernements pro-américains − de droite et anti-socialistes dans les pays du Mercosur, une initiative concurrente − vise également à ramener les états membres dans le giron de l’Alliance Pacifique, faisant au passage toutes les concessions qui s’avéreraient nécessaires pour approfondir l’intégration continentale sous l’égide l’Unasur et l’IIRSA.

    L’objectif final que les USA voulaient originellement atteindre était que l’Amérique du Sud marche sur les traces de l’Union Européenne, puis entre dans un accord de commerce du style du TTIP [un autre acronyme du célèbre TAFTA – Transatlantic Free Trade Area, NdT] nommé FTAA (« Free Trade Area of the Americas ») que l’auteur nommerait aujourd’hui FTAA 2.0 puisque la première tentative a échoué. Mais l’élection de Donald Trump a complètement changé la donne : la nouvelle administration américaine est opposée aux larges accords commerciaux de ce genre et lui préfère les accords bilatéraux avec des pays importants sélectionnés. Dans ce cas précis, les USA se contenteraient de maintenir les accords de libre-échange déjà en vigueur avec les quatre membres de l’Alliance Pacifique (et même son bientôt cinquième membre, le Costa Rica) et ne les élargiraient pas dans un format multilatéral. Washington prendrait également des postures plus décisives pour sceller des accords similaires avec l’Argentine et le Brésil. Des négociations sont d’ailleurs en cours précisément avec le Brésil et remontent curieusement à l’époque de la présidence Dilma Rousseff. Ces deux buts sont atteignables, car il est peu probable qu’on voie l’Alliance Pacifique ou le Mercosur fusionner en une seule entité économico-politique de sitôt, quelle que soit l’influence que la première exerce sur le second.

    Étape par étape

    Paraguay

    Dans le déroulement de la stratégie de l’ère Obama de fragiliser le Mercosur de l’intérieur et de le rendre plus vulnérable à l'(ancienne) influence économique institutionnelle pro-américaine en provenance de l’Alliance Pacifique, les USA ont lancé le premier coup d’état réussi depuis la fin de la guerre froide. Le « coup d’État constitutionnel » de 2012 au Paraguay renversa rapidement le président de gauche démocratiquement élu et légitime au profit d’un réactionnaire de droite. La réponse du Mercosur fut naturellement de suspendre l’appartenance du Paraguay à ses rangs et d’utiliser le calendrier opportun pour accepter le Venezuela dans le groupe. Le Paraguay s’était précédemment opposé à l’admission du Venezuela mais comme Asunción était suspendu à ce moment-là, les autres membres « assouplirent quelque peu les règles » vers une zone de moralité grise et laissèrent Caracas adhérer. Même si on peut défendre ce choix comme « bien intentionné » le résultat en fut une bombe à retardement qui explosa à la mi 2016. Nous repasserons bientôt sur ces détails.

    Outre un résultat d’admission controversée du Venezuela au Mercosur après la suspension du Paraguay de cette même organisation, le « coup d’État constitutionnel », dans ce pays enclavé, eut également comme conséquence son rapprochement avec l’Alliance Pacifique. L’auteur a écrit à ce sujet de manière détaillée dans un article d’opinion à l’été 2014 publié sur RT et dont le titre était « Le Paraguay et la machination trans-Pacifique pour diviser l’Amérique du Sud ». Cet article disait, en substance,  que le gouvernement réactionnaire de droite nouvellement établi au Paraguay s’ouvrait à l’Alliance Pacifique dans un jeu d’enchères pour démontrer au Mercosur qu’il disposait d’autres choix. D’un point de vue général, ces événements ont démontré la vulnérabilité du bloc à une dissolution interne causée par les intérêts propres de l’un ou l’autre de ses membres et, en reconsidérant ces événements, ceux-ci présagèrent en quelque sorte l’attitude qu’auraient plus tard les gouvernements de droite en Argentine et au Brésil. La principale différence entre 2012 et 2016 reste que la première période ne vit qu’un seul membre « rebelle »/suspendu se tourner vers les fondamentaux de droite et s’employer à diviser le bloc, alors que les années suivantes montrent la plus grande partie dudit bloc osciller à ce rythme, repositionnant par conséquent le groupe dans une transformation fondamentale.

    L’Opération Condor 2.0

    Cette grande opération de changement de régime a été exhaustivement décrite dans les chapitres précédents, mais nous en reparlons ici une nouvelle fois pour rappeler au lecteur l’importance qu’elle a pu prendre dans la transformation géopolitique de l’Amérique du Sud. Le pré-conditionnement structurel que les USA avaient établi en vue d’influencer les élections argentines et le « coup d’État constitutionnel » auquel ils contribuèrent au Brésil ont été le moment décisif qui amena à l’émergence de deux états disposant de gouvernements pro-USA, de droite dans deux des pays les plus important géo-économiquement d’Amérique du Sud. Si seulement un seul de ces deux complots avait fonctionné, les USA auraient pu se résoudre à monter les gouvernements opposés de droite et de gauche de part et d’autre l’un contre l’autre, fissurant ainsi le Mercosur, mais à présent que les deux État sont du même « côté » idéologique, Washington peut avancer en réinventant complètement l’organisation dans son ensemble, et l’aligner sur les principes de commerce néolibéraux de l’Alliance Pacifique (que ce soit dans les faits ou dans la lettre).

    Le Venezuela, se retrouvant isolé comme seul gouvernement sincèrement de gauche membre du Mercosur (en laissant de côté la Bolivie, qui n’est pas encore membre à part entière) vit son appartenance suspendue afin de l’empêcher de nuire aux desseins décrits ci-avant. La Bolivie, quand elle finira par adhérer au Mercosur, se montrera probablement beaucoup plus souple au « nouvel ordre »  du Mercosur que le Venezuela, pour la simple et bonne raison qu’elle a besoin de cette alliance pour survivre. Le Brésil, géant du Mercosur, dépendra de la Bolivie à cause de son positionnement irremplaçable sur la voie du TORR, si bien qu’il est peu probable qu’il tentera de perturber le nouveau membre. L’Argentine, quant à elle, pourrait être plus réticente à accepter l’adhésion du gouvernement socialiste bolivien car elle n’est pas, contrairement au Brésil, partie prenante à la réussite du pays ; ceci pourrait provoquer un début de fracture dans l’organisation entre Brasília et Buenos Aires.

    Cependant, l’un dans l’autre, on peut prédire que la stratégie des USA sera de conserver le Mercosur uni, sous contrôle de la droite, pour transformer ce bloc en entité commerciale alignée avec l’Alliance Pacifique, s’appuyant sur une guerre hybride au Venezuela pour « isoler » la République bolivarienne, et brandir ensuite l’épée de Damoclès de la guerre hybride au dessus de la Bolivie pour garder le Brésil dans les rangs.

    Vaincre le Venezuela

    Le dernier acte en date de la stratégie des USA contre le Mercosur a été de mener une guerre hybride sans fin contre le Venezuela, puis de retourner ses anciens alliés contre lui dans l’objectif d’« isoler » la République bolivarienne et d’augmenter les pressions asymétriques sur son gouvernement. Il est notoire que le Venezuela a été victime de Révolution de Couleur et de techniques de guerre non conventionnelles depuis l’époque de Chavez, et même si l’intensité de ces événements a flué et reflué, ils n’en sont pas moins restés un facteur constant des relations USA-Venezuela. Les USA détestent le caractère iconique de la révolution du Venezuela dans l’hémisphère et son rôle de porte drapeau dans la Marée Rose de la décade précédente, mais plus important encore, Washington lorgne sur les réserves de pétrole de la ceinture de l’Orénoque, sous contrôle de Caracas, qui ne sont rien moins que les plus grandes réserves mondiales. En installant un gouvernement de droite à la tête du pays, les USA pourraient disposer d’un contrôle par procuration sur ses réserves, et faire usage de leur influence sur Caracas pour s’ingérer dans l’accès de la Chine à ces ressources. Pour arriver à ces fins, il faut cependant que la guerre hybride réussisse à vaincre le gouvernement révolutionnaire bolivarien.

    Il y a matière à mener une étude complète et séparée sur la guerre hybride menée par les USA contre le Venezuela, mais outre les tactiques directes de changement de régime mises en œuvre par les leviers que sont les Révolutions de Couleur et les guerres non conventionnelles, les USA mènent également un conflit intense dans les domaines économique, institutionnel, et autres envers ce pays. Il est pertinent de mentionner dans le cadre d’étude de l’Amérique du Sud et son dernier chapitre « L’Affrontement des blocs » que les nouveaux gouvernements de droite du Mercosur se sont ligués contre le Venezuela et ont exploité le vide légal grâce auquel ce pays était devenu membre de l’alliance au départ. La deuxième moitié de 2016 a été dominée par la controverse sur la présidence du groupe, qui a jeté la tourmente sur le bloc, dès lors que le Paraguay refusa que l’Uruguay ne cède la présidence tournante (à période de six mois) au Venezuela. Le Mercosur est globalement resté sans direction pendant cette période et le scandale atteignit son apogée en décembre, quand le groupe vota la suspension de l’adhésion du Venezuela pour avoir soi-disant violé la « démocratie ». Le vrai motif de cette décision était, quoi qu’il en soit, d’« isoler » le Venezuela et de le soustraire de l’appareil de décision du bloc et ce faisant, les gouvernements pro-USA de la région ne faisaient que jouer le jeu de leur bienfaiteur américain en réalisant la transformation institutionnelle du Mercosur.

    Les contre-mesures de la Chine

    Il apparaît bien peu probable que le Venezuela réintègre le Mercosur tant qu’il gardera son gouvernement actuel. La suspension du pays du Mercosur constituait une déstabilisation asymétrique, minutieusement élaborée, visant à faire monter le niveau de guerre économique contre le pays et à faciliter la tâche des médias mainstream dans leur guerre d’information dénonçant l’« isolement »  du Venezuela face à ses « alliés ». Aussi longtemps que des gouvernements de droite contrôleront le Mercosur, ou à tout le moins dans les deux centres de pouvoir que sont l’Argentine et le Brésil, il n’y a quasiment aucune chance de voir révoquée la suspension d’un Venezuela chaviste. Si des forces multipolaires revenaient au pouvoir à Brasília et à Buenos Aires, on pourrait envisager qu’elles fassent plier Asuncion et Montevideo en vue de lever la suspension, mais si seulement l’un des deux grands pays passait à gauche et s’opposait à l’autre, on pourrait voir un dangereux début de fracture dans le groupe. L’hypothèse la plus probable est que le Venezuela restera suspendu un temps indéfini, sauf à voir la guerre hybride le mettre à bas et Caracas devrait donc s’attendre à ce que la dernière décision du groupe à son égard soit un bannissement pur et simple, pour une période longue, vague et indéfinie.

    Xi Jinping 2014

    Alors que les USA s’employaient à planifier et à conduire l’Opération Condor 2.0 et leur tentative énorme de rétablir leur hégémonie sur toute l’Amérique du Sud, la Chine n’est pas restée les bras croisés, même si elle a agit de manière bien plus discrète et multipolaire. Les mouvements charnières de Pékin étant relativement récents, il y a peu à en dire pour l’instant mais on peut les énumérer et en fournir une brève analyse à ce stade. Comme dans d’autres régions du monde, la Chine s’est solidement positionnée comme partenaire commercial de premier plan pour la plupart des pays du continent et en est arrivée au résultat prévisible, qui est que le pouvoir multipolaire rebat les cartes de l’ordre géopolitique établi dans la région et réalise des percées allant à l’encontre des USA. Les détails des relations stratégiques, commerciales et financières entre la Chine et la mosaïque des états sud-américains devrait être regardés de plus près par le lecteur curieux, le but du présent article n’étant pas de relater chaque avancée sur ce front mais de faire part des tendances générales et des événements en instance. Ceci étant dit, il y a trois visites que des hauts représentants chinois ont faites qui méritent d’être mentionnées en connexion avec ces développements :

    Le dirigeant chinois a visité l’Argentine, le Brésil, Cuba et le Venezuela en 2014, mettant la lumière sur l’importance de chacun de ces pays pour Pékin pour diverses raisons. L’Argentine et le Brésil, par exemple, constituent des destinations d’investissements pour la capitale chinoise et leurs marchés respectifs constituent des cibles pour les surproductions chinoises, ce qui coïncide parfaitement avec les principes de la vision One Belt One Road. Cuba, de son côté, constitue un point stratégique sur la mer des Caraïbes à tout juste 150 km des côtes américaines et représente un symbole idéologique significatif comme dernier état communiste de l’hémisphère ouest, ainsi qu’un dirigeant très respecté dans la région ibéro-américaine. Le Venezuela répond à un besoin chinois très différent − qui a évidemment à voir avec ses réserves énergétiques. Considérées comme un tout, les visites du président Xi à chacun de ces quatre pays furent saluées comme un succès et majoritairement interprétées comme une déclaration officielle de la Chine de l’importance de l’hémisphère ouest dans les hauts desseins stratégiques de Pékin. On se doit de noter, également, que le dirigeant chinois n’a visité que des pays socialistes et aucun pays constituant l’Alliance Pacifique.

    Li Keqiang 2015

    Li Keqiang, Premier ministre chinois, a rendu visite à l’Amérique du Sud en mai 2015, soit un an après le président Xi ; il a rencontré le Brésil, le Chili, la Colombie et le Pérou. À l’inverse de la visite du président, l’Alliance Pacifique figurait cette fois en bonne place dans l’agenda de ce dignitaire même s’il n’en a pas fait mention directement lors de ce déplacement. Mais cela reste un événement important qui montre que la Chine, comme à son habitude, ne prend pas position dans l’« affrontement des blocs » et préfère garder ouvertes toutes ses options, de manière pragmatique, dans l’objectif de construire des coopérations gagnant-gagnant avec les états du Pacifique. Cela apparaît comme très logique dans la mesure où du point de vue chinois, ces régions sont beaucoup plus accessibles que les pays du Mercosur ouverts sur l’Atlantique ; et c’est pour remédier à ce dernier point et aux fins d’établir un vrai partenariat continental, que le premier ministre Li a annoncé pendant ce voyage que la Chine avait ce désir ambitieux de construire une voie de chemin de fer Trans-Océanique (TORR) rapprochant les côtes du continent et établissant un lien entre des états du Mercosur et de l’Alliance Pacifique. Le trajet de ce chemin de fer  n’impliquant au départ que le Brésil et le Pérou, a depuis été revu pour y intégrer le cœur continental que constitue la Bolivie.

    Xi Jinping 2016

    Le voyage le plus récent du président Xi en Amérique du Sud l’a amené au Chili, en Équateur et au Pérou en novembre 2016, dans l’enchaînement de sa présence au sommet de l’APEC [Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, NdT] à Lima. Ne s’arrêtant cette fois dans aucun pays atlantique du Mercosur, l’ensemble du voyage fut centré sur des états d’Amérique du Sud côté Pacifique, parmi lesquels deux membres de l’Alliance Pacifique. L’Équateur n’est pas membre de ce groupe, mais est un partenaire économique très proche de la Chine qui l’a utilisé par le passé comme plaque tournante pour ses exportations vers les marchés sud-américains ; l’Équateur constitue également pour la Chine un partenaire de premier plan dans le domaine énergétique. Le Pérou va bien entendu héberger l’un des terminus de la ligne TORR et le Chili constitue, comme toujours, un partenaire de choix pour tout pays au vu de sa stabilité économique et politique. Le président Xi annonça même lors de sa visite que le niveau de relations de son pays avec le Chili serait élevé au niveau impressionnant d’un partenariat stratégique étendu, établissant l’importance que la Chine accorde à ce pays du Pacifique. Il a déclaré en outre que la Chine s’emploierait à tisser une coopération plus étroite avec l’Alliance Pacifique et à travailler aux fins d’établir un accord de libre-échange total sur la zone APEC, recherché sur le long terme par Pékin qui en attend beaucoup, en remplacement du TPP exclusif que les USA ont échoué à établir.

    L’état du Jeu

    Les contre-mesures chinoises ont démontré leur efficacité face à l’agression des USA constituée d’un panel de guerres hybrides d’intensités variables contre les pays de la Marée Rose du Mercosur. La situation géopolitique de l’Amérique du Sud a considérablement évolué au cours de ces dernières années. L’opération Condor 2.0 a réussi à renverser les gouvernements argentin et brésilien et réciproquement, les influences chinoises ont retourné l’Alliance Pacifique de l’organisation centrée sur l’Amérique vers un bloc de commerce plus pragmatique et multipolaire. Alors qu’auparavant on voyait des inclinaisons vers la Chine de la part du Mercosur et que l’Alliance Pacifique penchait plutôt vers les USA, on constate que la situation s’est en quelque sorte inversée ; le Mercosur est en fort rapprochement avec les USA cependant que certains pays membres de l’Alliance Pacifique (en particulier le Pérou, suivi du Chili) se tournent vers la Chine.

    Le premier de ces changements peut être imputé en premier chef à l’Opération Condor 2.0 alors que le second a été fortement incité par l’abandon américain du TPP après son échec − alors que le Pérou et le Chili comptaient en faire partie. Après avoir mis leurs œufs dans le « mauvais panier » Lima et Santiago tachent maintenant de diversifier leurs partenariats afin de ne plus se retrouver dans cette situation inconfortable et la Chine est réputée − à l’opposé des USA − comme partenaire économique fiable et prédictible. La Chine ne pose également aucune condition politique préalable aux partenariats d’affaires et n’a jamais d’exigence  politique de la part de ses partenaires si bien qu’elle est positionnée comme acteur absolument pragmatique avec qui interagir, ce qui est sous-jacent au basculement en cours des loyautés des pays réalistes et soucieux de leurs intérêts propres de Washington vers Pékin.

    Le changement actuellement mené par la Chine qui aura le plus d’impact est pourtant bien la construction du TORR, qui reliera le Mercosur et l’Alliance Pacifique et facilitera leur intégration dans un futur proche. La présente étude n’a pas été sans insister sur l’idée que l’intégration continentale est déjà commencée et que les desseins originels des USA étaient d’utiliser l’Alliance Pacifique pro-américaine comme mandataire institutionnel pour « absorber » de fait un Mercosur post-Opération Condor 2.0 « désocialisé » dans le giron du bloc commercial néo-libéral. Cela devait amener à un accord semblable au TAFTA entre les USA et l’entité en construction qui aurait représenté un FTAA 2.0 ; mais faisant suite à l’élection de Trump et aux contre-mesures chinoises, ils ont dû modifier leur projet originel pour établir à sa place une série d’accords de commerce bilatéraux (qui sont déjà scellés avec tous les membres de l’Alliance Pacifique) en y intégrant en fin de compte également l’Argentine et le Brésil.

    Alors que les USA poursuivent leur stratégie, la Chine avance également ses pions, sauf qu’au lieu d’essayer de casser le Mercosur et de diviser l’Amérique du Sud pour mieux y régner au travers de mandataires institutionnels, Pékin évite les grandes manœuvres des jeux de pouvoir des USA et s’emploie simplement à développer des relations gagnant-gagnant au travers de TORR et des partenariats bilatéraux avantageux, comme celui qu’elle vient de conclure avec le Chili. Le chemin de développement emprunté par la Chine, si on le laissait suivre son cours sans interruption par les subterfuges américains, pourrait amener à un rapprochement apaisé entre l’Alliance Pacifique et le Mercosur, tracté par l’IIRSA et le TORR. En lieu et place d’un avenir unipolaire dessiné par les USA, l’Amérique du Sud pourrait bien échapper avec intelligence à ce destin funeste  avec l’aide de la Chine et se transformer en poste avancé multipolaire dans l’hémisphère ouest, s’appuyant sur des connexions économiques fondamentales avec Pékin ainsi qu’une coopération bilatérale ou multilatérale dans les domaines politique, militaire et stratégique.

    La présente analyse peut paraître optimiste mais il ne faut pas oublier que les USA conservent de puissants leviers d’influence en Argentine, au Brésil et en Colombie, dont nous avons précédemment dépeint les dirigeants dans le cadre des présents travaux. Tout analyste honnête doit admettre que les USA ne vont pas s’effacer dans le néant et laisser la Chine reprendre ses dernières conquêtes dans ce que le pays considère comme sa « chasse gardée ». Les réponses les plus probables des USA envers la Chine seront probablement plus de guerre hybride (surtout de type « conventionnel » pratiqué dans tout l’hémisphère est et à l’œuvre en Bolivie, en Équateur et au Venezuela) des accords de commerce bilatéraux en mode diviser pour mieux régner qui pourraient compromettre d’autres accords multilatéraux (comme ceux qui sont en préparation avec l’Argentine et le Brésil, dont nous avons parlé plus tôt) et un resserrement de leur étreinte sur les gouvernements de droite qui sont leurs mandataires.

    Mais même pétris d’interférences politiques américaines, les états d’Amérique du Sud ont des intérêts propres tellement évidents qu’ils doivent protéger et faire avancer, ce qui les incite naturellement à prendre part au jeu de la Chine, sauf si les USA les sabotent à coups de guerre hybride, leur proposent un « meilleur accord » au travers de liens commerciaux bilatéraux et autres « édulcorants » (comme des « aides » de dessous de table, etc.) ou leur « resserrent les vis » par la provocation de scénarios où ces « partenaires » déclarent la loi martiale ou se font renverser par des régimes militaires. Même ainsi, il ne faut pas s’attendre à ce que toutes les sinistres machinations des USA réussissent, mais en même temps, il serait naïf de croire que Washington ne va pas essayer de troubler le jeu de Pékin en Amérique du Sud, devenant même de plus en plus désespérée au fil du temps face à la Chine qui gagne en influence dans les affaires continentales. On ne peut pas prévoir toutes les actions qu’entreprendront les USA, important par là-même la nouvelle guerre froide depuis l’hémisphère et directement à leur porte dans l’hémisphère ouest.

    Andrew Korybko

    Le présent article s’intègre dans une suite de quatre, écrits mi 2017 par le même auteur, qui sont :

    Traduit par Vincent, relu par Cat pour le Saker Francophone


  • Ça n'empêche pas Nicolas

    Blog de Jean Lévy sur l'actualité politique au jour le jour.

     

     

                                                                 

     

    10 Mai 2018

     

    Travailler pour la liberté à Cuba, au Nicaragua et au Venezuela est une priorité pour le Gouvernement de Donald Trump, a déclaré mercredi le vice-président des Etats-Unis, Mike Pence lors de la cérémonie de prestation de serment du nouvel ambassadeur à l'Organisation des Etats Américains (OEA), Carlos Trujillo, qui s'est déroulée à la Maison Blanche.

     

    « L'hémisphère occidental est une priorité cruciale pour les Etats-Unis parce que la sécurité et la prospérité de notre région affectent directement la sécurité et la prospérité du peuple étasunien, » a dit Pence.

     

    Il a déclaré qu'à Cuba, « l'héritage de la tyrannie » des dirigeants de la révolution communiste de 1959 de Fidel et Raúl Castro est « toujours vivant » malgré la mort du premier et l'abandon du pouvoir du second : « Elle plane sur ce pays comme un nuage, obscurcissant l'avenir de tous ceux qui appellent cette île leur foyer, » a-t-il affirmé.

     

    A propos du Nicaragua, il adit que le Gouvernement de Daniel Ortega « a réprimé brutalement » le peuple qui s'est levé récemment « pour protester pacifiquement. » Ortega, un ex-guérillero de la Révolution sandiniste de 1979 qui préside le pays depuis 2007, affronte depuis le 18 avril des manifestations contre lui qui ont déjà fait plus de 40 morts.

     

    « Et au Venezuela, sous le mandat du dictateur Nicolás Maduro, une démocratie autrefois florissante s'est désintégrée en dictature. Et ce qui a été la nation la plus prospère de l'Amérique du Sud est devenu l'une des plus pauvres, » a déclaré Pence. « Nous resterons aux côtés de tous ceux qui aspirent à la liberté et nous affronterons leurs oppresseurs, » a souligné le vice-président qui, lundi prochain, fera un discours devant le conseil permanent de l'OEA pour réaffirmer l'engagement des Etats-Unis envers la région.

     

    Il a dit à Trujillo que sa responsabilité à l'OEA ,qui existe depuis 70 ans, sera de « forger des alliances très fortes en faveur des intérêts des Etats-Unis. » « J'espère travailler avec diligence dans ce but et ne jamais hésiter jusqu'à ce que le Venezuela, Cuba, le Nicaragua et l'hémisphère occidental soient libres » a dit Trujillo, un descendant de Cubains qui ont quitté l'île après la Révolution des Castro.

     

    Né à Long Island, mais élevé à Miami, Trujillo a soutenu Trump pendant la campagne électorale de 2016 et a assisté à l'investiture du président. Il a aussi fait partie de la délégation étasunienne au récent Sommet des Amériques à Lima et a travaillé à l'OEA ces dernières semaines.

     

    Traduction Françoise Lopez pour Bolivar Infos

     

    Source en espagnol :

    https://www.elespectador.com/noticias/el-mundo/liberar-cuba-nicaragua-y-venezuela-es-prioridad-para-estados-unidos-dice-pence-articulo-753575

    URL de cet article :

    http://bolivarinfos.over-blog.com/ 2018/05/venezuela-liberer-cuba-le-nicaragua-et-le-venezuela-est-une-priorite-pour-les-etats-unis.html

    Tag(s) : #Amérique latine Venezuela, #Cuba, #Etats-Unis

  • La guerre mondiale qui vient sera provoquée par les États-Unis

    10 Mai 2018 , Rédigé par Réveil Communiste Publié dans #Impérialisme, #États-Unis, #Chine, #GQ, #Théorie immédiate

    La guerre mondiale qui vient, qui la veut?

    Le danger de guerre actuel provient exclusivement des États-Unis qui ont obtenu leur hégémonie mondiale en gagnant les trois précédentes (on peut considérer la Guerre froide en comptant les conflits localisés qui l’ont accompagné (Viet Nam, Proche Orient) comme la troisième), et qui sont tentés de la conserver en s’engageant dans une quatrième.

    Aucune autre puissance n’est en mesure de menacer la paix. Le terrorisme, notamment, n’est qu’un instrument au service des États-Unis, soit un allié direct comme en Syrie, soit un adversaire idéal qui ne présente aucun danger réel, et qui joue son rôle dans la mise en condition militaire des peuples occidentaux, et leur acceptation, au rebours de leurs valeurs individualistes, d’un État policier et d’une société de contrôle total.

    Les États-Unis du capitalisme en déclin de l’année 2018 peuvent croire qu'ils ont objectivement intérêt à la guerre dans cette décennie. Leur équipement militaire hypertrophié et leur expérience du combat réel leur donnent la certitude trompeuse d'une victoire dans n’importe quel conflit armé classique, à condition qu’ils puissent construire le consentement de leur opinion à une telle démarche sanguinaire, mais cette avance est financée par la contribution du reste du monde à commencer par la Chine, qui comble les déficits abyssaux de l'économie américaine, et d’ici dix ou vingt ans elle aura disparu.

     Depuis la crise de 2008, ils sont entrés dans une phase agressive, s’attaquant à des nations petites ou moyennes, le plus souvent en utilisant des collaborateurs locaux, des séparatistes, des réactionnaires religieux, des intermédiaires en apparence non étatiques et des auxiliaires étrangers, et surtout une « société civile » ad hoc cultivée dans leurs universités  et recrutée dans un certain nombre de pays stratégiques.

    Mais ils ont aussi mené des guerres directes dont le but réel semble bien tout simplement de maintenir en état opérationnel leurs forces armées et de tester leurs armements. Ils sont d'ailleurs déjà lancés dans une cyber-guerre ouverte avec le reste du monde.

    Il faut bien comprendre que la déclaration officielle de guerre au terrorisme en septembre 2001 a une importance fondamentale dans l’histoire de l’Empire américain : il s’agit d’une revendication de souveraineté qui porte sur l’ensemble du territoire mondial, et qui met fin à la politique internationale telle qu’elle était basée sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'autrui, depuis les traités de Westphalie au moins (1648). Ils revendiquent le statut et rang de seul État souverain au monde.

    Mais les moyens indirects ont eu leur préférence depuis leur relatif échec en Irak et en Afghanistan.

    Ils ont réussi à prendre le contrôle du gouvernement de plusieurs États en instrumentalisant une opposition stipendiée de longue date, et en pratiquant avec l’aide des grands groupes de médias une déstabilisation intérieure de grande échelle. Comme l'a symboliquement établi la destruction de l'ambassade à Belgrade en 1999, l’ennemi principal des États-Unis est bien entendu la Chine, dont le surgissement prochain au premier rang économique mondial épouvante l’oligarchie occidentale. Les actions erratiques de l’Occident piloté par les États-Unis ont paradoxalement renforcé ce rival, en consolidant son alliance avec la Russie, et l’effondrement annoncé de la présidence Trump n’a fait qu’accélérer ce mouvement.

    Une guerre directe contre la Chine, sous la forme de pression externes et de blocus maritime et aérien de son territoire, dont le littoral est étroitement verrouillé par les bases américaines, est techniquement possible et même jouable, dans l'intention de gagner, mais au prix de provoquer une très forte crise économique internationale dont les effets seraient imprévisibles si la victoire n'était pas immédiate. Les militaires ne font rien d’imprévisible. Mais ils ont une certaine tendance à la surestimation de leurs capacités, qui en l’occurrence sont incontestablement très fortes, et la tentation de chercher des solutions technologiques à des problèmes stratégiques, notamment pour neutraliser les armes nucléaires.

    Cependant, les États-Unis eux-mêmes ne sont pas un sujet géopolitique pleinement souverain, et le pouvoir réel va se chercher dans un milieu international où leurs ressortissants sont les plus influents mais non exclusivement. Milieu composé des institutions financières et des banques, des cadres dirigeants des multinationales et des ONG qui recrutent dans les mêmes écoles, des médias internationaux, etc. Dans ces milieux, la perspective d’une guerre qui ne soit plus une guerre asymétrique à zéro mort dans son camp crée un malaise.  Ils conservent parfois la culture historique suffisante pour comprendre que la guerre ouverte comme solution des contradictions du capitalisme n’est pas la meilleure option, parce qu'elle peut déboucher sur la révolution comme la Grande Guerre de 1914 à débouché sur la Révolution d'Octobre. Ils soutiendront donc toutes les guerres néocoloniales ou contre-révolutionnaires, mais chercheront à éviter un conflit majeur avec les puissances émergentes capitalistes. D'autre part, en cas de guerre mondiale ouverte et déclarée, l'expérience historique montre que la puissance qui en a pris l'initiative perd la mise.

    Certains alliés secondaires (Grande Bretagne, France, Israël, Arabie saoudite) peuvent être tentés chacun leur tour de jeter de l'huile sur le feu pour acquérir un rang de « senior partner » dans l’alliance occidentale.

    Tout ce qui contribue à affaiblir la résistance à l'hégémonie des États-Unis rend la guerre plus probable, car elle crédibilise chez les pions qui nous gouvernent l'idée d'une guerre technologique victorieuse propre et rapide. L'effondrement de la Libye a rapproché le monde de la catastrophe. La résistance de la Syrie, mais aussi de la Corée, face aux ingérences impériales, éloigne la guerre mondiale.

    Contrairement aux apparences, un va-t-en guerre brouillon et impulsif à la tête des États-Unis dans le genre Donald Trump est moins dangereux qu'un politicien consensuel comme son adversaire malchanceuse Hillary Clinton, qui n'engagerait de guerre contre la pays visé qu'à la suite d'une longue préparation médiatique et d'une subversion interne à grande échelle, mais qui ne lâcherait pas sa proie facilement, pour ne pas perdre la face. Et cela, même s'il peut être à titre individuel réticent face aux aventures militaires, comme c'était le cas d'Obama.

    Cela dit s'il y a un pays où les contradictions du capitalisme s'aiguisent de manière décisive, ce sont bien les États-Unis. La guerre pourrait bien surgir à l'intérieur même de ce pays.

    L'anti-impérialisme et le mouvement international pour la paix sont donc redevenus les priorités existentielles pour l’avenir de l’humanité.

    GQ , 13 août 2017, relu le 13 avril 2018


  • Nouveaux sur notre site http://bolivarinfos.over-blog.com


    En page d’accueil:
    1)Venezuela: Elections et siège international, un article du CELAG du 8 mai 2018 traduit par Françoise Lopez. Un article très intéressant: un tour d’horizon de la situation du Venezuela face aux puissances impérialistes, de leurs méthodes et des coups fourrés auxquels on peut s’attendre (en espérant que ça n’arrive pas!) mais il faut bien connaître l’ennemi pour pouvoir le vaincre! Donc, à lire absolument pour préparer notre riposte. 
    2)Equateur : Lenín Moreno demande à tout son cabinet de démissionner, un article du Resumen Latinoamericano du 8 mai 2018 traduit par Françoise Lopez. Une affaire à suivre, sur quoi va déboucher ce remaniement total du Gouvernement? Avec ce mal nommé Lénin, nous ne sommes pas au bout de nos surprises…
    3)Venezuela : Nicolás Maduro convoquera un dialogue national en République Dominicaine après les élections, un article de RHC du 8 mai 2018.
    4)Colombie: Les pourparlers entre le Gouvernement et l'ELN reprennent cette semaine à La Havane, un article de RHC du 7 mai 2018.
    5)Brésil : Lula sera candidat à la présidence du Brésil,un article de RHC du 8 mai 2018.
    6)Cuba : Le secrétaire général de l'ONU en visite officielle à La Havane, un article de RHC du 7 mai 2018.
    Bonne lecture à tous,
    Françoise Lopez


  • Le monde peut prendre fin pour la plus stupide des raisons

    Orlov
    Par Dmitry Orlov – Le 4 mai 2018 – Source Club Orlov

    Nous, les humains, aimons croire que les choses arrivent pour une raison et nous détestons penser que quelque chose de très important, comme la fin du monde, pourrait arriver sans aucune raison. Et ce que nous devrions le plus détester, c’est l’idée que le monde pourrait prendre fin pour une raison vraiment stupide, tellement stupide qu’on a envie d’en pleurer. Et pourtant c’est exactement ce qui pourrait se passer. C’est une longue histoire, alors commençons.

     
    Il était une fois une tribu nomade appelée les Hébreux qui était très avancée pour son temps. Ils ont mis au point une première version de l’alphabet, la plupart du temps à partir de l’alphabet phénicien, et ils l’ont utilisé pour écrire toutes sortes de choses qu’ils avaient entendues, racontées par d’autres tribus ou venant de leur propre histoire. Les mythes, les chroniques, la poésie, les déclamations hallucinatoires, des bouts de législation et des diatribes politiques ont tous été rassemblés en un seul recueil trompeusement appelé “Le Livre”. En tant qu’œuvre littéraire, elle est assez inégale et généralement assez ennuyeuse, bien que certaines parties en valent vraiment la peine.

    Étant plutôt dominés par leur hubris, les Hébreux se sont proclamés “peuple élu de Dieu” et ont organisé un culte centré sur ce “Livre” comme texte sacré. À plusieurs reprises, ils ont réussi à organiser un morceau d’empire local, centré sur Jérusalem en Palestine, qu’ils ont appelé Israël, mais son indépendance politique s’est définitivement terminée vers 930 av. J.-C. Puis, au milieu du premier siècle, les Hébreux ont été forcés de se disperser et de revenir au nomadisme. Les Romains avaient détruit leur temple à Jérusalem qui était le point focal de leur culte suprématiste, et bien que des parties de celui-ci aient persisté, leur nation, elle, n’a pas survécu.

    À peu près à la même époque, un nouveau culte prenait forme au sein de l’Empire romain, centré sur le concept d’un dieu martyr appelé Jésus. Jésus affichait une étrange ressemblance avec diverses divinités antérieures, y compris, mais non exhaustif, au dieu égyptien Horus ; il n’était pas conçu de la manière habituelle ; il avait douze disciples ; il était mort et ressuscité, etc. De tels détails avaient circulé dans divers autres cultes pendant des milliers d’années, et ce nouveau culte, qui était essentiellement un mouvement politique et anarchiste, est devenu populaire parmi les esclaves et les affranchis de l’Empire romain, beaucoup d’entre eux l’ayant choisi. Mais pour lui donner une gravité supplémentaire, il lui fallait un livre sacré. Heureusement, les Hébreux ayant été expulsés de Palestine, leurs livres sacrés ont été mis en vente. Les chrétiens les ont donc saisis et revendiqués comme étant les leurs.

    Puis ils ont commencé à y faire des ajouts. Les premiers ajouts ont été les Actes des Apôtres, et plutôt des tentatives timides de littérature sacrée, mais ensuite ils sont devenus sérieux et ont embauché d’excellents écrivains fantômes pour écrire les quatre Évangiles, qui ont été, plutôt sournoisement, insérés dans le texte devant les Actes des Apôtres. Le schéma géométrique de ce Nouveau Testament évoque les cultes des dieux solaires précédents : douze apôtres / points du zodiaque ; quatre évangélistes / directions cardinales ; et, juste au centre, le seul dieu soleil / fils de dieu (en anglais, la différence ne tient qu’à une seule lettre sun / son).

    Et pour couronner le tout, ils ont fourré dans le livre de l’Apocalypse, une diatribe à moitié hallucinatoire, l’autre politique (ses euphémismes et périphrases sont maintenant indéchiffrables), clairement écrite par quelqu’un de complètement dérangé. Des criquets avec les têtes de lions qui sautent hors des fissures de la Terre ? Euh … Mais ce petit texte fou s’est avéré important parce que, entre autres choses, il a parlé de la seconde venue du Christ et de l’Apocalypse. Pour cette raison, il a occupé une place centrale dans l’eschatologie chrétienne, la théorie expliquant comment tout allait finir.

    Quelques siècles plus tard, sous l’empereur romain Constantin, le christianisme est devenu une religion d’État. Alors le siège de l’Empire se déplaça vers l’Est jusqu’à Constantinople (aujourd’hui Istanbul) tandis que l’Ouest se frayait un chemin à travers les âges sombres sous la direction d’une succession de papes cloîtrés dans ce qui restait de Rome. Et tandis que dans une Constantinople urbaine et éclairée, qui devait se développer allègrement pendant encore 1123 ans, les textes sacrés étaient traduits dans tous les langues vernaculaires de l’Empire d’Orient. En Occident, traversant des âges sombres, ces textes sont restés en latin, langue que le peuple ne comprenait plus, et que seuls les prêtres pouvaient lire. Les prêtres la chantaient sous forme d’incantation comme autant de saint charabia et devaient composer avec le temps qui passait, apportant des trésors peu orthodoxes comme l’inquisition, la mise au bûcher des hérétiques et la vente d’indulgences pour le pardon des péchés.

    Finalement, le peuple s’est rebellé et le résultat fût la Réforme, par laquelle les gens ont exigé de savoir ce qui était dans le Livre, afin qu’ils puissent décider par eux-mêmes. A cette époque, les concepts de caractères mobiles et l’imprimerie se frayaient un chemin depuis la Chine, via les Mongols jusqu’à l’Allemagne, où, dans les années 1450, Gutenberg imprima la première Bible allemande. La technologie de l’impression s’est rapidement répandue dans toute l’Europe, les traductions de la Bible ont commencé à apparaître dans d’autres langues locales, y compris l’anglais, et les gens ont commencé à essayer de donner un sens à ces textes.

    Mais alors une chose vraiment terrible s’est produite : ils ont découvert le Livre de l’Apocalypse et ont commencé à penser sérieusement à la fin des temps comme décrite dans l’Apocalypse. Cela, en soi, n’était pas nécessairement mauvais ; après tout, les premiers chrétiens, assis dans les catacombes romaines, ont aussi beaucoup réfléchi à la fin du monde et ont imaginé que la seconde venue du Christ pourrait être pour très bientôt, mais siècle après siècle, tous très ennuyeux, le Christ ne s’étant pas manifesté, l’effet s’est dissipé.

    Mais cette fois c’était différent. Les protestants ont pris la Bible comme la parole littérale de Dieu, jusque dans les moindres détails, et pas du tout comme un recueil hétérogène de mythes, de poèmes et de gribouillages bureaucratiques qui ne peuvent être interprétés que métaphoriquement avec une bonne compréhension du contexte social et culturel de l’époque de ces écrits. Puis ils ont commencé à en sortir ce qu’ils pensaient être la recette exacte pour déclencher la seconde venue de Christ.

    Le résultat a été une doctrine appelée dispensationalisme, qui sépare l’histoire humaine en «dispensations» (ou époques) distinctes basées principalement sur le Livre de la Genèse et le Livre de l’Apocalypse, avec divers autres morceaux extraits en fonction des besoins. Selon cette doctrine, afin de déclencher la seconde venue du Christ, les Hébreux doivent reconstituer le Royaume d’Israël et une grande guerre doit avoir lieu dans la partie Nord de celui-ci, au Liban et en Syrie. Une fois que ces conditions préalables seront remplies, il se passera quelque chose appelé Ravissement, dans lequel les bons, les vrais croyants seront arrachés vers le ciel, tandis que tous les autres seront laissés pour compte.

    Il y aura alors exactement sept années de Tribulation (pas six, pas huit) qui mettront à rude épreuve ceux restés là. Mais s’ils parviennent à passer à travers sans avoir la marque de la bête (Satan) sur leurs fronts ou leurs mains, alors à la fin de cette période, ils seront également emmenés au ciel. Le Christ apparaîtra dans les airs. Il y aura ensuite un millénaire (mille ans exactement) de paix, au cours duquel le Christ dirigera directement la terre depuis sa capitale, Jérusalem. À la fin de ce millénaire, Satan apparaîtra brièvement et se battra, mais il sera vaincu. Il y aura ensuite une résurrection générale des morts, et Christ sera assis pour le Jugement dernier.

    Avec cette recette en main, les sectes protestantes qui ont embrassé ce dogme dispensationniste se sont mises à accomplir la prophétie. Pour ce faire, ils devaient rassembler des Hébreux, reconstituer le Royaume d’Israël et déclencher une guerre gigantesque. C’était un grand défi, car auparavant les juifs européens (considérés comme les descendants des anciens Hébreux) étaient considérés comme des païens et expulsés, un pays après l’autre, y compris d’Angleterre. Mais maintenant qu’ils se sont avérés être un ingrédient clé dans la recette apocalyptique (cela s’est passé en Angleterre sous Cromwell), ils ont été autorisés à revenir et ont été traités gentiment.

    Il y a de sérieux problèmes avec la logique de ce dogme dispensationaliste. Premièrement, assimiler les juifs européens modernes aux anciens Hébreux bibliques équivaut un peu à dire que le souverain du Royaume-Uni est un navire de croisière à la retraite, amarré à Dubaï et utilisé comme hôtel, tous deux étant appelés “Queen Elizabeth II”. Deuxièmement, assimiler le Royaume d’Israël théorique à partir duquel Jésus-Christ gouvernera la Terre pendant mille ans avec l’état moderne d’Israël n’est guère politiquement astucieux : la Knesset pourrait ne pas approuver cet arrangement. Troisièmement, la Bible a manifestement tort en tant que chronologie stricte. Si, comme indiqué dans le Livre de la Genèse, Dieu façonna Eve à partir de la côte d’Adam, alors cette côte devait contenir divers éléments, tels que le carbone (Adam et Eve étant des formes de vie à base de carbone). Mais le carbone n’est créé que lorsqu’une étoile devient nova, et les étoiles mettent des millions d’années à le faire. Alors, comment ce coin de l’univers s’est-il créé en seulement sept jours?

    L’absurdité apocalyptique est passée de l’Angleterre à l’Amérique du Nord avec les puritains. Là, il a pris racine parmi les chrétiens fondamentalistes et évangéliques aux États-Unis et au Canada. En cours de route, plusieurs prédictions ont été faites quant au moment exact de ce ravissement. Les Milleristes ont eu tort de prédire qu’il aurait lieu en avril 1843 ; plus tard, la peur de l’an 2000 a fait croire que le ravissement était prévu pour le 1er janvier 2000. Beaucoup d’événements, du déclenchement des guerres au naufrage du Titanic, ont été interprétés comme signifiant que la fin des temps était proche. Grâce aux efforts de divers dispensationalistes hautement organisés, le dogme dispensationaliste s’est intégré dans la culture populaire américaine.

    Pourquoi est-ce important ? Considérez ce fait : les deux seuls groupes dont plus de la moitié des membres soutiennent systématiquement l’État d’Israël sont les Juifs et les protestants évangéliques, alors que seulement 35% des Américains expriment leur soutien à Israël et 37% à la Palestine. Étant donné la marge d’erreur, c’est léger (source : Gallup). Il est facile d’imaginer pourquoi les Juifs soutiennent Israël (après tout, c’est l’État juif) ; mais pourquoi les protestants évangéliques ? Voici la réponse : lorsqu’on leur a posé la question «Israël accomplit-il la prophétie biblique de la seconde venue ?», seules les majorités des Blancs évangéliques et des noirs ont répondu «oui» (63% de blancs et 51% de noirs) et alors que 76% des non-croyants ont dit “non” (Source: Pew Forum). Un sondage Harris a déterminé que sur les quelques 89 millions de personnes aux États-Unis qui soutiennent Israël, environ 32 millions le font en raison de croyances dispensationalistes, eschatologiques. Lorsqu’on leur a demandé quels événements dans le monde étaient des signes de la fin des temps, le conflit arabo-israélien était très présent (source : Tarrance Group).

    Ces données nous amènent à conclure qu’aux États-Unis, le dispensationalisme n’est en aucun cas un phénomène marginal, et que le littéralisme biblique est un facteur majeur du soutien politique dont bénéficie Israël. Bien qu’il soit plus concentré dans le Sud, il ne s’y limite nullement. Il ne se limite pas non plus à un seul parti : dans tout le pays, 40% des Républicains, 38% des Démocrates et 33% des Indépendants ont affirmé qu’Israël était le facilitateur de la Seconde Venue. Pour le Sud, les chiffres sont 53% des Républicains, 50% des Démocrates et 44% des Indépendants.

    Du point de vue de l’establishment de Washington, la prédominance du dispensationalisme n’est qu’une commodité. Après tout, le Congrès américain a été coopté par le lobby israélien, et le dispensationalisme fournit une couverture politique pour leurs actions au service d’une puissance étrangère, créant l’apparence qu’ils suivent les souhaits des Américains plutôt que de répondre aux exigences des Israéliens. Ainsi, d’un point de vue politique, les protestants évangéliques ne sont guère plus que des idiots utiles servant un agenda israélien.

    Il est plutôt dangereux de faire coopter son establishment politique par une puissance étrangère mineure située dans une région instable et fortement militarisée, pleine de conflits et de troubles chroniques. Ce danger est exacerbé par le fait que l’armée américaine a également été noyautée par la pensée dispensationaliste. En commençant par la guerre du Vietnam, contre laquelle de nombreuses confessions religieuses ont protesté, les évangéliques ont commencé à traiter l’armée comme un champ fertile pour leur travail missionnaire. À l’heure actuelle, plus des deux tiers des aumôniers militaires sont affiliés à des confessions évangéliques ou pentecôtistes. La perspective qu’ils mettent en avant devant les militaires et les officiers de tous les rangs est que leur devoir est de servir «le but de Dieu» plutôt que de simplement faire leur travail. Et qu’est-ce que “le but de Dieu” ? Bien sûr, c’est d’accomplir la prophétie biblique de la fin des temps !

    Ce qui rend cette situation, déjà dangereuse, encore plus dangereuse, c’est que la fenêtre d’opportunité pour déclencher la sorte de guerre du Moyen-Orient qui, selon eux, déclencherait l’Apocalypse, se referme rapidement. Le Pentagone a annoncé que les “grandes opérations de combat” en Irak sont enfin terminées. La Syrie a été presque perdue par les USA, avec ses quelques avant-postes dans le désert ne servant à rien maintenant que ISIS est presque nettoyé. Assad a consolidé son territoire, la Turquie détruit les rêves kurdes d’autonomie, et l’armée russe contrôle une grande partie de l’espace aérien. Israël ne pousse pas non plus de tout son poids au déclenchement de l’Armageddon. Sa dernière expérience avec l’invasion du Liban [2006, NdT ] ne s’est pas bien passée, et ses frappes aériennes sporadiques sur la Syrie vont prendre fin dès que la Russie mettra à jour les systèmes de défense aérienne de la Syrie avec sa dernière technologie [S-300, NdT].

    Alors que le désespoir s’installe, tout ce qu’il faudrait, c’est qu’un franc-tireur, que le Ravissement démange, mette en place une séquence d’événements qui pourrait théoriquement dégénérer en guerre totale. En pratique, toutes les grandes puissances, en voyant les États-Unis, comprennent très bien qu’elles regardent un patient mentalement atteint et ne sont pas susceptibles de répondre aux provocations par une escalade ouverte. Et une provocation est tout ce qu’un seul franc-tireur serait capable de produire : un missile perdu ou deux. Le scénario complet du Dr Folamour n’est tout simplement pas possible ; il y a trop de verrouillages et de sauvegardes en place pour qu’un seul opérateur puisse le déclencher. Il faudrait une conspiration plus grande mais plus la conspiration est grande, plus elle devient facile à découvrir. Ajoutez à cela le fait que déclencher toute espèce de confrontation militaire directe entre les grandes puissances est essentiellement un mouvement suicidaire pour toutes les parties impliquées, combiné avec le fait que pour les vrais croyants, le suicide est un interdit, et alors la probabilité de déclencher une guerre totale pour l’accomplissement de la prophétie biblique tombe à peu près à zéro.

    Enfin, en faisant un zoom arrière pour regarder la situation avec beaucoup de recul, la vraie religion opérant aux États-Unis n’est pas le christianisme mais le culte de Mammon. Plus précisément, le but de l’armée américaine a été de défendre le pétro-dollar, en frappant de façon vengeresse et dans une rage furieuse, tous ceux qui tentaient d’échapper à ce système. C’est lui qui permet aux États-Unis d’imposer continuellement une dette ridiculement énorme au reste du monde à des taux d’intérêt artificiellement bas. En l’absence de ce système, les États-Unis se révéleraient rapidement en faillite. Saddam Hussein a essayé de s’en échapper mais il a été pendu ; Mouammar Kadhafi est aussi mort d’une manière horrible. Mais maintenant, la Chine a lancé avec succès son pétro-yuan soutenu par l’or, et l’armée américaine ne sera pas en mesure de faire quoi que ce soit à ce sujet. L’époque où les États-Unis pouvaient régler leurs problèmes financiers par des moyens militaires a pris fin.

    Le culte américain de Mammon n’est pas considéré comme une religion, parce que le créneau est déjà pris par diverses autres croyances, alors que “Personne ne peut servir deux maîtres : car ou il haïra l’un, et aimera l’autre ; ou bien il tiendra à l’un, et méprisera l’autre. Vous ne pouvez pas servir Dieu et Mammon. “ [Matthieu 6:24] Mais les Américains évaluent à peu près tout en termes d’argent et en pratique, ils adorent les riches et les puissants parce que dans leurs esprits l’argent est la bonté, et malgré toute cette bonté, et sans vouloir trop insister là-dessus, ce sont assez largement des trous-du-cul. Le dollar tout-puissant est un élément clé du rituel et de la foi et constitue le ciment qui unit l’Amérique. Quand ce système fera enfin faillite, il suffira d’un crépuscule des dieux pour satisfaire même les plus apocalyptiques.

    Les cinq stades de l'effondrementDmitry Orlov

    Le livre de Dmitry Orlov est l’un des ouvrages fondateur de cette nouvelle « discipline » que l’on nomme aujourd’hui : « collapsologie » c’est à-dire l’étude de l’effondrement des sociétés ou des civilisations.

    Traduit par Hervé, relu par jj pour le Saker Francophone