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    3. Terrasse gazée par des CRS à Nantes: Le patron du bar porte plainte contre la préfète

    POLEMIQUE Le gérant du bar restaurant le YOU a déposé plainte contre la préfète de Loire-Atlantique, trois semaines après l'intervention musclée des CRS sur sa terrasse qui avait créé la polémique...

    Julie Urbach

    Publié le 10/05/18 à 16h24 — Mis à jour le 10/05/18 à 17h14

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    Des CRS tentent de maintenir l'ordre public pendant la manifestation de soutien à la ZAD, le 14 avril 2018 à Nantes.
    Des CRS tentent de maintenir l'ordre public pendant la manifestation de soutien à la ZAD, le 14 avril 2018 à Nantes. — D.Meyer/AFP

    Les vidéos de la scène avaient fait le tour des réseaux sociaux. Il y a trois semaines, en marge d’une manifestation houleuse en soutien à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, des CRS avaient été filmés à Nantes en train d’évacuer violemment la terrasse d’un restaurant. Sans raison apparente, ils avaient fait usage de bombes de gaz lacrymogène en bousculant clients, tables et chaises.

    Si la polémique avait été vive, l’affaire pourrait aller plus loin. Le gérant de l’établissement, assisté par un avocat, a en effet annoncé mercredi soir avoir déposé plainte contre la préfète de Loire-Atlantique. « J’insiste sur le fait que je ne porte pas plainte contre les hommes qui obéissaient aux ordres, mais contre ceux qui les donnent », explique Julien Lassourd, le patron du YOU, qui se lance dans cette démarche pour que « le peuple garde sa liberté ».

    Dégradations matérielles

    Selon lui, plusieurs adultes et enfants (dont certains en bas âge) étaient attablés à sa terrasse au moment de l’intervention musclée des forces de l’ordre. Il assure qu’aucune insulte -des « moqueries tout au plus »- n’a été adressée aux CRS. « Ces derniers, sans aucune sommation préalable, après un « dégagez de là » très sommaire, ont gazé, via une grenade lacrymogène, et chargé la terrasse du bar restaurant. », raconte-t-il.

    Le gérant dénonce aussi des dégradations matérielles ainsi qu’une perte de chiffre d’affaires, à la suite de cet incident. Il appelle «commerçants, clients ou simple passants qui ont subi des actes de violence » à porter plainte égaleme

                

  • L’effroyable posture


    Par Stratdiplo − Le 1er  mai 2018 − Source stratediplo

    Effroyable posture : le plus significatif serait que ce titre parodique n’éveille aucune résonance dans les cellules grises mémorielles à haute volatilité des cerveaux hexagonalement formatés.

    Jeudi 26 avril, dix-sept habitants de Douma (Syrie) sont venus faire leurs dépositions au siège de l’Organisation pour l’Interdiction des Armes Chimiques, à La Haye, puis ont été présentés en conférence de presse ouverte à toutes les questions. Ce groupe de témoins comprenait notamment les figurants involontaires du vidéogramme des faux Casques Blancs ayant servi de prétexte au bombardement de la Syrie par les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, ainsi que les médecins de l’hôpital de Douma où avait été tourné ce vidéogramme mensonger.

     

    Evidemment les représentants des trois pays ayant illégalement (aux yeux du droit international et de la Charte de l’ONU) bombardé la Syrie quelques heures avant le début de l’enquête de l’OIAC se sont obstensiblement retirés jeudi du siège de l’OIAC. Le représentant des Etats-Unis est cependant resté un peu plus longtemps dans le couloir pour intimer personnellement à tout représentant d’un pays libre de faire demi-tour et de ne pas entrer dans la salle, tentative d’intimidation improvisée et maladroite (les représentants de plusieurs dizaines de pays membres lui ont d’ailleurs désobéi) qui sera radicalement transcendée comme on le verra prochainement. Il avait auparavant fait le tour de ses alliés pour leur interdire d’assister à l’audience des dépositions, que le représentant de la France, l’ambassadeur aux Pays-Bas Philippe Lalliot, a qualifiée de révoltante.

    La presse dictée, qui avait consacré ses gros titres des 8 avril et suivants aux accusations d’attaque chimique et mis en première page ou diffusé en boucle les photos et le court-métrage montrant de prétendues victimes d’attaque chimique à l’hôpital de Douma, refuse de donner la parole voire simplement d’écouter ces prétendues victimes. Après avoir diffusé très largement et lourdement ces images auprès de son lectorat, sans le moindre contrôle d’authenticité ou même d’identité (des réalisateurs comme des prétendues victimes), cette presse interdit unanimement à son lectorat de connaître la vérité à ce sujet. D’abord elle n’est pas allée spontanément sur place à la source des prétendues informations (pourtant très graves et ayant servi de prétexte à une guerre) qu’elle a diffusées, puis elle a volontairement ignoré les invitations et appels des autorités locales, ainsi que des journalistes des pays libres (ou journalistes indépendants des pays sous contrôle) et des témoins eux-mêmes une fois que ces journalistes leur ont donné la possibilité de s’exprimer, et enfin elle refuse de diffuser les rectificatifs alors que les intéressés ont été identifiés, ont fait l’effort de demander un visa pour les Pays-Bas et sont authentifiés et présentés par une organisation internationale, à son siège, en Europe.

    On ne va pas étudier ici les multiples codes de déontologie et surtout les nombreux codes civils mais il est pratiquement certain que tous les moyens de presse écrite, radiophonique ou télévisée qui ont diffusé les images de personnes (sans leur autorisation) présentes à l’hôpital de Douma le 7 ou le 8 avril 2018 et refusent de diffuser leurs déclarations violent la loi de leur pays, tant en matière de presse qu’en matière de respect de la vie privée et de prohibition de la calomnie. Il y a des pays où l’efficacité et l’impartialité de la presse sont philosophiquement considérées comme des composantes indispensables du système démocratique, et il y a des pays où la liberté de la presse est conditionnée à sa sincérité, comme en France où une certaine liberté d’information sous stricte condition de véracité (article 27 de la loi du 29 juillet 1889) a été rétablie avant même le rétablissement par exemple des libertés d’enseignement puis d’association, en l’occurrence moins d’un siècle après la Révolution. Et il y a eu, et il semble qu’il y ait de nouveau, des pays où la presse publique ou privée n’est autorisée qu’à diffuser l’information dictée ou certifiée par une agence gouvernementale. Ce fut notoirement le cas sous les régimes marxistes, comme le national-socialisme et le bolchévisme. Sous certains régimes la dictée des agences de presse nationale va, au-delà de la désinformation politique, jusqu’à la diffamation personnelle.

    Il faut rappeler ici que la législation de la plupart des pays civilisés interdit d’une part d’utiliser l’image d’une personne privée sans son accord, et d’autre part de lui attribuer des propos ou des comportements sans lui permettre de répondre. Même en Syrie une personne dont un journal a diffusé une photographie avec une légende fallacieuse, par exemple en la présentant comme victime d’une attaque chimique, dispose d’un droit de réponse obligeant ledit journal à publier cette réponse sur le même média et de la même manière (en première page si la mention initiale était en première page) afin de donner aux déclarations de l’intéressé la même audience qu’aux déclarations sur l’intéressé.

    Mais certains médias vont même plus loin et calomnient carrément les dix-sept témoins de Douma. Jeudi 26 lors de la conférence de presse le ton a été donné dès la première question, posée en l’occurrence par une journaliste britannique leur demandant combien ils avaient été payés pour venir, affirmant ainsi explicitement qu’ils avaient été payés et les accusant implicitement de prévarication, mensonge et imposture, insinuation particulièrement indélicate envers des gens présentés deux semaines plus tôt comme des victimes d’un crime de guerre suffisamment grave pour motiver un crime contre l’humanité (le crime contre la paix). Ensuite les rares médias qui ont mentionné la venue de ces Syriens à La Haye ont mis en doute leur identité (copiant le communiqué mensonger de Reuters disant qu’ils n’étaient pas identifiés), pourtant vérifiée tant par le consulat néerlandais qui leur accordé le visa que par la police d’immigration à l’aéroport de La Haye et le service de sécurité du siège de l’OIAC, et en singulier contraste avec l’anonymat total de la vidéo et des photos que les mêmes médias avaient diffusées sans en chercher la moindre identification, authentification ou confirmation. Les rares médias ayant rapporté le point de presse ont mentionné que les représentants russe et syrien à l’OIAC avaient présenté des Syriens non identifiés comme de prétendus résidents de Douma, mais se sont bien gardés de diffuser la moindre image, en particulier du garçonnet Hassan Diab aisément reconnaissable puisqu’il avait été malgré lui le personnage principal du court-métrage de propagande des faux Casques Blancs très largement diffusé dans le monde entier, et se sont gardés également de mentionner les qualités et fonctions aisément vérifiables des médecins de l’hôpital. Variant comme d’habitude légèrement leurs phrases, les médias ont néanmoins textuellement repris dans toutes les langues les deux expressions communiquées par les trois agences de presse des pays agresseurs de la Syrie, à savoir “mascarade honteuse” et “mascarade obscène”.

    En l’occurrence il est évident que les trois agences qui dictent l’information au monde ne pouvaient être objectives puisque l’Agence France Presse est l’agence officielle française, que Reuters est l’agence britannique et American Press l’agence étatsunienne, relevant donc respectivement des trois pays de l’OTAN qui ont bombardé la Syrie le 14 avril quelques heures avant l’arrivée des enquêteurs de l’OIAC (qui à ce jour n’ont pas trouvé de traces d’une attaque chimique, comme le savaient les décideurs des bombardements), et dont les représentants ont tenté d’empêcher l’audition de ces témoins à l’OIAC le 26 avril. Mais le monopole de ces agences dépendantes de gouvernements fractores pacis qui viennent de se rendre coupables de la plus grave violation du droit international (le crime d’agression) leur permet d’imposer leurs mensonges flagrants bien au-delà de la sphère occidentale, jusqu’aux presses notamment japonaise, australienne et néozélandaise qui désinforment ainsi leur lectorat selon la dictée des trois agences de presse de l’OTAN.

    Pourtant la presse du monde autrefois libre sait à quoi s’en tenir au sujet des supports de propagande des faux Casques Blancs depuis au moins le 30 septembre 2015, lorsqu’ils sont devenus célèbres en présentant de fausses photographies de prétendues victimes de bombardements russes la veille de l’intervention russe en Syrie, et que l’adjoint Farhan Haq du porte-parole du secrétaire général de l’ONU a été obligé de corriger les déclarations faites à la presse par son chef Stéphane Dujarric de la Rivière quelques heures plus tôt, en disant que celui-ci s’était rendu compte ensuite qu’il avait été intoxiqué par plusieurs sources non confirmables dont les Casques Blancs, que Farhan Haq a d’ailleurs nommés White Helmets avant de vérifier s’il s’agissait bien de l’organisation humanitaire gouvernementale argentine reconnue par l’ONU, sous ce nom, dans une vingtaine de résolutions depuis la 49/139 de 1994.

    Certains médias ont accompagné leur mention succincte et injurieuse de la déposition ou de la conférence de presse des habitants de Douma d’un avertissement explicite disant “fake news”, cette expression anglaise à laquelle le président français entend faire dédier (par le parlement) une loi institutionnalisant un contrôle accru de l’information, et plus précisément l’interdiction de supports de presse indépendants des trois agences de l’OTAN. A la promotion gouvernementale du discours mensonger on va ajouter la suppression de toute version alternative.

    Après avoir fait croire au public “occidental” que le gouvernement syrien avait utilisé des armes chimiques à Douma (et le gouvernement russe une arme chimique à Salisbury), on déploie des montagnes d’énergie et de perfidie pour l’empêcher de connaître la vérité. De toute évidence on entraîne tous les rouages de l’information dictée en vue du jour où on aura décidé de faire croire au public “occidental” que la Russie a largué une bombe nucléaire sur l’aéroport de Lougansk (comme l’a déclaré le 19 septembre 2014 le régime issu du coup d’Etat ukrainien), voire sur Minsk, Riga ou Varsovie.

    Cette effroyable posture d’une conspiration médiatico-gouvernementale contre le droit à l’information et à la vérité devient extrêmement dangereuse pour la paix.

    Stratdiplo


  • « Pour une histoire populaire du Venezuela » : interview de Thierry Deronne par Alex Anfruns (Investig’action)

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    Thierry Deronne en mai 2018 à Caracas.

    11 Mai 2018, 

    Les élections présidentielles du Venezuela auront lieu le 20 mai. Un rendez-vous décisif pour l’avenir de l’Amérique Latine et des relations Sud-Sud. Bénéficiant d’un véritable soutien populaire, le candidat Nicolas Maduro est en train de mobiliser des dizaines milliers de Vénézuéliens dans ses meetings de campagne. C’en est trop pour Mike Pence. Le vice-président US a qualifié ces élections de “mascarade” et demande leur report. Il menace même le Venezuela de nouvelles sanctions. Pourquoi les institutions européennes lui emboîtent-elles le pas? Pourquoi le traitement médiatique de la Révolution bolivarienne est-il calqué sur la vision des Etats-Unis qui considèrent l’Amérique latine comme leur jardin personnel? Et surtout, quelle est la réalité dans ce pays qui a multiplié les expériences créatives en faveur de l’émancipation humaine au cours des 18 dernières années? Le cinéaste belgo-vénézuélien Thierry Deronne, qui vient de concocter son nouveau film “Histoire du Venezuela”, a bien voulu répondre à nos questions.

    Alex Anfruns : Vous êtes venu présenter votre dernier film “Histoire du Venezuela” dans votre pays d’origine, la Belgique. Avec un montage où se côtoient d’une part des images d’archive cinématographiques montrant l’envers du décor du boom du pétrole, et d’autre part des voix des figures anticolonialistes visionnaires, le spectateur est face à une expérience audiovisuelle captivante. Comment est née l’idée du film, où a-t-il été déjà projeté et quel a été l’accueil ? 

    Thierry Deronne : Après 24 ans de vie au Venezuela, le regard pivote et plusieurs questions commencent à m’intéresser : pourquoi tout en ne ménageant jamais ses critiques vis-à-vis des fonctionnaires publics, le peuple vénézuélien ne tombe pas dans les provocations violentes ou dans le mécontentement recherché par la guerre économique, et continue à réaffirmer son soutien électoral au chavisme ? Ensuite pourquoi la droite est-elle si imperméable au dialogue, d’où vient sa rage, sa violence ? Enfin, pourquoi les européens croient-ils si facilement que le Venezuela est une dictature, pourquoi la désinformation marche-t-elle aussi bien ? A ces trois questions c’est l’Histoire qui répond le mieux.

    La critique populaire ? Elle parle d’une longue histoire de résistance à l’humiliation, à la négation de la condition humaine. C’est au Venezuela qu’eurent lieu les premières rebellions d’esclaves du continent. « Ce peuple, dixit le président Guzman Blanco, est un cuir sec – frappez-le d’un côté, il se soulève de l’autre ».

    La rage des opposants ? La droite vénézuélienne vit encore dans le racisme colonial, celui de ces mantuanos qui ne sortaient pas de chez eux par peur que le soleil brunisse leur peau et organisaient – déjà ! – des violences à Caracas contre l’édit du roi d’Espagne permettant aux esclaves d’acheter leur affranchissement. Ce seizième siècle refait surface dans les violences de 2017 avec les lynchages d’afrodescendants brûlés vifs par les « combattants de la liberté » chers aux médias occidentaux.

    Enfin, pourquoi l’efficacité de la désinformation parmi les européens ? Parce qu’en se soumettant à la gouvernance médiatique, l’Europe s’est coupée du monde et sa peur de la nuit réveille son colonialisme, la pousse à renforcer cette muraille médiatique. L’image caricaturale des vieux machos blancs – entrepreneurs privés, putschistes ou leaders de la violence d’extrême droite qui réprimeraient les leaders sociaux comme en Colombie ou au Brésil s’ils parvenaient au pouvoir – adoubés par l’Union Européenne et ses présidents comme « opposition démocratique du Venezuela », exprime bien ce rendez-vous manqué de l’Europe avec une Amérique Latine qui était pourtant prête à parler d’avenir sur un pied d’égalité.

    Deux autres sources majeures pour construire le film « Histoire du Venezuela » sont, d’abord, le chercheur vénézuélien Fernando Coronil qui explique le rapport des pays du sud à leur sol, à leur nature, à leur territoire, comme un rapport qui surdétermine leurs politiques et leurs stratégies – ce troisième concept a jusqu’ici été peu assumé par le marxisme qui a privilégié les deux premiers, ceux de la relation capital-travail. L’Europe des i-phones est de plus en plus habitée par des peuples hors-sol, voués au présent pur de la consommation. L’autre source, c’est Walter Benjamin pour qui à chaque mouvement révolutionnaire la classe opprimée bondit comme un tigre dans la forêt de l’Histoire et en ramène des éléments des révolutions antérieures. Cette rupture par le peuple vénézuélien du mythe du progrès social-démocrate qui imposa des ajustements et tira sur des affamés en 1989, poussa de jeunes militaires comme Hugo Chavez à se replonger dans Bolivar et à sortir du dogme de « la fin de l’Histoire ».

    Avec des étudiants de la Sorbonne occupée, avec des cinéphiles du festival Rencontres de Bordeaux, ou les Amis du Diplo d’Annecy, le film a permis de parler du Venezuela sans devoir épuiser le temps disponible à réfuter les mensonges des médias.

    Quelle est la situation du cinéma au Venezuela ? Et quelle a été la politique culturelle de la Révolution Bolivarienne ces dernières années, notamment avec la crise liée au prix du pétrole?

    Il y a d’énormes investissements publics pour démocratiser le cinéma à tous les niveaux : formation, production et diffusion, même si ce n’est pas simple de déplacer ceux qui s’arc-boutent sur leurs avantages de classe, sur leur capital culturel. Il faut continuer à se battre pour décoloniser l’imaginaire, Hollywood reste encore très présent dans beaucoup de ces espaces, et il n‘y a pas pratiquement aucune fiction produite sur toutes ces années de révolution.

    Mais tout ne fait que commencer. La révolution bolivarienne, malgré la chute des cours du pétrole et la guerre économique, a maintenu l’ensemble des programmes sociaux et des politiques culturelles – récupération d’espaces pour la création, missions de formation artistique, festivals et spectacles gratuits pour la population, et c’est un trait d’intelligence : l’art n‘est pas sacrifié, jamais, il indique la sortie du tunnel. Après 18 ans on sent une poussée d’en bas de nouvelles voix, de nouveaux créateurs dans tous les domaines.

    Lors d’un échange après la projection, vous nous avez confié qu’il existe parmi la jeunesse vénézuélienne un regain d’intérêt pour les cinéastes latino-américains des générations précédentes, appartenant au courant expérimental, tel que le brésilien Glauber Rocha ou le bolivien Jorge Sanjinés. Ces auteurs vous ont-ils inspirés? Quelle est leur spécificité par rapport à d’autres courants de cinéma d’art et essai tels que la “nouvelle vague” française? 

    Le point commun du « Nuevo Cine Latinoamericano » des années 60-70 avec la Nouvelle Vague est le rejet des codes de l’industrie nord-américaine.

    En Amérique Latine, en outre, on a affaire à des cinéastes organiques et artisanaux : organiques parce qu’ils prophétisent la montée en puissance des peuples. Et artisanaux parce que leur forme est chaque fois différente, secrétée par des cultures, des communautés différentes.

    Ils restent un modèle pour notre cinéma, pour notre télévision : être original à chaque instant, dans une rénovation permanente qui ne peut venir que d’une dialectique avec la culture populaire.

    Vous êtes aussi formateur d’une école populaire de cinéma et télévision et travaillez dans le développement de médias communautaires, en confirmant que le cinéma est avant tout un art collectif. Est-il possible de se battre à armes égales avec la culture du rentisme qui a prévalu historiquement au Venezuela, telle que l’avait décrite Fernando Coronil dans son ouvrage “El Estado Magico”?

    A l’ère des coups d’Etat médiatiques, plutôt que de répéter « la presse est contre nous » ou « nous devons occuper davantage les réseaux sociaux », le socialisme latino-américain doit prendre conscience que son futur passe par la création d’un tissu serré de médias populaires, par la rédaction d’une loi latino-américaine puis mondiale de démocratisation de la propriété des médias, par la remise des fréquences, chaînes et ressources aux organisations populaires, par la refonte conceptuelle de l’enseignement de la communication sociale. Mais aussi et surtout par quelque chose de plus fondamental, sans lequel tout ce qui précède ne suffirait pas.

    Le capitalisme a reterritorialisé l’espace et le temps sous la forme d’un métabolisme social du type « tout-à-l’ego », ou la causalité d’ensemble a disparu dans le sautillement de la dénonciation de purs effets. Le socialisme n‘existera que s’il invente un appareillage intégral, technique et culturel, qui soit indépendant de l’industrie globalisée et qui produise des effets sociaux organisateurs et non isolants.

    Cette nouvelle civilisation “technique”, cette médiologie structurante, reste le grand « impensé » de la gauche qui en est encore à parler de… « déontologie journalistique » !

    Un paysan d’une commune de Barinas nous disait : “nous proposons un système communal qui sera aux mains du paysan producteur d’aliments pour que nous organisions la production et la distribution”. Substituez « alimentation » par « information » et vous aurez le visage du média futur, hors studio, hors portables, décentré, démultiplié, organisateur.

    Vous vivez et travaillez au Venezuela depuis les années 1990. De quels changements majeurs vous avez témoigné dans cette époque charnière, notamment avec l’Assemblée Constituante mise en route par Chavez au lendemain de son élection ? 

    Depuis longtemps la politique au Venezuela voit s’affronter deux « champs magnétiques ». Le premier, c’est la formation historique « social-démocrate » : le parti Acción Democrática comme appareil clientéliste, fabriquant de sommeil populaire avec télévision de masse, État « magique »au service du pillage de la nation par une élite surtout blanche.

    C’est l’école politique première, avec ses rêves d’ascension sociale, qui a duré longtemps (quarante ans), assez pour expliquer beaucoup de comportements actuels à l’intérieur de notre Etat. La fosse commune des 3000 manifestants anti-FMI laissée par le président Carlos Andrés Pérez en 1989 fit tomber le masque de cette « social-démocratie » et déclencha le retour en politique du deuxième « champ magnétique », celui des marrons, ces ex-esclaves qui appelaient au son de leurs tambours à fuir les chaînes coloniales pour créer la « vraie vie », menés cette fois par Hugo Chavez.

    Ce désir d’égalité est toujours vivant, et c’est un moteur extraordinaire du point de vue démocratique : il amène des gens à traverser à gué des rivières, à déjouer les attentats et les menaces de la droite pour aller voter en juillet 2017 pour l’Assemblée Nationale Constituante, débordant le Parti Socialiste Unifié (principal parti chaviste). Cette « pulsion créatrice d’un peuple » que Chavez avait prophétisée en citant Marc Bloch, se produit au moment où toute une micro-corruption quotidienne parlerait plutôt d’un affaissement collectif.

    Malgré tout ce que signifient le dollar parallèle, la vie plus difficile et l’éreintement de quatre ans de guerre économique, malgré le sabotage de l’élection par l’extrême droite, huit millions de Vénézuéliens déposent un bulletin dans l’urne, élisent une Assemblée Constituante ! Huit millions de citoyens descendant des versants glacés, traversant des rivières fortes.

    Qu’il s’agisse de la transformation de l’Etat, de la lutte contre la corruption, de la transformation du système productif, de la sortie du « rentisme pétrolier », des droits en matière culturelle, écologique, ce chantier constituant mérite d’être visibilisé, étudié, on n’a pas encore commencé à en prendre la mesure ni à en déchiffrer l’origine.

    Comment expliquez-vous les efforts déployés dans les médias dominants pour présenter le gouvernement vénézuélien comme étant une dictature, malgré les nombreuses élections qui se sont tenues avec la présence de centaines d’observateurs et accompagnateurs internationaux, dont des personnalités comme Jimmy Carter?

    L’objectif des médias dominants est un changement de gouvernement. La violence de la droite, mise en scène par les médias comme s’il s’agissait d’une révolte populaire, est ancienne : dès que Bolivar libéra les esclaves pour fonder une armée au service de la libération de l’Amérique Latine, l’oligarchie colombienne rêva de l’assassiner et les gazettes états-uniennes le traitèrent de « César assoiffé de sang ».

    Deux siècles plus tard quand le Venezuela redevient un phare d’égalité, de souveraineté, de démocratie (droits des femmes, conseils de travailleurs, formes communales de pouvoir citoyen, 25 élections en 18 ans), la même oligarchie colombienne et les États-Unis rallument les violences paramilitaires et la guerre économique pour faire tomber Maduro.

    Les médias poursuivent cette guerre contre l’émancipation des ex-esclaves. En fait ces violences locales sont faites pour les médias, mises en scène pour l’extérieur. Et si quelqu’un doit rendre des comptes aujourd’hui, c’est le journaliste. D’abord, pour avoir occulté les 90 % de la population qui n’ont pas participé aux violences et les ont rejetées, faisant passer la minorité insurgée pour « la population ».

    Ensuite, pour avoir inversé l’ordre du montage. L’agression des commandos de la droite et la réponse des forces de l’ordre, montées à l’envers, ont créé l’image d’un « régime » réprimant des manifestants. Il y a plus grave : les médias ont imputé automatiquement, jour après jour, au « régime » les morts causés par l’extrême droite, ce qui a alimenté l’énergie des tueurs. Ceux-ci savaient parfaitement que chaque mort imputé à Maduro renforcerait le discours en faveur d’une intervention.

    Mais qui, de Médiapart au Soir, de France Inter au Monde, qui, dans la vaste « zone grise » (Primo Levi) des écrans d’ordinateurs ou du studio ouaté à dix mille kilomètres de Caracas, aura le courage de reconnaître qu’il a encouragé des assassins ?

    Née de la révolution haïtienne, la bolivarienne est une émergence de l’Afrique en Amérique Latine, et c’est exactement ce que veut détruire l’Occident, la même aspiration à la liberté, à l’égalité et à la fraternité. Quand Macron reçoit l’extrême droite vénézuélienne à l’Elysée, il ne fait que rêver de l’enfermement de Toussaint Louverture par Napoléon, pour le laisser mourir de faim et de froid dans les Alpes. L’axe sud-sud, avec l’Afrique en particulier, sera l’axe déterminant pour la libération de nos peuples, pour leur « deuxième indépendance ».

    Un effet de l’hypersphère médiatique dans laquelle l’Europe vit désormais est que pour la gauche « science-po » le raisonnement n‘est plus : « comment étudier, comment comprendre l’Autre » mais « quelle position prendre ici, quelle image de marque devons-nous donner ici, en Europe ? »

    La plupart des citoyens, intellectuels ou militants en sont réduits à faire une moyenne forcément bancale entre l’énorme quantité de mensonges quotidiens et une minorité de vérité. Le problème est que la quantité de répétition, même si elle crée une opinion, ne fait pas une vérité en soi. Le nombre de titres ou d’images identiques pourrait d’ailleurs être mille fois plus élevé, que cela ne signifierait toujours pas qu’on nous parle du réel.

    Comment nous reconnecter au réel ? Quand le Mouvement des Sans Terre du Brésil, l’ensemble des mouvements sociaux et les principaux partis de gauche d’Amérique Latine ou 28 organisations vénézuéliennes des droits humains dénoncent la déstabilisation violente de la démocratie vénézuélienne, on dispose d’un large éventail d’expertises démocratiques. C’est-à-dire de sources directes et d’une connaissance plus profonde de la réalité qu’Amnesty qui recopie les rapports d’ONGS des droits de l’Homme proches de l’opposition ou que la « moyenne » d’un « science-po » européen obligé de préserver un minimum de respectabilité médiatique.

    Meeting Maduro

    Nicolas Maduro en campagne, mai 2018.

    A l’approche des nouvelles élections présidentielles, Quel est votre regard sur les candidats, leurs programmes respectifs et le climat dans ce début de la campagne ?

    Des candidats d’opposition, il y a peu à dire sauf qu’ils sont les ombres d’un théâtre ancien : l’évangéliste corrompu Javier Bertucci ou Henri Falcon qui propose de dollariser le Venezuela. Face à eux, Maduro incarne la jeunesse de la transformation politique. Comme nous disent des paysans de l’État de Portuguesa, « Maduro est encore plus fort que Chavez ». Le second avait proposé le premier comme successeur parce qu’il était le seul à n’avoir pas joué des coudes pour lui succéder.

    Élu de peu, Maduro a dû assumer « l’héritage » : gouverner en négociant avec les différents secteurs, certains conservateurs, dans et hors du gouvernement. Son style est différent, plus lent sans doute, que Chavez. Il a non seulement réussi à résister au déluge d’opérations destructrices de l’empire mais il a su ramasser le gant pour développer de nombreux aspects de la révolution, qu’il s’agisse du logement public ou des emplois pour la jeunesse, avec ce pari fou de demander aux gens de se mobiliser en pleine guerre économique pour élire une assemblée constituante.

    Sa sainte colère contre le secteur privé, majoritaire, qui augmente les prix pour annuler ses constantes hausses de salaire, ou contre les expulsions de paysans par les mafias des grands propriétaires, sont le prélude à un approfondissement de la révolution s’il est élu le 20 mai. Le pétrole remonte, l’or de l’arc minier revient enfin dans les coffres de l’Etat.

    En fait ce qui frappe à Caracas c’est le calme, la tranquillité des gens alors qu’en Europe on parle de chaos, de famine, de violence, pour justifier une intervention « humanitaire ». Malgré les hausses de prix, les sanctions euro-américaines, le peuple ne tombe pas dans la colère recherchée. Pourquoi ? Je parlais de la longue histoire de résistance populaire. Il y a aussi le fait que les aliments reviennent dans les rayons, et certains médicaments.

    Outre les allocations que multiplie le gouvernement bolivarien en direction des plus vulnérables, et les distributions massives d’aliments subventionnés, le secret est dans le fait que les vénézuéliens se sont adaptés, on trouve toutes sortes de parades, de combines, pour acquérir ces produits et pallier la pression économique. Et il y a quelque chose de très particulier, subtil, dans l’air : la contrebande du bolivar papier, extrait massivement par la mafia colombienne, la pulvérisation par l’inflation du salaire payé par le patron, tout cela crée une ambiance révolutionnaire, très « An 01 », difficile à percevoir loin du Venezuela, les gens se sentent moins liés au travail, à l’entreprise privée…

    Je sais qu’en Europe certains adorent parler du « crépuscule de la révolution », d’une « fin de cycle », (variantes de la « Fin de l’Histoire »), mais peut-être est-ce leur propre dissolution dans l’hypersphère virtuelle qu’ils subliment. La Révolution Bolivarienne a bientôt 19 ans, elle invente tous les jours, refuse de s’habituer à la fatigue, de croire aux larmes. Dans son dernière lettre, la « Lettre à l’Afrique », Hugo Chavez citait Simon Bolivar : « Il faut attendre beaucoup du temps ».

    Caracas, mai 2018.

    Thierry Deronne, licencié en Communications Sociales (IHECS, Bruxelles, 1985) vit au Venezuela depuis 1994. Enseigne le documentaire et la théorie du montage dans deux universités (UBV, UNEARTE). Formateur des mouvements sociaux au sein de l’Ecole Populaire et Latino-Américaine de Cinéma et de Télévision. Après avoir donné des formations audiovisuelles dans le Nicaragua sandiniste des années 80, il fonde cette école au Venezuela en 1994, et participe à la fondation de plusieurs télévisions associatives et publiques comme Vive TV, dont il fut vice-président de 2004 à 2010. Créateur du Blog www.venezuelainfos.wordpress.com. Cinéaste, réalisateur entre autres du « Passage des Andes » (2005), « Carlos l’aube n‘est plus une tentation » (2012), « Jusqu’à nous enterrer dans la mer » (2017) et « Histoire du Venezuela » (2018).

    Source : Journal de Notre Amérique


  • Bonjour, voici la lettre d’information du site « CAPJPO - EuroPalestine » (http://www.europalestine.com)
    Si vous ne visualisez pas cet email lisez-le sur le site
    http://www.europalestine.com

    Publication CAPJPO - Europalestine
     
       
     

     


  • 11/05/18

    Sanctions US : pour suivre le grand jeu

     
     
     

    Si l'on veut avoir une petite chance d'arriver à suivre le grand jeu qui commence à propos de la sortie des Etats-Unis de l'accord nucléaire avec l'Iran, et des sanctions américaines consécutives contre les entreprises notamment européennes, au-delà des mouvements de menton et des rideaux de fumée habituels, il va falloir se mettre à jour. Et vite. Par exemple sur une question : pourquoi les entreprises européennes qui commercent avec l'Iran tremblent-elles d'encourir les sanctions américaines ? Que craignent-elles exactement ? Et lesquelles exactement doivent trembler ?

    Pour comprendre comment les Etats-Unis imposent leur droit au reste du monde, il existe un outil apparemment excellent (et en français, de surcroît) : c'est un rapport parlementaire, le rapport Berger-Lellouche, du nom de ses co-auteurs, deux députés, Karine Berger (PS) et Pierre Lellouche (LR). Rédigé et remis en 2016, c'est un inventaire manifestement très complet des différentes techniques d'abus de droits états-uniens, pour imposer leur loi au reste du monde.

    Par curiosité, j'ai fait une requête "Berger-Lellouche" sur Google Actualité, qui recense (à peu près) tout ce qui s'écrit dans les medias mainstream, sur tous les sujets imaginables. Aucune occurence dans les derniers jours. Ce qui signifie que pas un seul distingué journaliste économique n'a encore ressorti de son tiroir cet outil de compréhension de ce qui va constituer une part importante de l'actualité mondiale dans les mois qui viennent (je ne fais pas mon malin. Jusqu'à ce matin, où j'ai capté au vol une allusion sur RFI, j'en ignorais aussi l'existence. Mais je ne suis pas journaliste économique, personne n'est parfait). Bref, vous avez une idée de mon programme de lecture du week-end (pour les flemmards surmenés, un texte plus court ici).

    Et puisque nous en sommes là, à soupeser les allusions sybillines de Macron (et beaucoup moins sybillines de Merkel) à ce que pourrait être une réponse européenne au bras d'honneur de Trump, je vous signale cette proposition, justement, de Pierre Lellouche. Une riposte existerait, qui consisterait...à adopter des mesures sanctionnant les entreprises européennes, si elles se conforment aux exigences américaines. C'est audacieux. Tellement audacieux que cette proposition n'a, elle non plus, été reprise nulle part. Pourtant, cela mériterait d'être au moins débattu, non ?

    Department of justice

    Department of justice US

     
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